Cour de justice de l’Union européenne, le 25 avril 2024, n°C-657/22

Par une décision dont la langue de procédure est le roumain, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 2003/96/CE relative à la taxation des produits énergétiques ainsi que de la directive 2006/112/CE concernant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, un opérateur économique avait réintroduit dans un entrepôt fiscal des produits énergétiques initialement destinés à être utilisés comme combustible. Lors de cette opération, il a omis de notifier cette réintroduction à l’autorité compétente et a manqué d’inscrire les mentions relatives au marquage et à la coloration de ces produits sur les documents afférents. En réponse à ces manquements d’ordre procédural, l’administration fiscale nationale a appliqué auxdits produits le taux d’accise le plus élevé, celui prévu pour le gazole utilisé comme carburant, et a ensuite soumis ce supplément d’accise à la taxe sur la valeur ajoutée. Saisie du litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles.

Il s’agissait pour la Cour de déterminer, d’une part, si le droit de l’Union, notamment le principe de proportionnalité, autorise une législation nationale à sanctionner des manquements administratifs par l’application automatique du taux d’accise maximal, sans égard à l’utilisation réelle du produit. D’autre part, la Cour était interrogée sur la possibilité de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée le montant d’un tel supplément d’accise infligé à titre de sanction, en l’absence de toute opération imposable correspondante.

À ces deux questions, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge d’abord que la directive sur la taxation de l’énergie et le principe de proportionnalité s’opposent à une pratique nationale qui, pour sanctionner de simples irrégularités formelles, applique le taux d’accise le plus élevé indépendamment de l’usage effectif du produit. Elle considère ensuite que la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée interdit de percevoir cette taxe sur un supplément d’accise punitif lorsque celui-ci ne constitue pas la contrepartie d’une livraison de biens.

Cette décision conduit ainsi à examiner la primauté du principe de proportionnalité dans l’application des sanctions fiscales (I), avant d’analyser la stricte délimitation de l’assiette de la taxe sur la valeur ajoutée (II).

I. La censure d’une sanction disproportionnée en matière de droits d’accise

La Cour de justice encadre strictement le pouvoir de sanction des États membres en matière de droits d’accise en exigeant que la pénalité soit corrélée à la gravité de l’infraction commise (A), ce qui renforce la portée du contrôle de proportionnalité sur les prérogatives fiscales nationales (B).

A. L’exigence d’une sanction corrélée à l’infraction commise

La Cour de justice rappelle que les sanctions établies par les États membres pour assurer le respect des obligations découlant du droit de l’Union doivent être effectives, dissuasives et proportionnées. En l’occurrence, la sanction consistait à substituer le taux d’accise applicable aux produits énergétiques utilisés comme combustible par le taux, significativement plus élevé, du gazole destiné à être utilisé comme carburant. Or, cette mesure était déclenchée par de simples manquements procéduraux, à savoir l’absence de notification de la réintroduction des produits et des omissions dans la documentation comptable.

La Cour estime que de telles omissions formelles ne sauraient, à elles seules, justifier une requalification fiscale aussi lourde. Elle énonce clairement que la directive et le principe de proportionnalité « s’opposent à des dispositions ou à des pratiques nationales en vertu desquelles […] l’absence de notification […] ainsi que l’absence, dans les notes de réception et les factures d’extourne […], d’indications portant sur le marquage et la coloration desdits produits entraînent, à titre de sanction […], l’application aux mêmes produits, quelle que soit leur utilisation réelle, du taux d’accise plus élevé ». Ce faisant, la Cour distingue nettement l’irrégularité administrative de la fraude fiscale avérée. Une telle sanction automatique revient à instaurer une présomption irréfragable de fraude, ce qui est contraire au principe de proportionnalité car elle ne permet pas à l’opérateur d’apporter la preuve de l’utilisation réelle, et donc du régime de taxation normalement applicable.

