Un salarié a perdu la vie dans le cadre d’un accident survenu sur son lieu de travail. Ses proches ont sollicité l’indemnisation de leur préjudice moral devant les juridictions civiles compétentes. L’employeur n’a pas pu honorer sa dette malgré l’engagement d’une procédure d’exécution forcée de la décision de justice. La créance a été déclarée irrécouvrable en raison de la situation économique dégradée de l’entreprise débitrice. Les demandeurs ont alors saisi l’organisme de garantie pour obtenir le versement des sommes dues. La Cour de justice de l’Union européenne, dans sa décision du 6 octobre 2025, a été saisie d’une question préjudicielle. Le juge européen doit déterminer si l’impossibilité de recouvrer une créance par l’exécution caractérise un état d’insolvabilité. Il est également interrogé sur l’inclusion de l’indemnité pour préjudice moral dans le champ de la protection sociale européenne. La Cour juge qu’une défaillance de fait lors d’une saisie ne suffit pas à constituer l’insolvabilité requise. Elle subordonne également la garantie du préjudice moral des survivants à sa qualification interne de rémunération. La présente étude examinera d’abord l’interprétation de la notion d’insolvabilité avant d’analyser le régime des créances indemnitaires.
I. L’interprétation restrictive de la notion d’insolvabilité de l’employeur
A. Le rejet d’une assimilation de l’insolvabilité de fait à la procédure formelle L’article 2 de la directive 2008/94/ce impose des critères précis pour déclencher l’intervention de l’organisme de garantie. La Cour de justice affirme qu’un employeur ne peut être considéré comme se trouvant en « état d’insolvabilité » lors d’une simple exécution. Le droit européen exige en principe l’ouverture d’une procédure collective globale impliquant l’ensemble des créanciers de l’entreprise. L’impossibilité de saisir des biens suffisants constitue seulement une insolvabilité de fait au sens de la jurisprudence commentée. Le juge européen préserve ainsi l’équilibre financier des institutions de garantie en limitant leurs obligations d’indemnisation. Cette position assure une prévisibilité juridique indispensable pour les autorités administratives chargées de la gestion des fonds. La décision confirme que le constat judiciaire d’une créance irrécouvrable ne remplace pas les procédures formelles d’apurement du passif.
B. La faculté d’extension de la protection nationale par les États membres Le droit de l’Union européenne laisse une marge de manœuvre significative aux législateurs nationaux pour protéger les travailleurs. La Cour précise qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si l’État membre a étendu la protection des salariés. L’article 2, paragraphe 4, de la directive autorise effectivement les pays membres à élargir le champ d’intervention de la garantie. Cette extension peut viser une insolvabilité « établie par la voie de procédures autres que celles mentionnées » par le texte. Le juge national doit donc analyser son droit interne pour vérifier si une protection complémentaire a été instaurée. Cette souplesse permet d’adapter la protection des travailleurs aux spécificités des procédures civiles d’exécution locales. La transition vers l’étude du type de créances garanties s’avère nécessaire pour apprécier l’étendue réelle de cette protection.
II. L’encadrement des créances indemnitaires liées à l’accident du travail
A. L’exigence d’un lien direct avec la relation de travail La protection européenne couvre prioritairement les sommes dues en contrepartie directe de l’activité professionnelle fournie par le travailleur. La Cour examine ici une indemnité due aux proches survivants au titre du « préjudice moral subi » du fait d’un décès. Cette somme résulte d’un accident professionnel survenu durant le temps de service effectif du salarié décédé. Les juges vérifient si une telle demande constitue une « créance de travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail ». Le lien de causalité entre l’accident professionnel et le préjudice des proches fonde la possible intervention de l’organisme. Cependant, la Cour refuse d’accorder une protection automatique à ces sommes sans un examen préalable de leur nature juridique. L’application de la directive dépend donc d’une analyse rigoureuse de la composante indemnitaire de la somme réclamée.
B. La subordination de la prise en charge à la qualification de rémunération Le bénéfice de la garantie financière est strictement lié à la définition technique du salaire dans chaque État membre. L’indemnité ne peut être garantie que lorsqu’elle « relève de la notion de « rémunération » » selon le droit national. La Cour de justice délègue ainsi aux juges nationaux le soin de qualifier juridiquement la nature du préjudice moral. Cette approche respecte l’autonomie procédurale et conceptuelle des États membres en matière de droit social. Si la législation nationale exclut les dommages-intérêts de la rémunération, le fonds de garantie ne sera pas mobilisé. Les proches du salarié décédé doivent donc prouver que l’indemnité s’analyse comme un accessoire du contrat de travail. Cette décision souligne la dépendance du droit social européen vis-à-vis des classifications opérées par les ordres juridiques nationaux.