Cour de justice de l’Union européenne, le 25 mars 2021, n°C-856/19

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les obligations incombant aux États membres en matière de fiscalité indirecte sur les tabacs manufacturés. En l’espèce, la Commission européenne a initié une procédure à l’encontre d’un État membre au motif que sa législation nationale ne respectait pas les seuils minimaux de taxation des cigarettes prévus par le droit de l’Union. La législation nationale critiquée appliquait un taux d’accise global inférieur à celui exigé par la réglementation européenne et ne respectait pas non plus le montant minimal de perception par unité de produit.

Saisie par la Commission à la suite de la phase précontentieuse, la Cour de justice a dû se prononcer sur la compatibilité de la réglementation de l’État membre avec les exigences d’harmonisation fiscale. La procédure de manquement, prévue par l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, visait à faire constater la violation par cet État de ses engagements. Le principal argument reposait sur le non-respect des dispositions d’une directive dont la période transitoire, accordée à l’État membre pour se conformer, était arrivée à expiration.

Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de savoir si un État membre manque à ses obligations en maintenant une législation fiscale qui fixe des taux d’accise sur les cigarettes en deçà des seuils minimaux établis par une directive d’harmonisation, une fois la période transitoire expirée.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative, en déclarant que l’État membre a effectivement manqué à ses obligations. Elle constate que le fait d’appliquer « une accise globale inférieure à 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail des cigarettes » et de percevoir « une accise inférieure à 115 euros par 1 000 cigarettes » après l’échéance de la période transitoire constitue une violation directe du droit de l’Union.

La solution, bien que classique, réaffirme le caractère impératif de l’harmonisation fiscale (I), garantissant ainsi la préservation du bon fonctionnement du marché intérieur (II).

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I. La réaffirmation du caractère impératif de l’harmonisation fiscale

La décision de la Cour rappelle avec fermeté la primauté des règles d’harmonisation fiscale sur les législations nationales divergentes. Cette primauté se manifeste par le caractère contraignant des seuils fixés par la directive (A), ce qui limite nécessairement l’autonomie fiscale de l’État membre dans le domaine concerné (B).

A. Le caractère contraignant des seuils minimaux de la directive

Le dispositif de l’arrêt constate le manquement de l’État membre à ses obligations « en vertu de l’article 10, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/64/UE ». Ces dispositions établissent un double mécanisme de taxation minimale pour les cigarettes. D’une part, l’accise globale, qui comprend une composante spécifique et une composante *ad valorem*, ne peut être inférieure à 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail. D’autre part, la perception totale de l’accise ne peut être inférieure à un montant fixe, en l’occurrence 115 euros par mille cigarettes. La Cour constate que l’État membre a enfreint ces deux exigences cumulatives.

Le rappel par la Cour de l’expiration de la période transitoire au 31 décembre 2017 est un élément déterminant. Il souligne que toute marge de manœuvre ou justification pour un alignement progressif avait disparu. À compter de cette date, les dispositions de la directive devaient être pleinement et entièrement appliquées. Le manquement est donc caractérisé par une application incorrecte et persistante de la législation nationale, en dépit d’une obligation claire, précise et inconditionnelle. La Cour ne laisse ainsi aucune place à une interprétation flexible des seuils chiffrés.

B. La limitation de l’autonomie fiscale de l’État membre

En principe, la fiscalité directe et indirecte relève de la souveraineté des États membres. Cependant, cette compétence est limitée dans les domaines où l’Union européenne a adopté des mesures d’harmonisation, comme le prévoit l’article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour la fiscalité indirecte. La directive 2011/64/UE s’inscrit précisément dans ce cadre, visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et à éviter les distorsions de concurrence liées à des disparités fiscales trop importantes sur les tabacs manufacturés.

En condamnant l’État membre, la Cour réaffirme que l’autonomie fiscale nationale ne peut être invoquée pour justifier le non-respect des règles communes. La décision de maintenir des taux inférieurs, probablement motivée par des considérations de politique économique ou de santé publique propres à cet État, ne saurait prévaloir sur l’objectif d’harmonisation. L’arrêt illustre ainsi la tension entre la souveraineté fiscale nationale et les nécessités de l’intégration européenne, tranchant sans équivoque en faveur de la seconde.

L’explication du manquement étant clairement établie, il convient d’analyser la portée de cette décision, qui vise avant tout à protéger l’intégrité du marché intérieur.

II. La protection de l’intégrité du marché intérieur

La condamnation prononcée par la Cour ne constitue pas seulement une sanction formelle, mais un instrument essentiel à la préservation de l’égalité concurrentielle au sein de l’Union. Elle se présente comme un remède aux distorsions de concurrence (A) et s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence classique qui assure la suprématie du droit de l’Union (B).

A. Un remède aux distorsions de concurrence

Des taux d’accise sur le tabac significativement plus bas dans un État membre créent des incitations au commerce transfrontalier, tant pour les consommateurs que pour les acteurs économiques. Ce phénomène peut entraîner des pertes de recettes fiscales pour les États voisins appliquant des taux conformes à la directive, tout en faussant les conditions de concurrence entre les opérateurs économiques établis dans différents États membres. L’objectif de l’harmonisation fiscale est précisément de limiter ces externalités négatives.

En sanctionnant le maintien d’une fiscalité avantageuse, la Cour ne fait pas seulement respecter la lettre du texte ; elle agit en tant que régulateur du marché intérieur. La décision a une portée préventive, car elle dissuade les autres États membres de s’écarter des règles communes. Elle garantit ainsi une base fiscale minimale et plus homogène, contribuant à la réalisation d’un véritable marché unique pour les produits concernés. Le constat de manquement est donc un outil fondamental pour assurer une concurrence saine et loyale.

B. Une solution conforme à la primauté du droit de l’Union

L’arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni un arrêt de principe au sens strict. Il s’agit plutôt d’une décision d’espèce qui applique des principes bien établis du droit de l’Union : l’effet direct des directives après expiration du délai de transposition et la primauté du droit de l’Union sur le droit national. La solution est donc attendue et sa valeur réside principalement dans sa fonction de rappel à l’ordre.

Sa portée est néanmoins significative sur le plan institutionnel. Elle démontre l’efficacité du recours en manquement comme mécanisme de contrôle du respect par les États de leurs obligations. La condamnation de l’État défaillant « aux dépens » constitue la suite logique et systématique de la procédure, achevant de conférer à la décision son caractère obligatoire. Par cette voie, la Cour de justice remplit pleinement son rôle de gardienne des traités, assurant l’uniformité et l’effectivité du droit de l’Union, même dans un domaine aussi sensible que la fiscalité.

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Hassan KOHEN
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