Par un arrêt de principe, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’opposabilité d’une clause attributive de juridiction insérée dans un connaissement à un tiers porteur. En l’espèce, un contrat de transport maritime de marchandises avait été conclu entre un chargeur et un transporteur, donnant lieu à l’émission d’un connaissement. Ce document, qui constitue le titre représentatif de la marchandise, contenait une clause désignant les tribunaux d’un État membre comme seuls compétents pour connaître de tout litige. Postérieurement, le connaissement a été acquis par un tiers, lequel est devenu le destinataire effectif des biens transportés. Un litige étant survenu, ce tiers porteur a saisi les juridictions d’un autre État membre, estimant ne pas être lié par la clause attributive de juridiction à laquelle il n’avait pas directement consenti. Le transporteur a soulevé une exception d’incompétence, arguant de l’application de ladite clause. La juridiction nationale saisie, confrontée à une difficulté d’interprétation de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis, a décidé de surseoir à statuer pour poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer, d’une part, quelle loi régit l’opposabilité de la clause au tiers porteur et, d’autre part, si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale qui exclurait par principe la transmission de cette clause au tiers, sauf à ce qu’il l’ait négociée séparément. La Cour de justice a répondu que la question de l’opposabilité ne relevait pas de la loi de l’État désigné par la clause, mais du droit national applicable au fond du contrat, et que ce dernier devait être déterminé selon les règles de droit international privé du for saisi. Surtout, elle a jugé que l’article 25 du règlement s’opposait à une règle nationale qui, tout en organisant une subrogation du tiers porteur dans les droits et obligations du chargeur, en exclurait la clause attributive de juridiction. La solution retenue par la Cour clarifie ainsi le régime de la transmission de la clause (I), consacrant par là même son efficacité dans le commerce international (II).
I. La clarification du régime de transmission de la clause attributive de juridiction
La décision de la Cour de justice apporte une clarification essentielle en précisant d’abord la loi applicable à l’opposabilité de la clause (A), pour ensuite lier cette opposabilité au mécanisme de la subrogation intégrale (B).
A. Le rattachement de l’opposabilité à la loi applicable au contrat
La Cour de justice écarte une première source d’incertitude en statuant sur la loi devant régir l’effet de la clause à l’égard du tiers. Elle affirme en effet que « l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction au tiers porteur du connaissement dans lequel cette clause est insérée n’est pas régie par le droit de l’État membre dont une ou plusieurs juridictions sont désignées par cette clause ». Ce faisant, les juges européens rejettent l’application de la *lex fori prorogati*, c’est-à-dire la loi du tribunal désigné. Une telle solution aurait pu créer une complexité, en soumettant la validité et les effets de la clause à une loi potentiellement étrangère au rapport contractuel initial. Au contraire, la Cour oriente le juge national vers le droit applicable au fond du litige.
Cette solution pragmatique garantit une cohérence juridique. Le contrat de transport et les relations qui en découlent sont ainsi soumis à un seul et même ordre juridique pour l’essentiel de leurs aspects. C’est donc la *lex contractus*, déterminée par le juge saisi au moyen de ses propres règles de conflit de lois, qui dictera si le tiers porteur est ou non lié par la convention de juridiction. Cette approche a le mérite de la prévisibilité pour les opérateurs économiques, qui peuvent anticiper la loi applicable à l’ensemble de leurs rapports juridiques découlant du connaissement.
B. La subrogation comme condition de la transmission de la clause
Une fois la loi applicable identifiée, la Cour de justice fournit le critère matériel permettant de juger de l’opposabilité. La clause est transmissible au tiers « si, en acquérant ce connaissement, il est subrogé dans l’intégralité des droits et des obligations de l’une des parties initiales au contrat ». Le raisonnement repose sur une conception unitaire du connaissement. Celui-ci n’est pas un simple recueil de stipulations divisibles, mais forme un bloc contractuel cohérent. Le tiers qui entre dans le rapport d’obligation en acquérant le titre ne peut dissocier les droits qu’il recueille, comme le droit à la livraison de la marchandise, des obligations qui y sont attachées, au nombre desquelles figure la clause de juridiction.
Cette approche consacre une logique de continuité contractuelle. La clause attributive de juridiction n’est pas un accessoire mineur, mais un élément substantiel de l’équilibre économique du contrat, qui détermine la prévisibilité et le coût de la gestion d’éventuels contentieux. En la liant au sort des autres droits et obligations, la Cour assure que le tiers porteur ne puisse pas bénéficier d’une position plus favorable que celle du chargeur initial. Il hérite de la situation juridique de son auteur dans son intégralité, ce qui inclut les contraintes procédurales acceptées en amont. Cette transmission intégrale renforce la sécurité juridique des conventions et préserve le consentement initial des parties au contrat de transport.
II. La consécration de l’efficacité de la clause dans le commerce international
Au-delà de la clarification technique, l’arrêt a une portée considérable en ce qu’il invalide les règles nationales susceptibles d’affaiblir la clause (A) et promeut ainsi la sécurité juridique dans les échanges commerciaux (B).
A. La censure des législations nationales dissociant la clause du contrat
La seconde partie du raisonnement de la Cour est la plus significative en termes d’harmonisation. Elle juge que l’article 25 du règlement s’oppose à une réglementation nationale qui permettrait au tiers porteur d’être « subrogé dans l’intégralité des droits et des obligations de ce chargeur, à l’exception de ceux découlant d’une clause attributive de juridiction ». La Cour vise ici directement les droits nationaux qui traiteraient la clause de juridiction de manière distincte du reste du contrat, en exigeant par exemple un consentement spécifique et séparé du tiers pour qu’elle lui soit opposable. Une telle exigence viderait en pratique la clause de son utilité dans le cadre des chaînes de contrats et des transferts de titres.
En affirmant la primauté du droit de l’Union, la Cour assure l’effet utile de l’article 25. Cet article vise à garantir l’autonomie de la volonté des parties et la prévisibilité du for compétent. Permettre à une législation nationale de neutraliser une clause valablement formée au regard du règlement au seul motif de sa transmission à un tiers irait à l’encontre de cet objectif. La solution est donc une manifestation claire de la volonté de la Cour de créer un espace judiciaire européen où les clauses de juridiction, instruments essentiels de prévisibilité, jouissent d’une efficacité maximale et uniforme, nonobstant les particularismes nationaux.
B. La promotion de la prévisibilité et de la sécurité juridique
En définitive, la portée de cet arrêt dépasse largement le cas d’espèce. Il renforce considérablement le statut des clauses attributives de juridiction dans le commerce maritime et, par extension, dans tout le commerce international impliquant des titres négociables. Le connaissement est un instrument fondamental qui circule rapidement, et sa valeur repose sur la certitude des droits et obligations qu’il contient. En assurant que la clause de juridiction suit le même régime que le titre lui-même, la Cour garantit aux transporteurs et aux autres acteurs de la chaîne logistique une visibilité essentielle sur le juge compétent en cas de litige.
Cette solution favorise la réduction des coûts de transaction et des risques juridiques. Les parties n’ont plus à craindre qu’un changement de porteur du connaissement ne remette en cause le for convenu. La prévisibilité ainsi assurée est un facteur de compétitivité et de fluidité pour le marché intérieur européen. L’arrêt s’inscrit donc dans une jurisprudence constante visant à faire des clauses attributives de juridiction des piliers de la sécurité juridique, indispensables au bon fonctionnement des relations commerciales internationales. La volonté des parties originaires est ainsi protégée et son efficacité étendue à l’ensemble des acteurs qui s’insèrent dans l’exécution du contrat.