L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif au remboursement de droits à l’importation. En l’espèce, une société avait importé des tissus en provenance de Lettonie sous le couvert de certificats d’origine EUR.1, lui permettant de bénéficier d’un régime douanier préférentiel. Plusieurs années après ces opérations, les autorités douanières lettones, à l’issue d’un contrôle a posteriori, ont informé les autorités allemandes que les certificats en question devaient être considérés comme n’ayant pas été émis par leurs services, entraînant ainsi une demande de paiement des droits de douane à l’encontre de l’opérateur économique. S’estimant victime d’une situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes, la société a sollicité une remise de sa dette douanière auprès de la Commission européenne. Cette dernière a rejeté la demande, estimant qu’aucune situation particulière n’était établie.
La société a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne, qui a annulé la décision de la Commission par un arrêt du 19 juillet 2017. Le Tribunal a jugé que la Commission avait manqué à son obligation de surveillance, car elle aurait dû mener des investigations plus approfondies compte tenu de plusieurs indices suspects, tels que des rapports faisant état de corruption au sein des douanes lettones, la condamnation pénale d’un de leurs directeurs adjoints et des expertises suggérant l’authenticité de certains cachets douaniers. La Commission a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de justice.
La question de droit soumise à la Cour portait sur la force probante des constatations effectuées par les autorités douanières d’un pays tiers exportateur dans le cadre d’un contrôle a posteriori. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si la Commission, saisie d’une demande de remise de droits, est tenue de s’écarter des conclusions claires et univoques de ces autorités au motif qu’il existerait des indices circonstanciés de nature à jeter un doute sur la fiabilité de leurs services.
La Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal. Elle juge que le système de coopération administrative repose sur un principe de confiance mutuelle, en vertu duquel les conclusions des autorités du pays d’exportation s’imposent en principe à la Commission. Selon la Cour, les indices relevés par le Tribunal n’étaient pas de nature à renverser ce principe, dès lors que les réponses des autorités lettones étaient dépourvues d’ambiguïté et d’incohérence. Par conséquent, en exigeant de la Commission qu’elle mène des investigations supplémentaires, le Tribunal a commis une erreur de qualification juridique des faits.
La solution retenue par la Cour de justice réaffirme avec force la primauté du principe de confiance mutuelle qui structure la coopération douanière internationale (I), tout en définissant de manière restrictive l’obligation d’enquête qui pèse sur la Commission en présence d’allégations de fraude (II).
I. La primauté maintenue de la confiance mutuelle dans la coopération administrative douanière
La Cour de justice fonde sa décision sur le principe cardinal de la confiance mutuelle, rappelant la force probante qui s’attache en principe aux contrôles effectués par les autorités du pays exportateur (A). Elle en fait une application rigoureuse en l’espèce, refusant de laisser un simple contexte de suspicion généralisée ébranler ce fondement du système douanier (B).
A. Le rappel du principe de la force probante des contrôles a posteriori
La Cour commence son raisonnement par une réaffirmation de sa jurisprudence constante. Elle énonce que « le système de coopération administrative mis en place par un protocole […] repose sur une confiance mutuelle entre les autorités des États membres d’importation et celles du pays d’exportation ». Ce principe est la clé de voûte de l’efficacité et de l’uniformité des régimes préférentiels conclus par l’Union. Il implique une répartition claire des compétences, où les autorités du pays d’exportation sont les mieux placées pour vérifier l’origine des produits et l’authenticité des certificats qu’elles délivrent.
En conséquence logique de cette confiance, la Cour en déduit que « les conclusions et les appréciations portées légalement par les autorités de ce dernier s’imposent, en principe, aux autorités de l’État membre d’importation ». Cette force probante n’est pas une simple présomption, mais une obligation qui pèse sur les autorités de l’Union, y compris la Commission lorsqu’elle statue sur une demande de remise de droits. En agissant au titre de l’article 239 du code des douanes, la Commission se substitue en quelque sorte aux autorités nationales d’importation et se trouve donc soumise aux mêmes contraintes, ce qui garantit une application cohérente du droit douanier.
