Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée de l’harmonisation communautaire en matière d’étiquetage des denrées alimentaires. En l’espèce, un État membre a transposé une directive relative aux produits de cacao et de chocolat en prévoyant dans sa législation nationale la possibilité d’utiliser la mention « chocolat pur » pour les produits ne contenant pas de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao. Estimant que cette disposition méconnaissait le droit communautaire, la Commission a engagé une procédure en manquement. Le recours de la Commission reposait sur le fait que la législation nationale créait une nouvelle dénomination de vente non prévue par la directive d’harmonisation, et que cette dénomination était de nature à induire le consommateur en erreur. L’État membre soutenait pour sa part que la mention « pur » n’était qu’une indication descriptive et non une nouvelle dénomination, visant à informer correctement le consommateur. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si un État membre pouvait unilatéralement créer une mention valorisante pour un produit, alors même que celui-ci relevait d’une réglementation entièrement harmonisée au niveau communautaire. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que la création de la mention « chocolat pur » contrevient à la fois au système exhaustif des dénominations de vente et à l’exigence d’une information non trompeuse du consommateur.
La décision de la Cour réaffirme avec force le caractère absolu de l’harmonisation des dénominations de vente, ce qui entraîne logiquement la censure de toute initiative nationale visant à les altérer (I). Par conséquent, elle conforte une conception stricte de la protection du consommateur, en considérant que la différenciation terminologique d’un même produit est par nature trompeuse (II).
I. L’interdiction d’une dénomination de vente additionnelle comme garantie de l’harmonisation
La Cour rappelle d’abord que le système des dénominations de vente prévu par le droit communautaire est un système fermé, excluant toute addition nationale (A). Elle en déduit que la mention litigieuse, loin d’être une simple description, constitue bien une modification illicite de ce système (B).
A. Le caractère exhaustif du système des dénominations de vente
La Cour fonde son raisonnement sur le principe d’une harmonisation totale réalisée par la directive 2000/36. Elle énonce que cette dernière « a mis en place une harmonisation totale des dénominations de vente relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine visant à garantir l’unicité du marché intérieur ». Cette harmonisation se traduit par un dispositif strict où les dénominations prévues sont à la fois obligatoires et réservées aux produits concernés. Le législateur communautaire a entendu fixer un cadre complet, comme le souligne l’article 4 de la directive qui interdit aux États membres d’adopter des dispositions nationales non prévues par celle-ci.
Dans ce contexte, toute flexibilité laissée aux États membres est explicitement encadrée, à l’image des mentions relatives à la qualité qui ne sont autorisées que sous des conditions de teneur en cacao très précises. La Cour met ainsi en lumière l’intention du législateur de 2000, qui a tranché un débat ancien sur l’utilisation des matières grasses végétales autres que le beurre de cacao. Plutôt que de créer des catégories de produits distinctes, le choix a été fait de maintenir une dénomination unique, accompagnée d’une simple mention informative neutre sur l’étiquette pour les produits contenant ces matières grasses ajoutées.
B. L’assimilation de la mention « pur » à une nouvelle dénomination de vente
L’État membre tentait de justifier sa législation en présentant l’adjectif « pur » comme une simple information descriptive. La Cour rejette cette argumentation en opérant une comparaison logique : « si l’ajout au terme ‘chocolat’ des mots ‘au lait’ ou ‘blanc’ ou ‘fourré’ doit être regardé comme autant de nouvelles dénominations de vente, il en va de même s’agissant de l’ajout du mot ‘pur’ ». Par cette analogie, elle établit que l’adjonction d’un qualificatif accolé au nom du produit modifie sa dénomination officielle et ne peut être considérée comme une simple indication factuelle.
Dès lors, en autorisant cette modification, la législation nationale contrevient directement au caractère obligatoire et exhaustif du système mis en place. La Cour constate que « la directive 2000/36 ne prévoit ni la dénomination de vente ‘chocolat pur’ ni l’introduction d’une telle dénomination par un législateur national ». La mesure nationale est donc contraire à l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Cette analyse rigoureuse empêche les États membres de contourner l’harmonisation par des ajouts sémantiques qui, sous couvert d’information, recréent des distinctions que le droit communautaire a précisément entendu abolir.
Au-delà de la violation formelle du système des dénominations, la Cour examine les conséquences concrètes de cette distinction sur le consommateur.
II. Le rejet d’une information jugée trompeuse pour le consommateur
La Cour estime que la création de deux dénominations pour un produit substantiellement identique est de nature à induire le consommateur en erreur (A). En outre, elle considère que l’adjectif « pur » ne peut davantage être justifié comme un critère de qualité valable au sens de la directive (B).
A. La qualification d’information trompeuse
L’objectif de protection des consommateurs, inscrit dans la directive 2000/13, impose qu’une information soit correcte, neutre et objective. Or, la Cour juge que le système de double dénomination instauré par l’État membre ne satisfait pas à ces exigences. Elle s’appuie sur sa jurisprudence antérieure pour rappeler que l’ajout de matières grasses végétales autorisées « ne saurait avoir pour effet de changer substantiellement la nature de ces produits, au point de les transformer en des produits différents ». Partant de ce postulat, la création de deux appellations distinctes est nécessairement trompeuse.
La Cour souligne que l’autorisation d’utiliser des dénominations différentes « est de nature à suggérer l’existence d’une distinction entre les caractéristiques essentielles des produits concernés ». En qualifiant un chocolat de « pur », la législation suggère implicitement que l’autre, qui respecte pourtant pleinement la réglementation, ne le serait pas, lui conférant ainsi une connotation négative. Une telle distinction porte atteinte au droit des consommateurs à une information objective. L’information correcte aurait consisté, comme le permet la directive, en une mention neutre placée sur l’étiquetage, et non en une modification de la dénomination même du produit.
B. L’incompatibilité de la mention avec les critères de qualité définis
La Cour examine ensuite si la mention « pur » pourrait être admise en tant que qualificatif de qualité au sens de l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2000/36. Cette disposition autorise l’ajout de mentions de qualité, mais uniquement pour des produits présentant des teneurs en cacao ou en beurre de cacao supérieures aux minimums requis. Le critère retenu par la législation nationale, à savoir l’absence de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao, n’est pas prévu par cette disposition.
La Cour constate donc que « loin de respecter lesdites conditions, l’article 6 du décret législatif n° 178/2003 prévoit la possibilité […] que le terme ‘pur’ soit ajouté […] lorsque ces produits ne contiennent pas de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao ». La législation nationale a ainsi créé un critère de qualité non conforme au cadre harmonisé. En liant l’adjectif « pur » à l’absence d’un ingrédient optionnel plutôt qu’à une composition supérieure en cacao, elle contrevient directement aux règles spécifiques et limitatives prévues pour les allégations de qualité. Le manquement est donc doublement caractérisé.