L’obligation pour les États membres de garantir l’application effective du droit de l’Union européenne constitue une pierre angulaire de l’ordre juridique communautaire. Cette exigence, qui découle directement des traités, impose non seulement la transposition formelle des directives, mais également l’adoption de toutes les mesures concrètes nécessaires à leur pleine réalisation. Par une décision en date du 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur un recours en manquement intenté par une institution de l’Union à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à cet État de ne pas avoir mis en œuvre une obligation spécifique prévue par la directive 2000/59/CE du 27 novembre 2000 sur les installations de réception portuaires. Plus précisément, l’État n’avait pas élaboré ni adopté les plans de réception et de traitement des déchets pour chacun de ses ports, comme l’exigeait le texte. Saisie de cette affaire, la juridiction de l’Union devait donc déterminer si la simple omission d’adopter de tels plans administratifs suffisait à caractériser une violation des obligations incombant à l’État membre en vertu du droit de l’Union. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant qu’« en omettant d’élaborer et d’adopter, pour chaque port italien, des plans de réception et de traitement des déchets, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5, paragraphe 1, et 16, paragraphe 1, de la directive 2000/59/ce ».
Cette solution, bien que classique dans son fondement, rappelle la rigueur avec laquelle la Cour contrôle le respect par les États membres de leurs engagements. Il convient ainsi d’analyser la caractérisation du manquement retenue par la Cour, qui repose sur une conception objective de l’infraction (I), avant d’étudier la portée de cette décision en tant qu’instrument garantissant l’effectivité des politiques environnementales de l’Union (II).
I. La caractérisation rigoureuse du manquement par omission
La décision commentée offre une illustration orthodoxe de la manière dont le contentieux en manquement sanctionne l’inaction d’un État membre. Elle met en lumière l’obligation d’application concrète des directives (A) et confirme le caractère purement objectif de la constatation de l’infraction (B).
A. L’exigence d’une application effective des directives
En vertu de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La présente affaire démontre que l’obligation de résultat ne se limite pas à la seule transposition de la norme européenne dans l’ordre juridique interne. Elle implique également l’adoption de toutes les mesures d’exécution, qu’elles soient réglementaires ou administratives, indispensables pour que la directive produise ses pleins effets.
La directive 2000/59/CE visait à réduire les rejets en mer des déchets d’exploitation des navires et des résidus de cargaison. L’élaboration de plans de réception et de traitement des déchets dans chaque port constituait le moyen concret imaginé par le législateur de l’Union pour atteindre cet objectif de protection de l’environnement marin. En s’abstenant de créer ces plans, l’État membre a privé la directive d’une partie substantielle de son effet utile. Le manquement ne réside donc pas dans une mauvaise transposition, mais dans une carence d’exécution matérielle, ce qui est tout aussi répréhensible.
B. La constatation objective de l’infraction
Le mécanisme du recours en manquement ne laisse aucune place à l’appréciation des motifs qui ont pu conduire un État à ne pas respecter ses obligations. La Cour de justice se borne à vérifier, de manière objective, si, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’État membre s’est conformé aux exigences du droit de l’Union. Des considérations d’ordre interne, telles que des difficultés administratives, des contraintes budgétaires ou des blocages politiques, ne sauraient justifier une infraction.
Dans cet arrêt, la Cour constate sobrement l’omission de l’État défaillant. La formule employée, « en omettant d’élaborer et d’adopter », souligne que la seule inaction suffit à consommer l’infraction. Le manquement est constitué indépendamment de toute intention ou de toute négligence de la part des autorités nationales. Cette approche objective est essentielle pour garantir une application uniforme et rigoureuse du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire, évitant que des particularismes nationaux ne viennent en paralyser la portée.
II. Une réaffirmation de l’autorité du droit de l’environnement de l’Union
Au-delà de sa technicité, la décision s’inscrit dans un mouvement plus large de consolidation du droit de l’environnement de l’Union par la voie contentieuse. Elle réaffirme le rôle de gardien des traités joué par les institutions de l’Union (A) et constitue une solution de principe dont les conséquences, bien que circonscrites, demeurent nécessaires (B).
A. Le contentieux en manquement, garant de l’effectivité des politiques environnementales
La politique environnementale de l’Union repose très largement sur des actes de droit dérivé, et notamment sur des directives qui nécessitent une action positive des États membres. L’efficacité de cette politique dépend donc entièrement de la diligence avec laquelle ces derniers s’acquittent de leurs obligations. Le recours en manquement apparaît alors comme l’outil ultime et indispensable pour contraindre un État récalcitrant à se conformer aux règles communes.
En l’espèce, la condamnation pour une omission d’ordre administratif peut sembler modeste. Elle n’en est pas moins fondamentale. Elle signifie que la protection de l’environnement marin, objectif poursuivi par la directive, ne peut souffrir d’aucune carence administrative. Chaque maillon de la chaîne réglementaire, y compris la planification locale, est jugé essentiel. La décision a ainsi une valeur pédagogique, rappelant à l’ensemble des États membres que le respect du droit de l’environnement de l’Union exige une vigilance de tous les instants et à tous les niveaux de l’administration.
B. Une solution de principe aux conséquences ciblées
Il ne s’agit pas ici d’un arrêt de principe qui viendrait modifier l’état du droit. La solution est au contraire parfaitement conforme à une jurisprudence constante et bien établie en matière de manquement d’État. Sa portée est avant tout déclaratoire : la Cour constate l’infraction et enjoint implicitement à l’État membre d’y mettre fin dans les plus brefs délais. L’enjeu principal pour l’État condamné est désormais d’éviter une seconde procédure pour inexécution de l’arrêt, laquelle pourrait, en vertu de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, déboucher sur des sanctions financières.
La portée de la décision est donc à la fois spécifique, car elle contraint un État à régulariser une situation précise, et générale, car elle sert d’avertissement pour tous. Elle démontre que la construction d’un espace juridique commun, particulièrement dans un domaine aussi intégré que l’environnement, ne tolère aucune exception et que l’harmonisation des règles doit se traduire par une harmonisation des pratiques sur le terrain.