B. L’application rigoureuse du principe en dépit d’un contexte de suspicion
Le Tribunal avait estimé que plusieurs indices, tels que des rapports sur la corruption ou la condamnation d’un fonctionnaire, justifiaient de déroger à ce principe. La Cour de justice censure cette analyse, considérant que de tels éléments ne suffisent pas à remettre en cause des constatations claires et répétées des autorités partenaires. Elle relève notamment que la confirmation de l’invalidité des certificats en 2007 a été émise par un autre fonctionnaire que celui condamné et à une époque où la Lettonie était déjà membre de l’Union. La Cour souligne que « force est de constater que ces éléments ne sauraient être déterminants en l’espèce ».
De même, la brièveté des réponses des autorités lettones ou l’absence de nouvelles vérifications lors de leur confirmation ne sauraient leur ôter leur valeur. La Cour rappelle que les autorités de l’Union sont liées par les résultats d’un contrôle a posteriori « même lorsque ceux-ci sont communiqués sans aucune motivation ». En refusant de considérer le faisceau d’indices comme suffisant pour écarter les conclusions des autorités lettones, la Cour opère une distinction nette entre des soupçons, même étayés, et la remise en cause formelle des actes d’une administration partenaire. Elle préserve ainsi la sécurité juridique et la prévisibilité du système de coopération administrative.
La position de la Cour, si elle peut paraître sévère pour l’opérateur économique, est dictée par la nécessité de préserver l’architecture des accords internationaux. Elle conduit à circonscrire précisément la portée de l’obligation d’enquête qui incombe à la Commission.
II. La portée restreinte de l’obligation d’enquête de la Commission face à de simples indices
L’arrêt précise les conditions dans lesquelles la Commission peut être tenue de mener des investigations propres. Il opère une distinction claire entre la présente affaire et les précédents où une telle obligation avait été reconnue (A), consacrant ainsi un refus de substituer systématiquement le contrôle de la Commission à celui des autorités nationales compétentes (B).
A. La distinction avec l’obligation d’investigation en cas de constats ambigus
Le Tribunal s’était largement appuyé sur l’arrêt C.A.S./Commission pour justifier l’obligation pour la Commission de prendre des mesures concrètes de vérification. Dans cette affaire antérieure, la Cour avait effectivement jugé qu’une omission de la Commission pouvait constituer une situation particulière. Toutefois, la Cour prend soin de distinguer les deux cas de figure. Elle rappelle que dans l’affaire C.A.S., l’obligation d’investiguer était justifiée par le fait que les autorités du pays d’exportation avaient formulé des appréciations « entachées d’ambiguïtés et d’incohérences ».
Or, dans la présente espèce, la Cour souligne que « l’arrêt attaqué ne comporte aucun élément selon lequel le Tribunal aurait constaté que les réponses fournies par les autorités douanières lettones présentaient un caractère ambigu ou incohérent ». Au contraire, ces autorités ont affirmé de manière constante et univoque ne pas avoir émis les certificats. Le seuil de déclenchement de l’obligation d’enquête de la Commission est donc l’existence d’une contradiction ou d’un manque de clarté objectif dans les réponses de l’autorité partenaire, et non la simple existence d’un doute sur la probité ou l’efficacité de cette dernière.
B. Le refus de substituer le contrôle de la Commission à celui des autorités nationales
En censurant l’analyse du Tribunal, la Cour de justice met en garde contre une dérive qui viderait de sa substance le mécanisme de coopération. Si des indices contextuels suffisaient à obliger la Commission à mener ses propres enquêtes sur l’authenticité de chaque certificat contesté, cela reviendrait à lui faire « substituer systématiquement son contrôle à celui de ces autorités ». Une telle solution méconnaîtrait la répartition des compétences et la confiance mutuelle qui fondent les accords d’association.
Cette position a une portée systémique importante. Elle confirme que la notion de « situation particulière » ne peut servir de prétexte pour contourner les règles de preuve et de coopération établies. La Cour préserve ainsi la division du travail entre les administrations, où le contrôle de l’origine relève de la responsabilité première du pays d’exportation. L’implication pour les opérateurs économiques est claire : ils ne peuvent espérer obtenir une remise de droits en se fondant sur de simples doutes quant à l’intégrité d’une administration étrangère, dès lors que les positions officielles de cette dernière sont formellement cohérentes. La charge de la preuve d’une ambiguïté manifeste pèse ainsi implicitement sur le demandeur.