Cour de justice de l’Union européenne, le 25 avril 2024, n°C-420/22

Par un arrêt rendu en affaires jointes, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du droit de séjour dérivé, au titre de l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, pour le membre de la famille, ressortissant d’un pays tiers, d’un citoyen de l’Union n’ayant pas exercé sa liberté de circulation. En l’espèce, des ressortissants de pays tiers, membres de la famille de citoyens européens, se sont vu refuser ou retirer leur titre de séjour par les autorités d’un État membre. Ces décisions administratives étaient fondées sur des motifs de sécurité nationale, étayées par des avis contraignants et non motivés émanant d’un organe spécialisé, dont les informations sous-jacentes étaient classifiées. Saisis de ce litige, les juges nationaux ont interrogé la Cour, par la voie du renvoi préjudiciel, sur la compatibilité de la réglementation nationale avec le droit de l’Union. La question posée à la Cour portait essentiellement sur l’équilibre à ménager entre, d’une part, la protection du droit de séjour découlant de la citoyenneté de l’Union et, d’autre part, les prérogatives des États membres en matière de sécurité nationale. Plus spécifiquement, il lui était demandé de clarifier l’étendue des obligations des autorités nationales et des garanties procédurales applicables lorsqu’un tel droit de séjour est confronté à un impératif sécuritaire. La Cour de justice y répond en renforçant substantiellement les garanties entourant le droit de séjour dérivé, tout en délimitant l’office du juge national. Elle juge qu’un État membre ne peut refuser un titre de séjour sans examiner au préalable l’existence d’une relation de dépendance de nature à contraindre le citoyen de l’Union à quitter le territoire de l’Union. Elle proscrit par ailleurs tout automatisme décisionnel fondé sur un avis non motivé et impose le respect des droits de la défense, notamment par la communication de la substance des motifs. Cette solution conduit à réaffirmer la primauté des droits attachés à la citoyenneté européenne sur les procédures nationales dérogatoires (I), tout en définissant un cadre exigeant pour le contrôle juridictionnel des décisions impliquant des informations classifiées (II).

I. La réaffirmation des droits substantiels liés à la citoyenneté européenne

L’arrêt consolide la jurisprudence relative à l’article 20 du TFUE en imposant aux autorités nationales une démarche proactive dans l’examen des situations individuelles (A) et en prohibant que des motifs de sécurité nationale justifient une décision de refus de séjour dépourvue de tout examen de proportionnalité (B).

A. L’extension de l’obligation d’examen de la relation de dépendance

La Cour impose aux autorités d’un État membre une obligation positive de vérification. Elle précise que l’article 20 TFUE s’oppose au retrait ou au refus d’un titre de séjour sans que les autorités aient, au préalable, « examiné s’il existe entre ce ressortissant d’un pays tiers et ces citoyens de l’Union une relation de dépendance qui contraindrait, de fait, lesdits citoyens de l’Union à quitter le territoire de l’Union européenne, pris dans son ensemble ». Cette obligation est déclenchée dès lors que ces autorités disposent d’informations sur l’existence de liens familiaux. La solution étend ainsi la portée de la protection jurisprudentielle antérieure, qui se contentait de sanctionner un refus faisant obstacle à la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union. Désormais, l’administration ne peut demeurer passive ; elle doit instruire le dossier pour déterminer si le départ du ressortissant tiers priverait le citoyen européen de la présence indispensable à son maintien sur le territoire de l’Union. Cette exigence renforce la substance même du droit de séjour dérivé en le prémunissant contre une application mécanique de la législation nationale sur l’immigration qui ignorerait la dimension familiale et humaine de la situation.

B. Le rejet des décisions automatiques fondées sur la sécurité nationale

La Cour affirme ensuite avec force que la sauvegarde de la sécurité nationale ne saurait justifier une procédure privant l’individu des garanties fondamentales. Elle juge que l’article 20 TFUE, combiné à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, fait obstacle à une réglementation qui fonde un refus de séjour sur la seule base d’un avis contraignant et non motivé. Le juge européen exige au contraire un « examen rigoureux de l’ensemble des circonstances individuelles et de la proportionnalité de cette décision de retrait ou de refus ». En d’autres termes, l’autorité compétente pour statuer sur le séjour ne peut se borner à entériner l’évaluation d’un service de sécurité. Elle doit procéder à sa propre mise en balance des intérêts en présence : d’un côté, la menace que représenterait l’individu pour la sécurité de l’État et, de l’autre, la gravité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du citoyen de l’Union et les conséquences sur la jouissance de sa citoyenneté. Ce faisant, l’arrêt rappelle que la notion de sécurité nationale, bien que relevant de la compétence des États membres, doit être interprétée strictement et que son invocation ne crée pas une zone de non-droit.

Cette exigence d’un examen individualisé et proportionné ne peut toutefois être effective sans un encadrement strict des garanties procédurales offertes à l’individu, ce que la Cour s’attache à préciser dans la seconde partie de sa décision.

II. La définition d’un cadre exigeant pour le contrôle juridictionnel

Afin d’assurer l’effectivité des droits reconnus, la Cour encadre les restrictions pouvant être apportées aux droits de la défense au nom du secret (A), tout en précisant les pouvoirs et les devoirs du juge national chargé du contrôle de légalité (B).

A. La garantie de l’accès à la substance des motifs de la décision

Le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte, implique pour le justiciable de connaître les raisons de la décision qui le frappe. La Cour transpose ce principe au contentieux du droit de séjour en jugeant qu’une réglementation nationale ne peut priver le ressortissant tiers des informations nécessaires à sa défense. Elle s’oppose à ce que la personne concernée « ne se voi[t] pas communiquer même la substance des motifs sur lesquels sont fondées de telles décisions ». La protection de la sécurité nationale peut justifier que les informations classifiées ne soient pas intégralement divulguées, mais elle ne saurait autoriser une opacité totale. Le respect des droits de la défense impose qu’une information substantielle, même non détaillée, soit fournie à l’intéressé pour lui permettre de contester utilement le bien-fondé de la mesure. En privant l’administration de la possibilité de fonder une décision sur des éléments entièrement secrets, la Cour assure un équilibre entre les prérogatives de l’État et le droit à un procès équitable.

B. La délimitation de l’office du juge face aux informations classifiées

En contrepoint, la Cour définit les limites du contrôle juridictionnel. Elle énonce que l’article 47 de la Charte n’exige pas que le juge national ait le pouvoir de vérifier la licéité de la classification des informations ou d’en ordonner l’accès à la personne concernée. Le juge n’est pas érigé en arbitre de la pertinence du secret. Cependant, il n’est pas pour autant démuni. La Cour lui confie un rôle essentiel en précisant qu’il doit « tirer, le cas échéant, les conséquences d’une éventuelle décision des autorités compétentes de ne pas communiquer tout ou partie des motifs de cette décision et des éléments de preuve y afférents ». Cette formule habilite le juge à exercer une forme de contrôle par défaut. Si l’État refuse de produire des éléments suffisants pour justifier la proportionnalité de son ingérence, même devant le juge et selon des modalités sécurisées, ce dernier pourra en déduire que la décision n’est pas légalement fondée. Le fardeau de la preuve est ainsi subtilement aménagé, incitant l’État à collaborer avec la justice sous peine de voir sa décision annulée pour défaut de motivation probante.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture