Cour de justice de l’Union européenne, le 25 juillet 2018, n°C-164/17

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 25 juillet 2018, précise l’articulation entre les mesures d’atténuation et les mesures compensatoires. Cette décision interprète l’article 6 de la directive 92/43 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

Un projet de parc éolien est envisagé sur le territoire d’une zone de protection spéciale classée pour abriter l’habitat naturel du busard Saint-Martin. Ce site forestier présente une configuration évolutive où les surfaces propices à l’espèce varient selon les cycles de coupe et de replantation des arbres.

L’autorité nationale compétente a autorisé les travaux au motif que le projet ne portait pas atteinte à l’intégrité de la zone protégée. Cette décision s’appuyait sur un plan de gestion garantissant que la surface totale propre à abriter l’espèce ne serait pas réduite durablement.

Les requérants ont contesté cette autorisation devant la juridiction de premier degré, puis devant la juridiction suprême nationale qui a saisi la Cour de justice. Le litige porte sur la qualification juridique des mesures visant à compenser la perte temporaire d’habitat par la création de zones d’alimentation nouvelles.

La Cour doit déterminer si des mesures de gestion globale du site peuvent être prises en compte lors de l’évaluation appropriée des incidences du projet. Elle juge que de tels dispositifs relèvent exclusivement des mesures compensatoires en raison du caractère incertain et futur des bénéfices écologiques promis.

L’analyse de cette solution conduit à distinguer la qualification des mesures de protection au regard de l’article 6 (I) avant d’apprécier la rigueur de l’exigence de certitude scientifique (II).

**I. La distinction rigoureuse entre mesures d’atténuation et mesures compensatoires**

**A. L’exclusion des bénéfices futurs de l’évaluation appropriée**

L’évaluation au titre de l’article 6 paragraphe 3 de la directive doit s’assurer que le projet « ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné ». Cette analyse suppose d’identifier tous les aspects du projet pouvant affecter les objectifs de conservation de la zone de manière significative.

La Cour refuse de prendre en compte des mesures de gestion qui reposent sur une « prémisse identique de bénéfices futurs qui viendraient remédier aux effets » négatifs. Ces bénéfices sont jugés trop incertains au stade de l’évaluation initiale car leur mise en œuvre concrète n’est pas encore totalement achevée.

Par conséquent, les interventions visant à recréer un habitat fonctionnel ailleurs sur le site ne peuvent pas être qualifiées de mesures d’atténuation. Elles ne limitent pas les impacts négatifs directs mais tentent seulement de les contrebalancer par des améliorations environnementales différées dans le temps.

**B. La qualification de mesures compensatoires au sens de l’article 6 paragraphe 4**

L’article 6 paragraphe 4 prévoit un régime dérogatoire permettant la réalisation d’un projet malgré des conclusions négatives lors de l’évaluation des incidences. L’État membre doit alors prendre toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale du réseau Natura 2000 est protégée.

La Cour considère que la création de nouvelles zones d’alimentation pour le busard Saint-Martin répond précisément à cette définition juridique de compensation écologique. Ces mesures n’empêchent pas la destruction de l’habitat existant mais visent à maintenir la capacité globale du site après la réalisation des travaux.

Toutefois, le recours à ce paragraphe exige l’absence de solutions alternatives et l’existence de raisons impératives d’intérêt public majeur pour le projet envisagé. L’autorité nationale ne peut donc pas contourner ces conditions strictes en qualifiant indûment des mesures compensatoires de simples mesures d’atténuation technique.

**II. La prévalence du principe de précaution dans la gestion des habitats dynamiques**

**A. L’impératif de certitude scientifique lors de l’autorisation**

L’autorisation d’un projet ne peut intervenir que s’il ne subsiste aucun doute raisonnable d’un point de vue scientifique concernant l’absence d’effets préjudiciables. L’évaluation appropriée doit contenir des « constatations et des conclusions complètes, précises et définitives » de nature à dissiper toute incertitude technique majeure.

Dans cette espèce, la disparition permanente de neuf hectares d’habitat et la suppression temporaire d’autres surfaces boisées constituent des atteintes certaines à l’intégrité. Les mesures de restauration proposées ne permettent pas de garantir avec une certitude absolue que l’espèce protégée ne subira aucun préjudice.

Le juge européen rappelle ainsi que le principe de précaution interdit de parier sur la réussite future d’une gestion dynamique de l’espace naturel protégé. La certitude requise doit exister au moment de l’adoption de la décision autorisant la réalisation des travaux sur le territoire concerné.

**B. La protection de l’intégrité fonctionnelle des sites protégés**

L’intégrité d’un site suppose son maintien dans un état de conservation favorable, ce qui implique le maintien durable de ses caractéristiques biologiques constitutives. La circonstance que l’habitat soit en constante mutation naturelle ne justifie pas une baisse du niveau de protection juridique de la zone.

La Cour souligne que l’incertitude naît ici de l’inclusion de bénéfices futurs résultant de mesures qui ne sont qu’éventuelles au stade de l’examen préalable. La gestion dynamique ne saurait servir de prétexte à une évaluation laxiste qui ignorerait les pertes immédiates de surfaces de reproduction.

En définitive, le projet doit respecter la procédure spécifique de l’article 6 paragraphe 4 si l’atteinte à l’intégrité ne peut être évitée par des mesures d’atténuation certaines. Cette interprétation stricte garantit une protection effective des espèces vulnérables contre les pressions économiques liées au développement des infrastructures énergétiques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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