Un pouvoir adjudicateur a, dans le cadre d’un projet financé par des fonds européens, lancé une procédure d’appel d’offres pour des travaux de construction. Les spécifications techniques de l’un des lots faisaient référence à des normes techniques nationales, qui transposent elles-mêmes des normes européennes, sans toutefois y ajouter la mention « ou équivalent ». Après l’attribution du marché, l’autorité de gestion du programme de financement a imposé une correction financière de 25 % de la valeur du contrat au pouvoir adjudicateur, au motif que cette omission était contraire à la législation sur les marchés publics et constituait une restriction injustifiée à la concurrence. Le pouvoir adjudicateur a contesté cette décision devant une juridiction administrative nationale, arguant que les normes visées étaient des « normes harmonisées » pour lesquelles, par définition, il n’existerait pas d’équivalent, rendant l’ajout de la mention superfétatoire. La juridiction de renvoi, confrontée à l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24/UE impose à un pouvoir adjudicateur d’assortir une référence à une norme de la mention « ou équivalent », y compris lorsque cette norme est une norme harmonisée. La Cour de justice y répond par l’affirmative, estimant que l’obligation d’ajouter la mention « ou équivalent » est générale et ne souffre d’aucune exception pour les normes harmonisées. Par cette solution, la Cour réaffirme le principe d’équivalence comme une garantie essentielle de la concurrence (I), tout en consacrant la portée universelle de cette exigence formelle (II).
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I. La réaffirmation du principe d’équivalence comme garantie de la concurrence
La décision commentée rappelle avec force que le formalisme de la mention « ou équivalent » est avant tout un instrument au service de l’ouverture des marchés publics à la concurrence. Cette exigence, interprétée de manière extensive par la Cour (A), est mise en balance par la responsabilité laissée au soumissionnaire de démontrer la parité de sa proposition (B).
A. Une interprétation extensive de l’obligation d’ouverture à la concurrence
La Cour de justice fonde principalement son raisonnement sur une analyse littérale et téléologique des textes applicables. Elle relève que l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24 dispose que, dans le cadre des spécifications techniques, « chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ». Le libellé de cette disposition, par l’emploi du terme « chaque », ne laisse place à aucune exception et établit une règle de portée générale. Cette interprétation est renforcée par l’objectif même de la directive, rappelé au considérant 74, qui est de permettre aux acheteurs publics d’ouvrir les marchés publics à la concurrence et d’éviter de « restreindre artificiellement la concurrence en instaurant des exigences qui favorisent un opérateur économique particulier ». L’omission de la mention litigieuse reviendrait précisément à créer un tel obstacle, en privilégiant les opérateurs capables de fournir des produits ou services strictement conformes à la norme citée, au détriment de ceux proposant des solutions différentes mais techniquement équivalentes. Ainsi, la Cour considère que le simple fait de viser une norme, quelle qu’elle soit, sans permettre explicitement aux soumissionnaires de proposer une alternative, constitue une entrave injustifiée à la concurrence.
B. Une charge de la preuve de l’équivalence incombant au soumissionnaire
Si l’obligation d’insérer la mention « ou équivalent » est stricte pour le pouvoir adjudicateur, la Cour rappelle que la charge de démontrer l’équivalence des solutions proposées pèse entièrement sur l’opérateur économique. L’arrêt s’appuie en cela sur l’article 42, paragraphe 5, de la directive 2014/24, qui précise que le soumissionnaire doit prouver « par tout moyen approprié » que sa proposition « satisfait de manière équivalente aux exigences définies par les spécifications techniques ». Le pouvoir adjudicateur ne se trouve donc pas dans l’obligation d’accepter n’importe quelle offre se prévalant d’une équivalence ; il conserve son pouvoir d’appréciation technique, sous le contrôle du juge, pour vérifier si les preuves apportées sont suffisantes. L’article 44 de la même directive offre d’ailleurs une flexibilité en la matière, en autorisant la production de rapports d’essais, de certificats, mais aussi « d’autres moyens de preuve appropriés » tel qu’un dossier technique du fabricant. Ce système équilibré garantit l’ouverture à la concurrence tout en protégeant les intérêts du pouvoir adjudicateur, qui doit s’assurer que les prestations réalisées correspondront bien à ses besoins fonctionnels. Loin d’affaiblir les exigences techniques, le principe d’équivalence les rend plus objectives en les détachant d’une référence normative unique.
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II. La portée universelle de l’exigence d’équivalence
Au-delà de cette réaffirmation, l’apport principal de l’arrêt réside dans la clarification de la portée de cette obligation, la Cour rejetant fermement l’idée que certaines catégories de normes pourraient y échapper. Elle consacre ainsi l’indifférence de la nature harmonisée de la norme (A), faisant prévaloir la logique concurrentielle du droit des marchés publics sur celle de la normalisation technique (B).
A. L’indifférence de la nature harmonisée de la norme
Le cœur de l’argumentation soulevée devant la juridiction de renvoi tenait au caractère prétendument non substituable d’une norme harmonisée. Selon le pouvoir adjudicateur, une telle norme, en établissant une présomption de conformité à des exigences essentielles du droit de l’Union, ne saurait admettre d’équivalent. La Cour écarte cette analyse en se référant à la définition même du terme « norme » à l’annexe VII de la directive 2014/24. Ce texte précise qu’une norme est une spécification technique « dont le respect n’est pas obligatoire ». Dès lors, même une norme harmonisée, dans le contexte des marchés publics, ne constitue qu’une voie possible pour atteindre un résultat technique, et non la seule. La Cour juge ainsi qu’il est « indifférent que la norme […] figure […] dans la liste des normes harmonisées », car le droit des marchés publics ne lui confère pas un caractère contraignant qui exclurait toute alternative. En dissociant le statut d’une norme dans le cadre de la réglementation des produits de son usage dans les spécifications techniques d’un marché, la Cour évite de créer une brèche dans le principe d’équivalence qui aurait pu être largement exploitée.
B. La primauté de la logique concurrentielle sur la normalisation technique
En définitive, cette décision tranche un conflit potentiel entre deux logiques du droit de l’Union : celle de l’harmonisation technique, qui vise à créer des référentiels uniques pour faciliter la circulation des marchandises, et celle de la concurrence dans les marchés publics, qui exige une mise en compétition la plus large possible. La Cour fait clairement prévaloir la seconde sur la première. Elle considère que l’objectif de standardisation ne peut servir de prétexte à une fermeture du marché. La mention « ou équivalent » devient alors le garde-fou qui assure que la référence à une norme, aussi perfectionnée et reconnue soit-elle, demeure une simple proposition technique et non une barrière à l’entrée. Cette solution protège non seulement les opérateurs économiques établis dans d’autres États membres qui utiliseraient des normes nationales équivalentes, mais favorise également l’innovation en permettant à des entreprises de proposer des solutions nouvelles qui, sans être formellement conformes à la norme citée, répondent de manière égale ou supérieure aux exigences fonctionnelles du pouvoir adjudicateur.