Par un arrêt rendu en matière de manquement sur manquement, la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités de condamnation d’un État membre n’ayant pas exécuté une première décision constatant une violation de ses obligations. En l’espèce, un État membre avait fait l’objet d’un premier arrêt de la Cour, rendu le 14 avril 2011, pour ne pas avoir respecté les exigences de la directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires dans plusieurs de ses agglomérations. L’État n’ayant que partiellement exécuté cette décision, la Commission a engagé une nouvelle procédure en manquement sur la base de l’article 260, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Après une phase précontentieuse, la Commission a saisi la Cour de justice, estimant que l’État membre n’avait toujours pas adopté les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de 2011. Elle demandait à la Cour de constater le manquement et de condamner l’État au paiement d’une astreinte journalière ainsi que d’une somme forfaitaire. L’État membre mis en cause contestait le manquement pour une seule agglomération et soutenait avoir remédié à la situation pour plusieurs autres après l’introduction du recours, tout en invoquant des difficultés internes et les efforts financiers consentis pour justifier les retards persistants.
Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si le manquement à l’obligation d’exécuter l’arrêt de 2011 était caractérisé et, le cas échéant, de définir les sanctions pécuniaires appropriées à l’encontre de l’État membre défaillant.
La Cour de justice constate que l’État membre a effectivement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, du traité, en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt initial. En conséquence, elle prononce une double sanction pécuniaire, consistant en une somme forfaitaire substantielle pour sanctionner la persistance de l’infraction passée, et une astreinte semestrielle dégressive pour contraindre l’État à se mettre en conformité pour l’avenir.
La Cour consacre ainsi la persistance d’un manquement justifiant des sanctions financières (I), tout en procédant à une modulation pragmatique de ces dernières (II).
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I. La consécration d’un manquement continu justifiant des sanctions financières
La Cour de justice établit sans équivoque la persistance du manquement de l’État membre en s’appuyant sur une application stricte des règles procédurales du recours en manquement. Elle réaffirme pour ce faire l’autorité de la chose jugée qui s’attache à son premier arrêt (A), avant de fixer temporellement son appréciation du manquement à une date précise (B).
A. L’intangibilité du manquement initialement constaté
La Cour rappelle d’abord que la procédure prévue à l’article 260 du traité n’a pas pour objet de réexaminer le bien-fondé du manquement initial. L’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 14 avril 2011 s’oppose à toute remise en cause des violations déjà constatées. Ainsi, l’argument de l’État membre concernant la nécessité de réaménager le territoire d’une agglomération est jugé inopérant, la Cour se contentant de souligner que « cette violation a d’ores et déjà été constatée ». Cette position réitère un principe fondamental du contentieux de l’Union, selon lequel les difficultés d’ordre interne, qu’elles soient administratives, juridiques ou économiques, ne sauraient justifier l’inexécution d’un arrêt de la Cour.
En outre, la Cour écarte les justifications de l’État membre relatives aux efforts entrepris, car seule une exécution complète et rapide de l’arrêt est susceptible de mettre fin au manquement. Le simple fait d’engager des travaux ou de planifier des mesures ne suffit pas à éteindre l’infraction. La Cour se montre donc inflexible sur le principe même du manquement, qui perdure aussi longtemps que les obligations découlant de la directive et confirmées par l’arrêt initial ne sont pas intégralement respectées sur le terrain. Cette rigueur garantit l’effectivité des décisions de justice de l’Union et prévient toute tentative des États membres de se soustraire à leurs obligations par des manœuvres dilatoires.
B. La cristallisation de l’appréciation du manquement dans le temps
Pour déterminer l’existence du manquement au jour de sa saisine, la Cour précise le moment auquel elle se place pour évaluer la situation. Conformément à une jurisprudence établie, elle retient « comme date de référence pour apprécier l’existence d’un tel manquement celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure ». En l’espèce, ce délai expirait le 31 juillet 2013. À cette date, il est constant que l’État membre n’avait pas remédié à la situation dans les dix-sept agglomérations visées par le recours de la Commission. Les mises en conformité intervenues postérieurement à cette date, bien que prises en compte pour moduler les sanctions, sont sans incidence sur la constatation même du manquement.
