Cour de justice de l’Union européenne, le 25 mars 2021, n°C-152/19

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 25 mars 2021, dans l’affaire n° C-152/19 P, précise le régime de l’abus de position dominante.

Ce litige oppose un opérateur historique de télécommunications à l’institution européenne suite à une condamnation pour des pratiques tarifaires abusives sur le marché de gros.

L’institution avait sanctionné l’entreprise pour avoir mis en œuvre un ciseau tarifaire, rendant l’activité des concurrents impossible sans réaliser de pertes sur le marché de détail.

Après le rejet de son recours par la juridiction de première instance, l’entreprise a saisi la Cour de justice pour contester la qualification juridique de l’infraction.

Le problème de droit porte sur l’application des critères de l’infrastructure essentielle à une pratique de compression des marges lorsqu’une obligation d’accès existe déjà.

La Cour rejette le pourvoi et confirme que l’abus de ciseau tarifaire constitue une catégorie autonome, dispensant l’autorité de prouver le caractère indispensable de l’infrastructure.

I. L’affirmation de l’autonomie de la pratique de ciseau tarifaire

L’arrêt consolide la distinction entre le refus d’accès à une infrastructure essentielle et les conditions déloyales imposées lors d’un accès effectivement accordé aux concurrents.

A. L’exclusion des critères restrictifs relatifs au refus de fourniture

La requérante soutenait que le ciseau tarifaire ne pouvait être sanctionné que si l’accès au réseau était indispensable, conformément à une jurisprudence antérieure relative au refus de vente.

Toutefois, la Cour juge que de tels critères restrictifs « ne s’appliquent pas » dès lors que l’entreprise dominante a déjà volontairement accordé l’accès à son infrastructure.

L’abus réside ici dans l’iniquité des conditions tarifaires, qui suffit à caractériser une entrave à la concurrence sans nécessiter la preuve d’un caractère indispensable du réseau.

B. L’incidence déterminante de l’obligation réglementaire d’accès

Le juge souligne que « l’existence d’une obligation réglementaire » d’accès au réseau est un élément pertinent pour écarter l’exigence de démontrer le caractère essentiel de la ressource.

Le cadre réglementaire sectoriel imposant le partage des infrastructures réduit la protection de la liberté contractuelle dont bénéficie habituellement une entreprise en position de domination.

Cette solution facilite l’action des autorités de concurrence en leur permettant de sanctionner plus aisément les stratégies d’éviction tarifaire des anciens monopoles d’État.

II. Le renforcement de la responsabilité des groupes de sociétés

La Cour valide également les modalités d’imputation de l’infraction au sein du groupe, tout en rappelant les garde-fous économiques nécessaires à la qualification de l’abus.

A. La présomption d’exercice d’une influence déterminante sur la filiale

L’arrêt confirme que le comportement anticoncurrentiel d’une filiale peut être imputé à sa société mère dès lors que cette dernière détient la quasi-totalité du capital social.

Cette présomption d’influence déterminante simplifie la tâche de l’institution, qui n’est pas tenue de prouver l’implication directe de la direction dans les pratiques de sa filiale.

L’entreprise dominante n’a pas réussi à renverser cette présomption en démontrant l’autonomie réelle de sa structure locale sur le marché national des services de télécommunications.

B. La validation du critère du concurrent aussi efficace

La Cour réaffirme que le caractère abusif des tarifs doit être apprécié en fonction de la capacité d’un « concurrent aussi efficace » à maintenir sa rentabilité.

Ce test économique permet d’éviter de protéger des opérateurs inefficaces tout en garantissant que les barrières tarifaires ne ferment pas indûment le marché intérieur.

En statuant que « le pourvoi est rejeté », la juridiction sécurise une approche rigoureuse qui protège tant les consommateurs que la structure concurrentielle des marchés libéralisés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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