Cour de justice de l’Union européenne, le 25 mars 2021, n°C-856/19

Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le respect par un État membre de ses obligations en matière d’accises applicables aux tabacs manufacturés. En l’espèce, une législation nationale maintenait un régime de taxation sur les cigarettes qui semblait déroger aux règles minimales établies par le droit de l’Union. La Commission européenne, gardienne des traités, a engagé une procédure en manquement à l’encontre de cet État, considérant que le niveau de taxation appliqué ne respectait pas les seuils prévus par la directive 2011/64/UE. Le litige a donc été porté devant la Cour de justice, opposant la lecture stricte de la directive par la Commission à la pratique fiscale de l’État membre concerné. La question de droit soumise à la Cour était de savoir si un État membre qui, après l’expiration d’une période transitoire, applique aux cigarettes une accise globale inférieure aux seuils minimaux fixés par le droit de l’Union manque à ses obligations. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que le fait pour cet État d’appliquer une accise inférieure à la fois à 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail et au montant de 115 euros par 1 000 cigarettes constitue un manquement caractérisé. Elle déclare ainsi que « la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 10, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/64/ue ». Cette décision, par sa clarté, rappelle la rigueur des obligations pesant sur les États en matière d’harmonisation fiscale.

La solution retenue par la Cour de justice s’articule autour d’une lecture rigoureuse des textes, établissant un manquement incontestable au regard des objectifs de la directive (I). Au-delà de ce simple constat, l’arrêt réaffirme la portée des politiques d’harmonisation fiscale comme instrument de cohésion du marché intérieur et de santé publique (II).

***

I. La constatation d’un manquement aux obligations fiscales européennes

La décision de la Cour repose sur une analyse factuelle et juridique qui ne laisse que peu de place à l’interprétation. Elle se fonde sur le non-respect de seuils de taxation explicitement définis (A) et sur l’expiration d’une période d’adaptation qui rendait le manquement d’autant plus manifeste (B).

A. L’application de seuils de taxation minimaux et cumulatifs

La Cour de justice souligne que la législation de l’Union européenne impose un double mécanisme de taxation minimale pour les cigarettes. L’article 10, paragraphe 2, de la directive 2011/64/UE exige que l’accise globale soit au moins égale à 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail. Le paragraphe 3 du même article ajoute que cette accise ne peut être inférieure à un montant fixe, porté à 115 euros pour 1 000 cigarettes à l’issue de la période transitoire. Le raisonnement des juges consiste en une simple vérification de l’adéquation de la législation nationale à cette double exigence.

En l’espèce, il est établi que la législation de l’État membre conduisait à « appliqu[er] aux cigarettes une accise globale inférieure à 60 % du prix moyen pondéré de vente au détail ». Ce premier manquement, fondé sur un critère proportionnel, est complété par la violation du seuil nominal. La Cour constate également que la même législation aboutissait à « percev[oir] une accise inférieure à 115 euros par 1 000 cigarettes ». Le caractère cumulatif de ces exigences ne permettait aucune compensation de l’une par l’autre. La Cour se livre donc à une application littérale et stricte de la directive, considérant que le non-respect de l’un ou l’autre de ces seuils suffit à caractériser le manquement.

B. La portée de l’expiration de la période transitoire

L’argumentation de la Cour est renforcée par la mention de la dimension temporelle de l’obligation. La directive avait prévu une période transitoire, qui s’achevait au 31 décembre 2017, pour permettre aux États membres concernés d’adapter progressivement leur législation fiscale. Cette période d’adaptation visait à ménager les économies nationales tout en assurant une convergence vers les objectifs de l’Union. Le manquement est donc jugé « après l’expiration de la période transitoire », ce qui exclut toute justification tirée d’une difficulté d’adaptation.

Cette précision temporelle est essentielle, car elle démontre que l’État membre a bénéficié d’un délai raisonnable pour se conformer à ses obligations. Le maintien d’une législation non conforme au-delà de cette date butoir transforme une simple divergence en un manquement avéré et délibéré à une obligation claire, précise et inconditionnelle. La décision illustre ainsi l’absence de flexibilité laissée aux États membres une fois les délais d’adaptation prévus par le législateur de l’Union sont écoulés.

***

II. La réaffirmation des finalités de l’harmonisation fiscale

Au-delà de sa technicité apparente, la décision de la Cour de justice rappelle les enjeux fondamentaux qui sous-tendent l’harmonisation des accises sur le tabac. Elle réaffirme le rôle de la fiscalité comme outil de politique de santé publique (A) et confirme la fonction du recours en manquement pour garantir l’intégrité du marché intérieur (B).

A. L’harmonisation fiscale au service d’un objectif de santé publique

L’harmonisation des taux d’accises sur les produits du tabac ne vise pas uniquement à neutraliser les distorsions de concurrence entre les États membres. Elle poursuit également un objectif majeur de protection de la santé publique, reconnu par l’Union. En fixant des seuils minimaux de taxation, la directive 2011/64/UE entend limiter l’accessibilité des produits du tabac, notamment pour les jeunes consommateurs, et ainsi lutter contre le tabagisme. Un niveau de taxation élevé est en effet considéré comme l’un des moyens les plus efficaces pour réduire la consommation de cigarettes.

En condamnant un État membre qui maintient une fiscalité avantageuse, la Cour de justice garantit l’effectivité de cette politique. Elle empêche qu’un État ne puisse, par une fiscalité plus faible, affaiblir l’effort commun de santé publique et créer un appel d’air pour le tourisme fiscal. La décision a donc une valeur qui dépasse le simple cadre budgétaire, en réaffirmant que les impératifs de santé peuvent justifier une limitation de l’autonomie fiscale des États membres dans un cadre harmonisé.

B. Le recours en manquement comme garantie du marché intérieur

Cet arrêt illustre parfaitement le rôle de la Commission européenne en tant que gardienne des traités et la fonction du recours en manquement. Sans ce mécanisme de contrôle, les règles d’harmonisation fiscale risqueraient de rester lettre morte, créant des distorsions de concurrence préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur. Des différences significatives de taxation sur des produits aussi mobiles que les cigarettes encouragent les achats transfrontaliers et la contrebande, ce qui entraîne des pertes de recettes fiscales pour les États à fiscalité élevée.

En sanctionnant le manquement, la Cour assure le respect des règles du jeu communes et préserve l’égalité de traitement entre les opérateurs économiques. La condamnation aux dépens de l’État membre fautif, bien que symbolique dans son montant, revêt une portée politique. Elle rappelle à tous les États que les obligations découlant du droit de l’Union, particulièrement dans un domaine aussi sensible que la fiscalité indirecte, doivent être respectées avec la plus grande rigueur pour garantir la cohérence et la pérennité de l’Union économique et monétaire.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture