Par un arrêt rendu le 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, siégeant à Luxembourg, précise les critères de qualification des petites et moyennes entreprises. La juridiction interprète ici l’article 3, paragraphe 4, de l’annexe I du règlement n° 651/2014 relatif aux catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur.
Le litige oppose une société à responsabilité limitée, spécialisée dans la recherche, à un organisme chargé de la gestion des subventions publiques nationales. L’administration refuse le bénéfice d’une aide financière au motif que l’entreprise ne répondrait pas aux critères d’indépendance exigés pour être qualifiée de PME. La société requérante est effectivement détenue à hauteur de quatre-vingt-dix pour cent par une fondation de droit civil dont l’organe délibérant est majoritairement public. Le conseil de fondation comprend notamment des délégués ministériels, le maire d’une commune, ainsi que des représentants d’universités et d’une chambre consulaire.
Saisi du contentieux, le tribunal administratif de Berlin sollicite la Cour de justice par la voie préjudicielle afin de définir la notion d’organisme public. La juridiction de renvoi s’interroge également sur les modalités de détermination du contrôle exercé par de telles entités sur la gestion d’une entreprise tierce. La Cour doit décider si la seule composition statutaire d’un organe suffit à caractériser un contrôle conjoint, indépendamment du comportement réel de ses membres. Elle affirme que la notion d’organisme public inclut toute entité satisfaisant des besoins d’intérêt général, dont le contrôle se déduit de la participation au capital.
I. L’appréhension large des entités publiques par le droit de l’Union
A. La consécration d’une notion autonome d’organisme public
La Cour de justice rappelle que les termes d’une disposition du droit de l’Union doivent normalement trouver une interprétation autonome et uniforme dans tous les États membres. Elle souligne que « la notion d’“organisme public” doit être comprise comme faisant référence à l’État, aux collectivités territoriales, ainsi qu’aux organismes créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ». Cette définition fonctionnelle permet d’inclure des structures variées comme les universités, les établissements d’enseignement supérieur ou les chambres de commerce et d’industrie. La nature juridique exacte de l’entité importe moins que sa finalité sociale et ses liens financiers ou structurels avec la puissance publique.
Cette approche extensive vise à assurer que les mesures destinées aux PME profitent véritablement aux entreprises pour lesquelles la taille constitue un réel handicap économique. La Cour estime que « les entités relevant des pouvoirs publics sont susceptibles de permettre à une entreprise de surmonter de tels obstacles » par leurs ressources. Elle impose ainsi aux juridictions nationales de vérifier si les institutions membres d’un conseil répondent à ces critères de contrôle étatique ou de financement majoritaire. L’uniformité de cette interprétation prévient les distinctions arbitraires entre les différentes formes d’organisation administrative adoptées par les États membres au sein de l’Union.
B. L’indifférence du statut bénévole des représentants nommés
L’arrêt précise que le caractère bénévole de l’activité exercée par les membres au sein de l’organe délibérant de la fondation ne modifie pas l’analyse juridique. La Cour considère qu’il est « indifférent, pour l’application de cette disposition, que les personnes nommées siègent à titre bénévole au sein de l’entreprise concernée ». L’élément déterminant réside exclusivement dans le fait que ces individus ont été proposés et nommés en leur qualité de membres des organismes publics. La fonction officielle exercée par le représentant l’emporte donc sur les modalités contractuelles ou financières de sa participation effective aux travaux du conseil.
Cette solution juridique confirme que l’influence publique se transmet par le canal de la représentation institutionnelle plutôt que par le lien de subordination individuelle. La qualification d’organisme public s’étend dès lors aux conséquences de la présence de ses agents dans les structures décisionnelles des entreprises partenaires ou liées. Cette reconnaissance facilite l’identification des liens de dépendance qui pourraient fausser l’attribution des aides d’État réservées aux structures économiquement autonomes et fragiles. La Cour de justice déplace ainsi le curseur de l’analyse vers une vision purement organique et statutaire de l’influence des pouvoirs publics.
II. L’objectivation rigoureuse du critère de contrôle indirect
A. Le primat du degré de participation sur l’influence effective
Concernant l’existence du contrôle, la Cour adopte une position formaliste en se fondant prioritairement sur le texte du règlement et de la recommandation de 2003. Elle énonce que l’existence d’un contrôle « se déduit du seul degré de participation des organismes publics dans le capital ou les droits de vote de l’entreprise ». Il n’est donc pas nécessaire de démontrer que ces organismes influencent concrètement ou coordonnent l’exercice effectif des droits de vote de leurs représentants. Cette présomption s’applique dès que la participation dépasse le seuil critique de vingt-cinq pour cent du capital ou des droits de vote.
L’analyse de la Cour exclut toute recherche d’une immixtion réelle dans la gestion quotidienne de l’entreprise pour caractériser l’absence d’indépendance de la structure. Elle affirme qu’aux fins de l’existence d’un contrôle, il suffit que des organismes publics détiennent conjointement au moins vingt-cinq pour cent des droits de vote. Cette règle s’applique strictement « sans qu’il soit nécessaire d’examiner si ces représentants tiennent effectivement compte des intérêts desdits organismes » lors des délibérations. La structure du capital devient ainsi l’unique critère pertinent pour écarter la qualification de petite et moyenne entreprise dans le cadre des aides d’État.
B. La simplification administrative au service de la sécurité juridique
Cette interprétation stricte répond à un objectif de clarté administrative et de sécurité juridique pour les autorités nationales chargées de la surveillance des aides. La Cour souligne que la prise en compte du seul degré de participation « est clairement de nature à faciliter l’application par les autorités compétentes de la règle générale d’exclusion ». En évitant des enquêtes complexes sur le comportement effectif des membres des conseils, le droit de l’Union garantit une surveillance efficace et simplifiée. La sécurité juridique est ici privilégiée afin de prévenir les recours systématiques fondés sur l’absence d’instructions de vote formelles ou écrites.
Enfin, l’arrêt consacre une vision rigoureuse de l’indépendance économique qui ne peut se satisfaire de simples déclarations d’intention ou de l’absence de preuves d’influence. Une situation caractérisée par des liens structurels exclut que les entreprises concernées puissent être considérées comme économiquement indépendantes l’une de l’autre de manière pérenne. La Cour de justice rappelle que la définition des PME doit faire l’objet d’une interprétation étroite lorsqu’elle ouvre droit à des dérogations. Ce refus de la casuistique renforce la cohérence du marché intérieur en limitant les risques de contournement des règles de concurrence par des entités publiques.