Cour de justice de l’Union européenne, le 25 janvier 2024, n°C-722/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 25 janvier 2024, une décision interprétant les articles 1er et 2 de la décision-cadre 2005/212.

Le litige trouve son origine dans la condamnation définitive de plusieurs membres d’un groupe criminel organisé pour le transport de produits sans timbre fiscal.

La juridiction de renvoi, le Sofiyski gradski sad de Sofia, s’interroge sur la possibilité de confisquer le tracteur de semi-remorque et la remorque utilisés.

La Cour suprême de cassation de Bulgarie avait précédemment jugé que de tels véhicules ne constituaient pas des instruments de l’infraction de détention illégale.

Le juge de première instance soutient toutefois que le transport manifeste le pouvoir effectif exercé sur la marchandise et justifie une mesure de dépossession.

La Cour doit déterminer si un véhicule de transport de produits soumis à accise sans timbre constitue un instrument au sens du droit de l’Union.

Les juges luxembourgeois répondent par l’affirmative, soulignant que la notion recouvre « tous objets employés ou destinés à être employés, de quelque façon que ce soit ».

L’étude de cette solution conduit à analyser l’étendue de la notion d’instrument avant d’appréhender les modalités de son intégration dans l’ordre juridique interne.

I. L’unité sémantique de la notion d’instrument au sein de l’espace judiciaire européen

La Cour fonde son raisonnement sur une analyse littérale de l’article 1er de la décision-cadre pour définir précisément les contours de l’instrument pénal.

A. Une acception matérielle indifférente au mode d’utilisation de l’objet

La Cour rappelle que la disposition européenne vise « tous objets employés ou destinés à être employés, de quelque façon que ce soit, en tout ou partie ».

Cette formulation large interdit aux États membres de restreindre la qualification d’instrument selon la fonction spécifique exercée par l’objet durant le crime.

Peu importe que le véhicule serve principalement au transport, au stockage ou à la dissimulation des marchandises illicites saisies par les autorités nationales.

L’instrumentalité découle uniquement du lien de causalité entre l’usage de la chose et la réalisation matérielle de l’infraction de détention de produits taxables.

Le droit de l’Union privilégie ainsi une approche pragmatique destinée à faciliter le gel et la confiscation des avoirs issus de la criminalité organisée.

B. L’alignement de la qualification sur la gravité de la peine encourue

L’obligation de confiscation prévue à l’article 2 s’applique aux infractions passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an.

En l’espèce, le code pénal bulgare réprime la détention de quantités importantes de produits soumis à accise par une peine de deux à huit ans.

L’infraction entre donc pleinement dans le champ d’application matériel du texte européen tel que l’a relevé la huitième chambre de la Cour.

Dès lors que le seuil de gravité est atteint, l’État membre doit impérativement permettre la confiscation de tout ou partie des instruments utilisés.

Le juge national ne peut s’écarter de cette obligation en instaurant des distinctions techniques non prévues par le législateur de l’Union européenne.

Cette interprétation uniforme de l’instrument pénal conditionne alors l’obligation pour les juges nationaux de garantir l’effectivité des normes européennes dans leurs ordres juridiques.

II. La mise en œuvre des objectifs européens par les juridictions nationales

L’application concrète de cette définition impose une articulation rigoureuse entre la primauté du droit de l’Union et la protection des droits individuels fondamentaux.

A. La subordination de la jurisprudence interne au principe d’interprétation conforme

La décision souligne que le caractère contraignant des décisions-cadres impose aux juridictions nationales d’interpréter leur droit interne à la lumière du texte européen.

Cette obligation d’interprétation conforme s’oppose au maintien d’une jurisprudence nationale constante si celle-ci s’avère incompatible avec les objectifs poursuivis par l’Union.

Le juge bulgare doit donc laisser inappliquée l’interprétation de sa propre Cour suprême de cassation pour assurer la pleine efficacité du droit européen.

Cette exigence demeure néanmoins limitée par les principes généraux de sécurité juridique et de non-rétroactivité afin de ne pas aggraver la responsabilité pénale.

Toutefois, la Cour précise que la confiscation des instruments intervient souvent indépendamment de la responsabilité pénale directe, ce qui facilite l’application de la règle.

L’autorité de la chose jugée au niveau national ne saurait ainsi faire obstacle au rétablissement de la légalité européenne par le juge du fond.

B. La préservation nécessaire des droits fondamentaux des tiers propriétaires

L’application de la mesure de confiscation doit impérativement respecter les droits fondamentaux consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour rappelle notamment la nécessité de protéger le droit de propriété contre les atteintes disproportionnées ou arbitraires émanant des autorités de poursuite.

Une confiscation ne saurait légalement porter atteinte aux biens d’un « tiers de bonne foi, qui ne savait pas et ne pouvait pas savoir ».

Le juge national doit vérifier que le propriétaire n’avait aucune connaissance de l’usage criminel de son véhicule au moment de la commission des faits.

Les personnes affectées par cette mesure, qu’elles soient condamnées ou tiers, doivent disposer de voies de recours effectives pour préserver leurs intérêts légitimes.

Cet équilibre entre efficacité répressive et garanties individuelles assure la validité des mesures de confiscation au regard des standards démocratiques de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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