La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 24 octobre 2024, précise le régime d’opposabilité d’une clause attributive de juridiction. Un transporteur maritime et un tiers porteur de connaissement s’opposent sur la validité d’une clause désignant une juridiction étrangère pour trancher leur litige. Le tiers conteste cette clause car elle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, conformément aux dispositions protectrices de son droit national. La juridiction espagnole saisie décide de surseoir à statuer afin d’interroger le juge européen sur l’interprétation de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis.
La question posée porte sur la loi applicable à l’opposabilité de la clause au tiers et sur la conformité d’une restriction législative interne. La Cour juge que le droit de l’État membre dont la juridiction est désignée ne régit pas l’opposabilité de ladite clause à ce tiers. Elle affirme que la clause est opposable si le tiers est subrogé dans les droits de la partie initiale selon le droit applicable au fond. L’étude de cette décision impose d’examiner la détermination de la loi applicable avant d’analyser l’opposabilité automatique de la clause par l’effet de la subrogation.
**I. La détermination de la loi applicable à l’opposabilité de la clause**
A. L’exclusion de la loi du for prorogé
La Cour écarte l’application de la loi du tribunal désigné pour régir l’opposabilité de la clause attributive de juridiction au tiers porteur du titre. Elle précise que « l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction au tiers porteur du connaissement » n’est pas régie par le droit de l’État membre désigné. Cette interprétation garantit l’autonomie du règlement européen en limitant l’influence des lois nationales sur les conditions de validité formelle et matérielle des clauses. Le juge européen refuse ainsi de soumettre le transfert de la clause aux règles de la juridiction prorogée pour assurer une application uniforme.
B. Le renvoi au mécanisme de la subrogation contractuelle
Le transfert de la clause de compétence repose exclusivement sur le mécanisme de la subrogation contractuelle tel que défini par la loi du contrat. L’arrêt souligne que la clause est opposable si le tiers « est subrogé dans l’intégralité des droits et des obligations de l’une des parties ». Le juge saisi doit donc appliquer son propre droit international privé pour identifier la loi nationale régissant le fond du litige contractuel en cause. Par conséquent, l’opposabilité de l’engagement dépend de la transmission effective de la position contractuelle globale au porteur du document de transport maritime.
**II. L’exigence de l’opposabilité automatique de la clause subrogée**
A. L’invalidité des restrictions nationales liées à la négociation individuelle
Le droit de l’Union s’oppose fermement à une réglementation nationale qui conditionnerait l’opposabilité de la clause à l’existence d’une négociation individuelle séparée. La Cour juge que l’article 25 du règlement Bruxelles I bis « s’oppose à une réglementation nationale » imposant des exigences supplémentaires pour valider la clause. En effet, une telle disposition permettrait au tiers de scinder artificiellement les obligations contractuelles tout en bénéficiant des droits issus du contrat initial. Cette exigence de négociation individuelle contredirait l’effet utile de la subrogation et porterait atteinte à la sécurité juridique des relations commerciales internationales.
B. La préservation de l’unité de l’engagement contractuel
La décision renforce la prévisibilité juridique en assurant que le transporteur puisse opposer la clause de compétence à tout porteur légitime du connaissement. L’unité du contrat est préservée car le tiers subrogé ne peut pas choisir de n’être lié que par les stipulations qui lui sont favorables. La Cour de justice garantit ainsi la stabilité du forum choisi initialement, évitant que le transfert du titre ne devienne un moyen d’éviction juridictionnelle. Cette solution confirme la primauté de l’autonomie de la volonté et protège les attentes légitimes des cocontractants lors de la signature du connaissement.