La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 24 octobre 2018, précise les contours de la procédure d’autoréhabilitation des opérateurs économiques. Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un litige relatif à l’exclusion d’un candidat ayant participé à une entente anticoncurrentielle dans le secteur ferroviaire. Un opérateur s’est vu infliger une amende par l’autorité nationale de concurrence pour des accords illicites, tout en bénéficiant d’un programme de clémence. Le pouvoir adjudicateur a ultérieurement sollicité la communication de la décision de sanction intégrale afin d’évaluer la fiabilité de l’entreprise pour de futurs marchés. Suite au refus de l’opérateur de transmettre ce document, l’entité adjudicatrice a prononcé son exclusion définitive du système de qualification mis en place. La chambre des marchés publics de Bavière du Sud, saisie du litige, a interrogé la Cour sur l’étendue du devoir de collaboration du soumissionnaire. Elle s’interrogeait sur la possibilité d’imposer une coopération avec le pouvoir adjudicateur et sur le calcul du délai maximal d’exclusion. La Cour juge que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une législation nationale imposant une collaboration active avec le pouvoir adjudicateur. Elle précise par ailleurs que le délai de trois ans d’exclusion court à compter de la date de la décision de l’autorité compétente.
I. La consécration d’une coopération élargie pour le rétablissement de la fiabilité
A. L’extension du devoir de collaboration à l’entité adjudicatrice
L’article 57 de la directive 2014/24 prévoit que l’opérateur doit prouver qu’il a « clarifié totalement les faits et circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête ». La Cour estime que cette exigence de clarification peut s’étendre aux relations directes entre le soumissionnaire et le pouvoir adjudicateur lors de la procédure. Cette interprétation permet à l’entité contractante de vérifier si l’opérateur a effectivement rétabli sa fiabilité professionnelle malgré ses manquements passés et sa faute antérieure. Il appartient en effet au seul pouvoir adjudicateur d’apprécier les risques qu’il pourrait encourir en attribuant un marché à un candidat dont l’intégrité est douteuse. Cette solution assure une évaluation concrète des mesures de mise en conformité prises par l’entreprise pour prévenir toute récidive de comportements anticoncurrentiels ou illicites.
B. La limitation des exigences aux mesures strictement nécessaires
La collaboration requise doit toutefois rester « limitée aux mesures qui sont strictement nécessaires à la poursuite effective du but visé par l’examen de la fiabilité ». Le pouvoir adjudicateur ne saurait exiger des informations excédant ce qui est indispensable pour attester du caractère suffisant des mesures de correction technique ou organisationnelle. La Cour précise que la transmission de la décision constatant l’infraction devrait normalement suffire à démontrer que l’opérateur a clarifié totalement les faits avec l’autorité. Une demande de documents complémentaires n’est justifiée que si les éléments fournis initialement ne permettent pas d’apprécier l’efficacité réelle des mesures de prévention adoptées. Le principe de proportionnalité encadre ainsi le pouvoir d’investigation de l’entité adjudicatrice afin de ne pas transformer l’autoréhabilitation en une charge administrative excessive.
II. La fixation d’un cadre temporel sécurisant pour l’exclusion facultative
A. Le report du point de départ du délai à la décision de sanction
Le délai maximal d’exclusion pour les motifs facultatifs est fixé à trois ans « à compter de la date de l’événement concerné » par la directive. La Cour tranche la question de la définition de cet événement en retenant la date de la décision de l’autorité de concurrence compétente. Cette solution écarte l’interprétation consistant à faire courir le délai dès la fin de la participation à l’entente ou la commission des faits. La juridiction souligne que l’existence de comportements restrictifs de la concurrence ne peut souvent être tenue pour établie qu’après l’adoption d’une décision administrative. Ce choix garantit la prévisibilité du droit et la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs économiques intervenant sur le marché de la commande publique.
B. La recherche de sécurité juridique dans la mise en œuvre des motifs d’exclusion
Le calcul du délai à partir de la sanction administrative assure une cohérence avec le régime applicable aux causes d’exclusion obligatoires liées à des condamnations pénales. Cette approche évite que le délai d’exclusion n’expire avant même que le pouvoir adjudicateur n’ait eu connaissance de manière certaine de l’infraction commise. L’opérateur conserve néanmoins la faculté d’adopter des mesures d’autoréhabilitation tout au long de cette période pour démontrer qu’il est à nouveau un partenaire fiable. La décision de la Cour permet ainsi de concilier la protection des deniers publics avec le droit des entreprises à prouver leur retour à l’intégrité. Elle stabilise le cadre temporel dans lequel les entités adjudicatrices peuvent écarter les opérateurs ayant gravement méconnu les règles de la concurrence européenne.