Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne constate la défaillance d’un État membre dans l’exercice de ses obligations normatives. En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure à l’encontre de la République d’Autriche, lui reprochant de ne pas avoir transposé en droit interne la directive 2006/43/CE relative aux contrôles légaux des comptes. Cette directive, adoptée le 17 mai 2006, visait à harmoniser les règles applicables à l’audit des comptes annuels et consolidés au sein de l’Union, et imposait aux États membres une obligation de mise en conformité de leurs législations nationales dans un délai déterminé. Face à l’inertie persistante de l’État autrichien, et après avoir suivi la procédure précontentieuse prévue par les traités, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si l’absence d’adoption, dans le délai imparti, des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition d’une directive constitue un manquement aux obligations qui incombent à un État membre en vertu du droit de l’Union. La Cour de justice répond par l’affirmative, en déclarant que « la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive ». Cette solution, bien que classique, confirme le caractère impératif de l’obligation de transposition (I) et illustre la portée d’un arrêt en manquement, qui constitue le préalable à d’éventuelles sanctions financières (II).
I. La sanction objective d’une méconnaissance de l’obligation de transposition
Le jugement de la Cour de justice repose sur une mécanique juridique bien établie, rappelant d’une part le caractère contraignant de la directive (A) et confirmant d’autre part le rôle de la Cour comme juge du manquement étatique (B).
A. Le caractère contraignant de l’obligation de transposition
La décision commentée tire sa justification première de la nature même de l’acte en cause. En vertu de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique pour l’État une obligation d’agir positivement afin d’intégrer les objectifs fixés par la directive dans son ordre juridique interne. L’abstention constitue en soi une faute. La Cour se limite ainsi à un constat objectif : le délai prescrit est expiré et les mesures nationales nécessaires n’ont pas été intégralement adoptées. La formulation retenue par l’arrêt est à cet égard dénuée de toute ambiguïté, puisqu’elle vise le simple fait de ne pas avoir agi « dans le délai prescrit ». Le manquement est donc matériellement constitué par la seule inaction de l’État, sans qu’il soit nécessaire pour la Cour d’apprécier les raisons ou les éventuelles difficultés internes justifiant ce retard.
B. L’office du juge de l’Union dans le cadre du recours en manquement
Le présent arrêt illustre la fonction primordiale de gardienne des traités dévolue à la Commission européenne, qui dispose du monopole de l’initiative en matière de recours en manquement au titre de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La procédure se déroule en deux temps : une phase précontentieuse, durant laquelle la Commission dialogue avec l’État membre pour l’amener à se conformer, puis une phase contentieuse devant la Cour si le manquement persiste. La décision rendue par la Cour est de nature déclaratoire. Elle ne fait que constater officiellement la violation du droit de l’Union par l’État membre concerné. En jugeant que « la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent », la Cour exerce son office avec une rigueur formelle. Le caractère objectif du contrôle opéré explique la motivation concise de l’arrêt, qui se concentre sur la seule existence de la défaillance étatique au jour de l’expiration du délai de transposition. La condamnation aux dépens qui accompagne cette déclaration est la conséquence procédurale logique de la défaite de l’État défendeur.
Cette décision, par sa simplicité apparente, réaffirme des principes fondamentaux du droit de l’Union. Elle possède cependant une portée qui dépasse le simple constat, en ce qu’elle conditionne l’efficacité future du droit européen.
II. La portée d’un arrêt en manquement, préalable à une exécution forcée
Si cet arrêt peut être qualifié de décision d’espèce par son objet, il n’en demeure pas moins le reflet d’un principe essentiel au fonctionnement de l’Union (A). Il constitue en outre une étape nécessaire avant le déclenchement éventuel de sanctions plus coercitives (B).
A. Une décision d’espèce, illustration d’un principe fondamental
L’arrêt commenté ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni n’établit de principe nouveau ; il s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle constante et abondante relative à l’obligation de transposition des directives. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits, à savoir l’inertie d’un État membre face à une obligation claire et inconditionnelle. Cependant, la valeur de ce type de décision réside dans sa fonction pédagogique et comminatoire. Elle rappelle à l’ensemble des États membres que les obligations découlant du droit de l’Union ne sont pas de simples déclarations d’intention. Elle réaffirme le principe d’effectivité du droit de l’Union, qui serait vidé de sa substance si les États pouvaient librement s’abstenir de transposer les directives. En sanctionnant la défaillance de la République d’Autriche, la Cour garantit l’application uniforme de la législation européenne et préserve ainsi l’intégrité du marché intérieur que la directive 2006/43/CE visait précisément à renforcer.
B. L’ouverture d’une possible procédure en manquement sur manquement
La portée de la présente décision doit également s’analyser au regard de ses conséquences potentielles. L’arrêt déclaratoire prévu à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’emporte, en lui-même, aucune sanction pécuniaire. L’État membre condamné est simplement tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour dans les meilleurs délais. Si, malgré cette condamnation, l’État persiste dans son manquement, la Commission peut saisir à nouveau la Cour, dans le cadre de la procédure dite du « manquement sur manquement » prévue à l’article 260 du traité. À ce stade, et seulement à ce stade, la Cour peut infliger à l’État défaillant le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. La décision commentée constitue donc le premier maillon indispensable d’un processus coercitif graduel, conçu pour amener l’État à respecter ses engagements. Elle agit comme un avertissement solennel, dont la force contraignante est renforcée par la menace d’une sanction financière ultérieure en cas d’inexécution.