Par un arrêt en date du 25 mars 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’application de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévue pour les opérations d’assurance et les prestations de services afférentes, dans le contexte d’une offre de services complexe.
Une société spécialisée dans le développement et la commercialisation de produits d’assurance avait conclu un contrat avec un assureur. En vertu de cet accord, elle fournissait trois types de services : la concession d’une licence pour l’utilisation d’un produit d’assurance, le placement de ce produit par la recherche de clients pour le compte de l’assureur, et la gestion des contrats conclus, y compris le règlement des sinistres. En contrepartie, elle percevait une rémunération unique. La société a demandé le bénéfice de l’exonération de TVA pour l’ensemble de ses prestations. Les autorités fiscales nationales ont rejeté cette demande, considérant que seule l’activité d’intermédiation stricto sensu pouvait être exonérée. Saisie du litige, la Cour fédérale des finances d’Allemagne a estimé que les différents services formaient une prestation unique sur le plan économique. Elle a toutefois considéré que l’élément principal de cette prestation était la concession de la licence, activité non exonérée, tandis que l’intermédiation constituait un service accessoire. Face à cette configuration, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle situation avec le régime d’exonération.
La question de droit soumise à la Cour était de savoir si l’exonération de TVA, prévue à l’article 135, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112/CE pour les services effectués par les courtiers et intermédiaires d’assurance, peut s’appliquer à une prestation composite unique dont l’élément principal, la fourniture d’un produit d’assurance, n’est pas en soi éligible à cette exonération.
La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que l’exonération de la TVA ne s’applique pas à une telle prestation, même si elle devait être qualifiée de prestation unique, dès lors que son élément principal ne relève pas du champ d’application de ladite exonération. L’analyse de la Cour repose sur une application rigoureuse de la notion de prestation unique (I), aboutissant à une interprétation restrictive du champ de l’exonération applicable aux services d’assurance (II).
I. L’application rigoureuse des critères de la prestation unique
La Cour commence son raisonnement en rappelant les principes directeurs de la qualification d’une opération en matière de TVA, avant de les appliquer au cas d’espèce, suggérant une possible décomposition des services fournis.
A. Le rappel du principe d’indivisibilité économique
La Cour réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle, bien que chaque opération doive en principe être considérée comme distincte et indépendante, « l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA ». Elle précise qu’une prestation unique existe lorsque plusieurs éléments sont si étroitement liés qu’ils forment objectivement « une seule prestation économique indissociable, dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel ». Cette qualification est notamment retenue lorsqu’un service constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal. Dans une telle hypothèse, la prestation accessoire partage le sort fiscal de la prestation principale. Ce rappel pédagogique ancre l’analyse dans une logique économique et pragmatique, s’opposant à une approche purement formelle des contrats.
B. La remise en cause de l’indivisibilité en l’espèce
Bien que la juridiction de renvoi ait estimé être en présence d’une prestation unique, la Cour de justice sème le doute sur cette qualification. Elle relève que la licence d’utilisation du produit d’assurance permet à l’assureur de proposer ce produit, mais que le recours aux services d’intermédiation du prestataire n’est pas obligatoire. L’assureur reste libre de faire appel à d’autres intermédiaires. Par conséquent, la Cour suggère que « les services d’intermédiation fournis par cette société ne soient pas indispensables pour la distribution dudit produit d’assurance, mais qu’ils constituent plutôt une activité distincte et indépendante ». En invitant la juridiction nationale à vérifier ce point, la Cour souligne que le simple fait que plusieurs services soient fournis par un même prestataire dans le cadre d’un contrat unique ne suffit pas à établir l’existence d’une prestation unique indissociable. Cette analyse fonctionnelle conduit à potentiellement isoler chaque service pour lui appliquer son régime de TVA propre, limitant ainsi d’emblée la portée de l’exonération.
II. L’interprétation restrictive de l’exonération des services d’intermédiation
Poursuivant son raisonnement à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la prestation serait tout de même qualifiée d’unique, la Cour examine l’éligibilité de son élément principal à l’exonération, confirmant une approche stricte de cette dernière.
A. L’exclusion de la fourniture du produit d’assurance du champ de l’exonération
La Cour analyse la prestation principale identifiée par la juridiction de renvoi, à savoir l’octroi d’une licence d’utilisation d’un produit d’assurance. Elle rappelle que les exonérations sont d’interprétation stricte. Ce service ne peut être qualifié d’« opération d’assurance », car le prestataire ne prend en charge aucun risque et n’a pas de lien contractuel avec l’assuré. Il ne peut non plus être qualifié de « prestation de services effectuée par les courtiers et les intermédiaires d’assurance ». En effet, pour bénéficier de cette qualification, l’activité doit recouvrir « des aspects essentiels de la fonction d’intermédiaire d’assurance, tels que la recherche de prospects et la mise en relation de ceux-ci avec l’assureur ». Or, l’octroi d’une licence à un assureur est une activité qui se situe en amont de toute démarche de prospection. Le fait que le même prestataire exerce par ailleurs une activité d’intermédiation est jugé non pertinent pour la qualification de cette prestation spécifique.
B. Le rejet conséquent de l’exonération pour l’ensemble de la prestation
La conclusion découle logiquement de l’analyse précédente. Dans le cadre d’une prestation unique, le traitement fiscal de l’ensemble est déterminé par celui de l’élément principal. La Cour énonce donc clairement que si les services fournis formaient une prestation unique, « celle-ci ne saurait être exonérée de la TVA en application de cette disposition, dès lors que la prestation principale ne relève pas de du champ d’application de celle-ci ». Cette solution réaffirme le principe de l’attraction de la prestation principale et empêche qu’un assujetti puisse étendre le bénéfice d’une exonération à des services normalement taxables par le biais d’un montage contractuel les présentant comme accessoires à une prestation exonérée. En l’espèce, c’est le raisonnement inverse qui est validé : un service accessoire potentiellement exonéré se voit taxé en raison de son lien avec un service principal lui-même taxable.