L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne s’inscrit dans le contexte d’un litige transfrontalier relatif au paiement d’une redevance de stationnement. En l’espèce, une société commerciale mandatée par une municipalité croate pour gérer le stationnement sur la voie publique a réclamé le paiement d’un ticket journalier au propriétaire d’un véhicule, une société de leasing établie dans un autre État membre. Le véhicule avait été retrouvé stationné sur une place délimitée sans que la redevance horaire n’ait été acquittée. Saisie d’une procédure d’exécution forcée initiée par un notaire croate, la société de leasing a formé opposition. Cette opposition a engendré un conflit de compétence négatif entre deux juridictions commerciales croates, amenant la juridiction supérieure à interroger la Cour de justice par la voie d’un renvoi préjudiciel. La question de droit centrale soumise à la Cour consistait à déterminer si le recouvrement d’une telle redevance relève de la « matière civile et commerciale » au sens du règlement (UE) n° 1215/2012. Il s’agissait également de qualifier la nature de la relation juridique pour identifier la règle de compétence applicable, qu’elle soit contractuelle, délictuelle ou relative aux baux d’immeubles. En réponse, la Cour affirme que cette action entre bien dans le champ de la matière civile et commerciale. Elle précise que la relation nouée entre le gestionnaire du parking et l’usager doit être qualifiée de contrat de fourniture de services au sens de l’article 7, point 1, sous b), du même règlement.
La solution de la Cour clarifie le régime juridique applicable à une situation quotidienne en la rattachant aux concepts fondamentaux du droit judiciaire européen, ce qui impose d’examiner la qualification retenue de la matière civile et commerciale. Cette qualification ouvre ensuite la voie à une analyse précise de la compétence spéciale fondée sur la nature de la prestation.
I. La qualification de la redevance de stationnement en matière civile et commerciale
Pour inclure le litige dans le champ d’application du règlement n° 1215/2012, la Cour a d’abord dû écarter l’idée que l’action en recouvrement relevait de l’exercice de la puissance publique. Elle a ensuite pu positivement constater l’existence d’un rapport de droit privé entre les parties.
A. Le rejet du caractère exorbitant de la créance
La Cour rappelle que la notion de « matière civile et commerciale » est une notion autonome du droit de l’Union, qui exclut les litiges où l’une des parties agit dans l’exercice de la puissance publique. Le critère déterminant réside dans la mise en œuvre de « pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers ». En l’espèce, le simple fait que la gestion du stationnement public soit une prérogative municipale déléguée à une société commerciale ne suffit pas à caractériser un tel exercice. La Cour observe que le recouvrement de la créance n’est pas assimilable à une sanction administrative ou pénale pour une infraction routière. La société gestionnaire ne dispose pas du pouvoir d’émettre elle-même un titre exécutoire par dérogation au droit commun ; elle doit, en cas de non-paiement, engager une procédure selon les règles de droit privé. Le mécanisme de recouvrement ne témoigne donc pas de l’usage de prérogatives de puissance publique.
B. L’affirmation d’un rapport de droit privé
Ayant écarté la qualification de droit public, la Cour s’attache à identifier la nature du lien entre le gestionnaire et l’usager. Elle considère que l’action en recouvrement « repose sur un rapport juridique de droit privé dans le cadre duquel les parties assument des droits et des obligations conformément aux conditions générales du contrat de stationnement ». Le fait de garer un véhicule sur un emplacement marqué et payant constitue une acceptation tacite d’une offre contractuelle, dont les termes ont été préalablement publiés. L’obligation de payer le ticket journalier en l’absence de paiement horaire n’est pas une sanction unilatérale mais une modalité contractuelle prévue en cas d’inexécution d’une obligation initiale. Ce rapport synallagmatique, fondé sur des obligations réciproques, ancre définitivement le litige dans la sphère du droit privé et, par conséquent, dans la matière civile et commerciale.
Une fois la compétence de principe du règlement n° 1215/2012 établie, il incombait à la Cour de déterminer le for compétent en se prononçant sur la nature spécifique du lien juridique unissant les parties.
II. La détermination de la compétence spéciale en matière de fourniture de services
La Cour a procédé par élimination pour identifier la règle de compétence matérielle adéquate. Après avoir écarté les qualifications de bail d’immeuble et de délit, elle a pu consacrer la qualification de contrat de fourniture de services.
A. L’exclusion des qualifications de bail d’immeuble et de délit
La juridiction de renvoi envisageait l’application de la compétence exclusive en matière de « baux d’immeubles » prévue à l’article 24 du règlement. La Cour rejette fermement cette hypothèse. Elle rappelle que cette compétence exclusive, d’interprétation stricte, se justifie par la complexité des rapports locatifs et l’existence de législations impératives propres au lieu de situation de l’immeuble. Or, le contrat de stationnement n’implique pas une telle complexité ; il porte principalement sur le paiement d’une redevance et non sur les conditions de jouissance d’un bien. L’action « ne saurait relever de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 24, point 1, du règlement n o 1215/2012 ». La Cour écarte également la qualification de matière délictuelle. Elle rappelle que celle-ci ne s’applique qu’en l’absence d’une « obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre ». Dans le cas présent, l’acte de stationnement vaut consentement tacite aux conditions proposées, fondant ainsi une relation contractuelle qui exclut par nature le champ délictuel.
B. La consécration du contrat de fourniture de services
La Cour confirme que le stationnement sur une place délimitée fait naître un rapport contractuel. Elle s’attache ensuite à le qualifier plus précisément pour appliquer la règle de compétence de l’article 7, point 1, sous b). Reprenant sa jurisprudence constante, elle vérifie si la prestation litigieuse constitue un « service », ce qui suppose l’existence d’une activité déterminée effectuée en contrepartie d’une rémunération. La Cour juge que l’activité du gestionnaire ne se limite pas à une simple mise à disposition passive. Elle « implique une activité déterminée consistant à tout le moins dans l’établissement, la délimitation et le marquage sur la voie publique des places de parking ainsi que la gestion des modalités d’encaissement des frais de stationnement ». Cette activité positive, combinée au paiement de la redevance qui en constitue la rémunération, suffit à caractériser une fourniture de services. Par conséquent, la Cour conclut qu’un tel contrat « constitue un contrat de fourniture de services, au sens de l’article 7, point 1, sous b), second tiret, de ce règlement ». Cette solution ancre la compétence judiciaire au lieu où les services ont été fournis, offrant une solution claire et prévisible pour ce type de contentieux de masse.