La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 25 juin 2015, une décision fondamentale concernant la protection communautaire des obtentions végétales. Le litige opposait un organisme de gestion de droits à une société agricole ayant utilisé des semences protégées sans acquitter la rémunération requise.
Saisie par le Landgericht Mannheim, la juridiction européenne devait préciser le délai imparti à l’agriculteur pour verser cette compensation financière au titulaire du droit. Le juge national s’interrogeait sur la possibilité d’un paiement postérieur aux semis sans que l’utilisateur ne soit qualifié de contrefacteur.
La Cour affirme que le paiement doit intervenir au plus tard le 30 juin suivant la date du réensemencement des variétés protégées. L’analyse de cette solution impose d’examiner l’encadrement de l’obligation de rémunération avant d’apprécier la portée de la déchéance du bénéfice de la dérogation.
**I. L’encadrement temporel de l’obligation de rémunération équitable**
**A. Le point de départ de l’exigibilité de la créance**
L’article 14 du règlement n° 2100/94 autorise les agriculteurs à utiliser le produit de leur propre récolte à des fins de multiplication en plein air. Cette faculté dérogatoire est cependant subordonnée au paiement d’une rémunération équitable, sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence classique.
Selon l’article 6 du règlement n° 1768/95, l’obligation individuelle de payer naît au moment où l’agriculteur utilise effectivement le produit de la récolte. La Cour précise que cette date de l’utilisation effective « constitue non pas le terme du délai […] mais la date à compter de laquelle cette rémunération devient exigible ».
Le versement peut donc légitimement intervenir après l’acte de semis sans constituer immédiatement une violation des droits du titulaire de l’obtention protégée. Cette souplesse initiale doit néanmoins être conciliée avec la nécessité de fixer un terme impératif pour garantir la sécurité juridique des obtenteurs.
**B. La fixation du terme à la fin de la campagne de commercialisation**
Bien que l’exigibilité soit immédiate, la réglementation ne prévoit pas explicitement de date butoir en l’absence de fixation contractuelle par le titulaire du droit. La Cour refuse cependant de considérer que ce délai puisse courir de manière indéfinie au profit de l’utilisateur des semences de ferme.
Elle s’appuie sur l’article 7 du règlement n° 1768/95 pour identifier la campagne de commercialisation comme le cadre temporel de référence pour ce paiement. Les juges soulignent que cette période « commence le 1er juillet et finit le 30 juin de l’année civile suivante » pour le calcul des surfaces.
L’agriculteur dispose ainsi d’un laps de temps clairement délimité pour régulariser sa situation financière vis-à-vis de l’obtenteur dont il exploite la variété. Cette délimitation temporelle stricte conditionne directement le statut juridique de l’agriculteur au regard des règles relatives à la contrefaçon des variétés végétales.
**II. La sanction du retard de paiement par la qualification de contrefaçon**
**A. La déchéance du régime de la dérogation agricole**
Le non-respect du délai fixé entraîne des conséquences juridiques rigoureuses pour l’agriculteur qui ne s’est pas acquitté de sa dette envers le titulaire. Celui qui ne verse pas la rémunération équitable dérogatoire ne saurait invoquer l’autorisation légale prévue par le régime de protection des obtentions.
L’utilisateur est alors « considéré comme accomplissant, sans y avoir été autorisé, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2 » du règlement de base. Cette absence d’autorisation transforme l’exploitation des semences de ferme en un acte de contrefaçon ouvrant droit à des actions civiles spécifiques.
L’agriculteur s’expose ainsi au versement d’une indemnité totale correspondant au prix d’une licence ordinaire, perdant tout le bénéfice financier lié à la dérogation. Cette sévérité jurisprudentielle assure le respect des prérogatives de l’obtenteur tout en maintenant la cohérence du système communautaire de protection.
**B. La préservation de l’équilibre des intérêts en présence**
La solution retenue par la Cour de justice vise à garantir l’effet utile des actions en justice prévues contre les auteurs de contrefaçon. L’absence de terme précis encouragerait les agriculteurs à retarder indéfiniment le paiement dans l’espoir d’échapper à leurs obligations légales par la dissimulation.
La Cour rappelle que les titulaires sont tributaires de la bonne foi et de la coopération des utilisateurs pour le contrôle de leurs variétés. Il convient de « préserver un équilibre raisonnable entre les intérêts légitimes réciproques des agriculteurs et des titulaires » conformément aux objectifs réglementaires.
La fixation d’une date butoir impérative assure ainsi la protection des investissements des obtenteurs tout en laissant une marge de manœuvre temporelle aux exploitations. Les juges européens confirment ici que la dérogation agricole reste une exception dont les conditions d’exercice doivent être strictement respectées.