Par un arrêt du 11 décembre 2012, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conséquences pécuniaires de l’inexécution prolongée d’une précédente décision en manquement. Un État membre avait manqué à son obligation de transposer intégralement une directive relative aux activités et à la surveillance des institutions de retraite professionnelle. Cette carence avait déjà été constatée par un premier arrêt de la Cour en date du 14 janvier 2010.
Face à la persistance de l’infraction, la Commission européenne a engagé un second recours, cette fois sur le fondement de l’article 260, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Après avoir adressé une lettre de mise en demeure à l’État membre concerné, fixant un délai pour se conformer, la Commission a saisi la Cour. Elle demandait la condamnation de l’État à une astreinte journalière ainsi qu’au paiement d’une somme forfaitaire pour la durée de l’infraction depuis le premier arrêt. L’État membre a finalement adopté la législation nécessaire pour se conformer, mais postérieurement à l’expiration du délai imparti dans la lettre de mise en demeure. En conséquence, la Commission a renoncé à sa demande d’astreinte mais a maintenu celle visant à l’infliction d’une somme forfaitaire.
Il était donc demandé aux juges de déterminer si l’inexécution persistante, bien que finalement résolue, d’un arrêt en manquement justifiait l’imposition d’une sanction pécuniaire, et selon quelles modalités cette sanction devait être évaluée.
La Cour constate le manquement de l’État membre, considérant que la date de référence pour apprécier l’infraction est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure. Elle le condamne en conséquence au paiement d’une somme forfaitaire, dont elle fixe souverainement le montant à un niveau bien inférieur à celui proposé par la requérante, en considération des particularités de l’affaire.
La décision de la Cour établit ainsi clairement le principe d’une sanction pour sanctionner le retard dans l’exécution (I), tout en exerçant son plein pouvoir d’appréciation pour en moduler le montant au regard des circonstances concrètes de l’infraction (II).
***
I. La consécration d’un manquement justifiant le principe d’une sanction pécuniaire
L’arrêt confirme avec rigueur la qualification du manquement à l’obligation d’exécuter une décision de justice de l’Union (A), ce qui justifie le principe même d’une condamnation pécuniaire malgré la mise en conformité tardive de l’État membre (B).
A. L’inéluctable constat de l’inexécution d’un arrêt antérieur
La Cour de justice rappelle d’emblée que la procédure prévue à l’article 260, paragraphe 2, du traité a pour point de référence temporel l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure. En l’espèce, il était constant que l’État défendeur n’avait pas adopté les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt initial du 14 janvier 2010 avant la date butoir du 28 janvier 2011. Le manquement était donc matériellement constitué à cette date.
Les justifications avancées par l’État membre, relatives notamment à des difficultés d’ordre politique interne telles que la tenue d’élections législatives, sont jugées inopérantes. La Cour réaffirme ainsi une jurisprudence constante selon laquelle « un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union ». La seule constatation objective du non-respect du délai suffit à caractériser l’infraction, indépendamment des causes ou des efforts déployés par ailleurs. Cette approche formaliste garantit l’effectivité et l’uniformité d’application du droit de l’Union, en imposant aux États une obligation de résultat quant à l’exécution des arrêts de la Cour.
B. Le principe affirmé de la condamnation au paiement d’une somme forfaitaire
La mise en conformité de l’État membre, intervenue le 31 août 2011, ne l’exonère pas de sa responsabilité pour la période infractionnelle passée. Si cette régularisation a conduit la Commission à retirer sa demande d’astreinte, dont l’objet est de contraindre l’État à mettre fin au manquement, elle n’a pas fait obstacle au maintien de la demande de somme forfaitaire. Cette dernière sanction vise un objectif distinct.
La Cour rappelle que la somme forfaitaire a pour but essentiel de sanctionner la persistance du manquement après le prononcé du premier arrêt constatant l’infraction. Elle revêt un caractère à la fois dissuasif, pour prévenir la répétition de retards similaires, et punitif, en pénalisant la durée de l’illégalité. Le fait que l’infraction ait cessé avant le prononcé de l’arrêt dans la seconde procédure n’efface donc pas le préjudice causé à l’ordre juridique de l’Union par le retard accumulé. En décidant qu’il est justifié de condamner l’État membre au paiement d’une somme forfaitaire, la Cour souligne que l’exécution des arrêts doit être non seulement effective mais également prompte.
***
II. La modulation du montant de la sanction au prisme des circonstances de l’espèce
Tout en affirmant le principe de la sanction, la Cour se livre à une appréciation souveraine des faits pour en déterminer le montant. Elle prend ainsi en compte la gravité objectivement limitée de l’infraction dans ce cas précis (A), ce qui la conduit à s’écarter de l’évaluation chiffrée de la Commission (B).
A. La prise en compte d’une gravité atténuée du manquement
Pour déterminer le montant de la somme forfaitaire, la Cour examine un ensemble de critères, parmi lesquels la gravité de l’infraction occupe une place centrale. Sur ce point, elle retient l’argumentation de l’État défendeur relative à l’impact concret de sa défaillance. La directive non transposée concernait les institutions de retraite professionnelle, qui s’inscrivent dans ce qui est communément appelé le « deuxième pilier » des systèmes de retraite.
Or, la Cour observe que le système national de l’État mis en cause ne comportait pas un tel pilier, et que la législation nationale interdisait même l’établissement de telles institutions sur son territoire. Dans ces conditions, l’absence de transposition des règles prudentielles et de fonctionnement prévues par la directive a eu des conséquences pratiques réduites. La Cour en conclut que « l’exécution tardive […] a eu un impact limité sur le marché intérieur des régimes de retraite professionnelle […] et, partant, sur les intérêts privés et publics ». Cette analyse contextuelle permet de relativiser la gravité de l’infraction, qui demeurait formelle mais n’avait pas engendré de perturbation tangible du marché intérieur ni lésé les droits de sujets de droit.
B. L’appréciation souveraine de la Cour dans la fixation de la sanction
Forte de cette analyse sur la gravité du manquement, la Cour exerce son large pouvoir d’appréciation pour fixer le montant final de la sanction. Elle s’écarte notablement des propositions de la Commission, qui se fondaient sur une méthode de calcul standardisée exposée dans ses communications. La Cour rappelle que ces lignes directrices ne la lient pas et ne constituent que des indications.
En l’espèce, elle pondère la durée de l’infraction, qui s’est étendue sur dix-neuf mois après le premier arrêt, avec d’autres éléments. Elle relève ainsi l’attitude de l’État membre, qui a fait preuve d’une « coopération loyale avec la Commission » en l’informant régulièrement des démarches entreprises. En combinant la durée significative du retard, la gravité limitée de l’infraction et l’attitude coopérative de l’État, la Cour fixe le montant de la somme forfaitaire à 250 000 euros, bien loin des quelque 3,3 millions d’euros initialement calculés par la Commission. Cet arrêt illustre parfaitement le rôle de la Cour en tant qu’arbitre ultime, capable d’adapter la rigueur des sanctions pécuniaires aux circonstances uniques de chaque espèce.