Cette approche formaliste mais prévisible offre une sécurité juridique aux parties. Elle incite les États membres à agir promptement dès la réception de la lettre de mise en demeure, sous peine de voir le manquement automatiquement constaté. La Cour refuse également de se laisser entraîner dans un débat sur la preuve de la conformité qui serait apportée en cours d’instance pour effacer le manquement. Par exemple, concernant l’agglomération de Tarifa, elle juge que « des échantillons prélevés en dehors de la période estivale, où la charge est la plus élevée, ne sauraient être considérés comme satisfaisant aux exigences de la directive ». Cette exigence de preuve rigoureuse confirme que la charge de démontrer une exécution pleine et entière pèse exclusivement sur l’État membre.
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II. Le prononcé de sanctions pécuniaires adaptées à la persistance de l’infraction
Une fois le manquement établi, la Cour exerce son large pouvoir d’appréciation pour fixer des sanctions pécuniaires qui soient à la fois dissuasives et proportionnées. Elle opte pour le cumul d’une somme forfaitaire et d’une astreinte (A), dont elle module les montants en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce (B).
A. Le cumul d’une sanction répressive et d’une mesure coercitive
La Cour de justice confirme sa faculté d’imposer cumulativement une somme forfaitaire et une astreinte, chacune répondant à une finalité distincte. La somme forfaitaire, fixée en l’espèce à douze millions d’euros, a une fonction essentiellement répressive. Elle vise à sanctionner la persistance de l’infraction depuis le premier arrêt jusqu’au jour du prononcé du second. Son objectif est de dissuader l’État membre, ainsi que les autres, de répéter de telles infractions. La Cour justifie son imposition par la nécessité d’adopter « une mesure dissuasive » face à une infraction persistante qui révèle un problème structurel, comme en témoigne l’existence de « nombreuses procédures en manquement à l’encontre du Royaume d’Espagne dans ce domaine ».
Parallèlement, l’astreinte a une nature coercitive. Elle est conçue pour inciter l’État membre à mettre fin au manquement le plus rapidement possible. Son paiement est dû pour chaque période de retard suivant le prononcé de l’arrêt. La Cour considère que l’infliction d’une astreinte « ne se justifie, en principe, que pour autant que perdure le manquement ». Constatant que neuf agglomérations n’étaient toujours pas en conformité au jour de l’audience, elle juge cette mesure indispensable pour assurer l’exécution complète de l’arrêt de 2011. Le cumul des deux sanctions permet ainsi de répondre de manière complète et effective à la double nature du manquement sur manquement : une défaillance passée qui doit être punie et une inertie présente qui doit cesser.
B. La modulation des sanctions au regard des efforts de l’État membre
Tout en faisant preuve de fermeté sur le principe des sanctions, la Cour module leurs montants pour tenir compte de la spécificité de la situation. Elle ne suit que partiellement les propositions chiffrées de la Commission, rappelant que ses communications « ne lient pas la Cour ». Pour déterminer le montant de l’astreinte et de la somme forfaitaire, la Cour prend en considération la gravité et la durée de l’infraction, ainsi que la capacité de paiement de l’État. Elle qualifie l’infraction de particulièrement grave en raison des risques pour l’environnement et la santé humaine. La durée, plus de sept ans depuis le premier arrêt, est jugée « considérable ».
Cependant, la Cour tempère son analyse en reconnaissant les « efforts importants » consentis par l’État membre, qui ont permis de réduire significativement le nombre d’agglomérations non conformes. C’est pourquoi elle opte pour une astreinte dégressive, calculée sur une base semestrielle. Le montant de 10 950 000 euros par semestre sera réduit proportionnellement au nombre d’équivalents-habitants mis en conformité au cours de chaque période. Ce mécanisme incitatif et pragmatique encourage une exécution par étapes, tout en maintenant une pression financière constante. La Cour parvient ainsi à un équilibre entre la nécessité d’assurer l’effectivité du droit de l’Union et la prise en compte des efforts réels accomplis par l’État membre défaillant.