Cour de justice de l’Union européenne, le 25 février 2016, n°C-299/14

Dans l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’accès aux prestations d’assistance sociale pour les citoyens de l’Union européenne séjournant dans un autre État membre sans y exercer d’activité économique. Cette décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle visant à équilibrer le principe de libre circulation avec la nécessité de préserver la viabilité financière des systèmes de sécurité sociale nationaux.

En l’espèce, une ressortissante d’un État membre s’était installée dans un autre État membre pour y travailler. Quelques mois plus tard, son compagnon, ressortissant du même État membre d’origine, et le fils mineur de ce dernier l’ont rejointe. La famille a alors sollicité des prestations de subsistance au titre de la législation de l’État d’accueil. Cette demande fut rejetée pour le compagnon et son fils pour les deux premiers mois de leur séjour, au motif qu’ils n’avaient pas la qualité de travailleur et séjournaient sur le territoire depuis moins de trois mois, conformément à une disposition légale nationale excluant de telles prestations dans cette situation.

Le tribunal du contentieux social de Gelsenkirchen, saisi par la famille, avait accueilli le recours en écartant les motifs d’exclusion prévus par la loi nationale. L’organisme social compétent a interjeté appel de ce jugement devant le tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Cette juridiction, doutant de la compatibilité de l’exclusion automatique avec le droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était demandé, en substance, si le droit de l’Union, et notamment le principe de non-discrimination, s’oppose à une réglementation nationale qui exclut du bénéfice de certaines prestations sociales les citoyens d’autres États membres durant les trois premiers mois de leur séjour, lorsqu’ils ne sont pas économiquement actifs.

La Cour répond par la négative, jugeant que les États membres peuvent légitimement refuser l’octroi de prestations d’assistance sociale aux citoyens de l’Union économiquement inactifs durant cette période initiale de séjour. Elle considère qu’une telle exclusion est une faculté offerte par le droit de l’Union lui-même pour maintenir l’équilibre financier des systèmes d’assistance sociale nationaux.

I. La confirmation de la faculté pour les États membres d’exclure les citoyens inactifs de l’assistance sociale initiale

La Cour fonde son raisonnement sur une interprétation stricte des conditions d’application du principe d’égalité de traitement (A), qu’elle applique à la situation spécifique du séjour de courte durée en validant une exclusion automatique de certaines prestations (B).

A. La subordination du principe d’égalité de traitement à la régularité du séjour

La Cour rappelle avec constance que l’accès à l’égalité de traitement en matière de prestations sociales est conditionné par la légalité du séjour du citoyen de l’Union sur le territoire de l’État membre d’accueil. Elle réaffirme ainsi que « un citoyen de l’Union ne peut réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil en vertu de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 que si son séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil respecte les conditions de la directive 2004/38 ». Cette approche subordonne donc le bénéfice de la solidarité nationale à l’existence d’un droit de séjour conforme aux exigences du droit de l’Union.

La Cour souligne que l’objectif de la directive est d’éviter que les citoyens de l’Union ne deviennent une « charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil ». Permettre à des personnes ne remplissant pas les conditions de séjour d’accéder sans restriction aux prestations sociales contreviendrait à cet objectif fondamental. En l’espèce, si le compagnon de la travailleuse et son fils bénéficiaient bien d’un droit de séjour pour une période allant jusqu’à trois mois en vertu de l’article 6 de la directive, ce droit de séjour initial est précaire et n’ouvre pas un accès inconditionnel à l’ensemble des prestations sociales. La Cour établit ainsi une hiérarchie claire entre le droit de séjour et les droits sociaux qui en découlent, le premier conditionnant les seconds.

B. L’application de la dérogation relative au séjour de courte durée sans examen individuel

S’agissant spécifiquement des trois premiers mois de séjour, la Cour constate que le droit de l’Union autorise expressément les États membres à déroger au principe d’égalité de traitement. Elle se fonde sur l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, dont il ressort que « l’État membre d’accueil peut refuser d’accorder à une des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non-salariés ou celles qui gardent ce statut toute prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ». Cette disposition constitue une exception claire et explicite au principe de non-discrimination.

De manière notable, la Cour précise qu’un tel refus ne nécessite pas un examen individuel de la situation du demandeur. Alors que dans d’autres contextes, comme l’éloignement, une appréciation des circonstances personnelles est requise, elle estime qu’elle ne s’impose pas ici. L’exclusion automatique est justifiée par la nécessité de garantir « un niveau élevé de sécurité juridique et de transparence », en permettant aux citoyens comme aux administrations de connaître leurs droits et obligations sans ambiguïté. Cette approche formaliste privilégie la clarté de la règle sur une analyse au cas par cas, qui pourrait s’avérer complexe et source d’incertitude juridique pour une période de séjour aussi brève.

II. La portée d’une solution rigoureuse au service de l’équilibre financier des systèmes sociaux nationaux

La décision de la Cour s’inscrit dans une logique de préservation des finances publiques nationales (A) et vient consolider une jurisprudence restrictive à l’égard des citoyens de l’Union qui ne participent pas à la vie économique de l’État d’accueil (B).

A. La primauté de l’objectif de préservation des finances publiques nationales

La Cour justifie la dérogation de l’article 24, paragraphe 2, par la finalité même de la directive, qui est de préserver l’équilibre financier des systèmes d’assistance sociale. Pour un séjour de moins de trois mois, les États membres ne peuvent exiger des citoyens de l’Union qu’ils disposent de ressources suffisantes ou d’une assurance maladie. En contrepartie de cette facilité d’entrée et de séjour, « il est légitime de ne pas imposer auxdits États membres de prendre ces citoyens en charge durant cette période ». Le raisonnement repose sur une forme de réciprocité : l’absence de conditions à l’entrée justifie l’absence de droits sociaux complets.

Cette solution réaffirme que la solidarité de l’Union n’est pas sans limites et que les États membres conservent une maîtrise importante de l’accès à leurs prestations non contributives. La Cour écarte l’argument selon lequel l’aide accordée à un seul individu ne saurait constituer une « charge déraisonnable », en rappelant que cette charge doit s’apprécier globalement, par l’addition de l’ensemble des demandes individuelles. En validant une règle d’exclusion générale et non conditionnée, la Cour fournit aux États un outil efficace pour contrôler les dépenses sociales liées à la libre circulation des personnes économiquement inactives.

B. Le renforcement d’une jurisprudence restrictive à l’égard des citoyens de l’Union en recherche d’intégration

Cet arrêt s’inscrit dans le sillage de décisions antérieures, notamment les arrêts *Dano* et *Alimanovic*, qui ont progressivement restreint l’accès aux prestations sociales pour les citoyens de l’Union économiquement inactifs. La Cour confirme ici que la directive 2004/38 établit un « système graduel du maintien du statut de travailleur qui vise à sécuriser le droit de séjour et l’accès aux prestations sociales ». Ce système graduel implique que les droits sociaux s’acquièrent avec le temps et le degré d’intégration dans l’État d’accueil, notamment par l’exercice d’une activité économique.

La solution retenue crée une distinction nette entre les citoyens qui s’intègrent par le travail et ceux qui ne le font pas. Pour ces derniers, l’accès à la solidarité nationale est différé et conditionné. En validant l’exclusion automatique durant les trois premiers mois, la Cour envoie un signal clair : la libre circulation est avant tout un droit au service de la mobilité économique. Pour les citoyens qui ne s’inscrivent pas dans cette logique, le droit de séjour ne s’accompagne que de droits limités, renforçant ainsi la vision d’une citoyenneté européenne à plusieurs vitesses, où les droits sociaux sont étroitement liés à la contribution économique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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