B. La portée du contrôle de proportionnalité sur les prérogatives fiscales nationales

En censurant cette pratique, la Cour de justice réaffirme que la compétence des États membres en matière de sanctions fiscales, bien que réelle, n’est pas discrétionnaire et demeure soumise au contrôle du juge de l’Union. La décision souligne que si les États ont le droit de mettre en place des procédures de contrôle pour prévenir l’évasion fiscale, les conséquences d’un manquement à ces procédures ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. L’application d’un taux d’accise punitif, sans aucun lien avec le risque fiscal réel ou le préjudice subi par le Trésor public, constitue une mesure manifestement excessive.

Cette solution a pour portée de protéger les opérateurs économiques contre l’arbitraire des administrations fiscales nationales. Elle les assure qu’une simple erreur de procédure ne peut être assimilée d’office à une tentative de fraude. La Cour trace ainsi une frontière claire entre le pouvoir de contrôle légitime et l’imposition d’une pénalité qui, par sa nature et son ampleur, s’apparente à une redéfinition de l’impôt dû en dehors des conditions fixées par la directive. Cela garantit une application uniforme du droit fiscal de l’Union et préserve l’équilibre du système harmonisé de taxation des produits énergétiques.

Outre la question des droits d’accise, la Cour a dû se prononcer sur la légalité de l’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée sur ce supplément d’impôt, ce qui l’a conduite à rappeler les principes fondamentaux régissant cette taxe.

II. Le rejet de l’assujettissement à la TVA d’une majoration punitive

La Cour prolonge son raisonnement en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en rappelant que son champ d’application est strictement défini (A), ce qui confirme la distinction fondamentale entre une pénalité fiscale et une opération imposable (B).

A. Le rappel de l’assiette de la taxe sur la valeur ajoutée

La seconde partie de la décision s’attache à la nature même de la TVA. Conformément à la directive 2006/112/CE, la TVA est un impôt sur la consommation qui frappe les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti. Son assiette est constituée par la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur en échange de l’opération. Or, dans le cas d’espèce, l’administration nationale a calculé la TVA sur un montant qui ne correspondait à aucune transaction économique réelle. Le supplément d’accise n’était pas le prix d’un bien, mais une sanction administrative.

La Cour en déduit logiquement que la directive TVA « s’opposent à des dispositions ou à des pratiques nationales en vertu desquelles […] la taxe sur la valeur ajoutée est due sur le montant fixé par l’autorité fiscale à titre de supplément d’accise ». Pour que la TVA soit exigible, il aurait fallu qu’une opération imposable ait eu lieu, à savoir « une livraison du produit énergétique concerné en vue de son utilisation comme carburant ». En l’absence d’une telle livraison, l’imposition de la TVA sur une pénalité est dépourvue de toute base légale au regard du droit de l’Union.

B. La confirmation de la nature distincte de la pénalité fiscale et de l’opération imposable

Cette décision revêt une portée significative en ce qu’elle consolide la distinction entre la sphère de la sanction et celle de l’imposition. Une pénalité, même si elle est de nature fiscale et calculée sur la base d’un impôt, ne constitue pas par elle-même une opération économique taxable à la TVA. Elle vise à punir un comportement et à dissuader sa répétition, tandis que la TVA a pour objet de taxer un flux économique. Confondre les deux reviendrait à dénaturer le mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée et à permettre aux États membres de créer artificiellement une base d’imposition.

En censurant cette pratique, la Cour de justice garantit la cohérence du système commun de TVA. Elle empêche que cet impôt ne soit utilisé comme un instrument accessoire de sanction, préservant ainsi sa logique économique de taxe sur la consommation. Cette solution renforce la sécurité juridique pour les entreprises, en leur assurant que leur exposition à la TVA dépend exclusivement de leurs opérations commerciales effectives, et non des sanctions administratives qui pourraient leur être infligées pour des manquements procéduraux. La décision circonscrit ainsi clairement les prérogatives des États membres et maintient l’intégrité de l’architecture fiscale de l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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