Cour de justice de l’Union européenne, le 25 juin 2015, n°C-18/14

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du pouvoir de l’autorité nationale compétente lorsqu’elle évalue un projet d’acquisition dans le secteur de l’assurance. En l’espèce, une entité avait notifié son intention d’acquérir une participation qualifiée dans une entreprise d’assurance. L’autorité de surveillance prudentielle, bien que ne s’opposant pas formellement à l’opération, a subordonné son approbation à la satisfaction de plusieurs exigences, notamment relatives à la composition des organes de gouvernance de la société cible. Le candidat acquéreur, estimant que cette pratique excédait les pouvoirs conférés par le droit de l’Union, a formé un recours devant une juridiction nationale. Celle-ci, confrontée à l’interprétation de la directive sur l’assurance non-vie, a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la faculté pour une autorité nationale d’assortir de conditions son autorisation et sur les limites d’un tel pouvoir. Il s’agissait ainsi de déterminer si le cadre légal européen, qui prévoit la possibilité pour une autorité de s’opposer à une acquisition, autorise également la voie intermédiaire d’une approbation conditionnelle, et si des exigences touchant à la gouvernance d’entreprise peuvent légalement être imposées. La Cour répond par l’affirmative, tout en encadrant strictement cette prérogative. Elle juge qu’une autorité nationale peut assortir une approbation d’exigences, à condition que celles-ci soient nécessaires, fondées exclusivement sur les critères d’évaluation prévus par la directive, et ne portent pas atteinte aux droits du candidat acquéreur.

Cette décision clarifie l’étendue des outils à la disposition des autorités de surveillance, en reconnaissant la légalité d’un pouvoir d’approbation conditionnelle (I), tout en le soumettant à un contrôle de nécessité et de proportionnalité strict (II).

I. La consécration d’un pouvoir d’approbation conditionnelle

La Cour de justice reconnaît à l’autorité de surveillance la faculté de moduler sa décision en autorisant une opération sous conditions (A), sans pour autant que cette possibilité ne constitue une étape obligatoire avant un éventuel refus (B).

A. La faculté d’assortir l’approbation d’exigences

La Cour établit qu’une autorité nationale compétente peut assortir son approbation d’un projet d’acquisition de restrictions ou d’exigences. Cette solution pragmatique permet d’éviter une opposition frontale lorsque les risques identifiés peuvent être mitigés par des mesures correctrices. La Cour précise que l’autorité peut agir « de sa propre initiative, soit en formalisant des engagements proposés par le candidat acquéreur ». Cette formulation valide une pratique de dialogue entre le régulateur et l’opérateur, où des ajustements sont négociés pour garantir la conformité du projet aux exigences prudentielles. L’enjeu est de préserver la stabilité du secteur de l’assurance et la protection des assurés, tout en ne faisant pas obstacle à des opérations de concentration potentiellement bénéfiques pour le marché. La reconnaissance de ce pouvoir conditionnel offre ainsi une flexibilité appréciable, permettant une réponse graduée et adaptée à la nature des préoccupations soulevées par le projet d’acquisition.

B. L’absence d’obligation de proposer des mesures avant un refus

Si l’approbation conditionnelle est une option, elle n’est en aucun cas une obligation. La Cour de justice énonce clairement que l’autorité nationale compétente « n’est pas tenue de soumettre le candidat acquéreur à des restrictions ou à des exigences avant de pouvoir s’opposer à l’acquisition envisagée ». Cette précision est fondamentale, car elle préserve l’autonomie de décision du régulateur et l’effectivité de son pouvoir d’opposition. Imposer une phase de négociation préalable aurait pu être interprété comme une limitation de sa capacité à rejeter un projet qu’il jugerait intrinsèquement contraire à une gestion saine et prudente. La Cour confirme donc que le refus pur et simple demeure une prérogative pleine et entière, et que le choix d’explorer la voie des conditions relève de la seule appréciation de l’autorité de surveillance, en fonction des circonstances propres à chaque dossier.

II. L’encadrement strict du pouvoir de conditionnement

La Cour de justice ne se contente pas de valider le principe de l’approbation conditionnelle ; elle en fixe aussitôt les limites. Ces conditions doivent être matériellement justifiées par les critères de la directive (A) et leur nécessité doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel (B).

A. La subordination des conditions aux critères d’évaluation légaux

Le pouvoir de formuler des exigences n’est pas discrétionnaire. La Cour de justice le lie de manière impérative aux seuls motifs d’opposition prévus par le texte européen. Elle juge que les restrictions ou exigences imposées « ne sauraient être fondées sur un critère qui ne figure pas au nombre de ceux énumérés à l’article 15 ter, paragraphe 1, de ladite directive ». Ces critères visent notamment à garantir la réputation du candidat acquéreur, sa solidité financière, ainsi que la capacité de l’entreprise d’assurance à continuer de respecter les exigences prudentielles après l’opération. En limitant le pouvoir de l’autorité à ces seuls éléments, la Cour empêche toute dérive vers des considérations de politique économique nationale ou d’opportunité qui seraient étrangères à la finalité de la surveillance prudentielle. Cette limitation constitue une garantie essentielle pour les candidats acquéreurs, en assurant que l’évaluation reste objective et technique.

B. Le contrôle de la nécessité des exigences relatives à la gouvernance

Appliquant ce principe général, la Cour admet qu’une exigence puisse porter sur la gouvernance, y compris sur « la composition des conseils des commissaires des entreprises d’assurances concernées ». Une telle ingérence dans le fonctionnement interne de l’entreprise est donc possible, mais elle est soumise à une condition de nécessité rigoureuse. La Cour renvoie cette appréciation au juge national, précisant qu’il lui « appartient […] d’apprécier, en tenant compte de toutes les circonstances au principal, si cette exigence est nécessaire pour permettre aux acquisitions en cause au principal de satisfaire aux critères énoncés à cette disposition ». Ce renvoi au contrôle concret du juge national est capital. Il signifie qu’une autorité ne peut imposer des modifications de gouvernance de manière abstraite ou par principe. Elle doit démontrer que, sans ces modifications spécifiques, le projet d’acquisition ne satisferait pas aux critères légaux, notamment celui d’une gestion saine et prudente de l’entité post-acquisition.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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