Cour de justice de l’Union européenne, le 26 avril 2005, n°C-494/01

Par un arrêt du 26 avril 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur l’étendue des obligations pesant sur un État membre en matière de gestion des déchets. En l’espèce, la Commission a engagé une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre, suite à de multiples plaintes dénonçant des défaillances dans l’application de la directive relative aux déchets. Ces plaintes mettaient en lumière l’existence de nombreuses décharges exploitées sans autorisation, tant par des entités publiques que par des opérateurs privés, ainsi que des dépôts illégaux de déchets, y compris dans des zones écologiquement sensibles. La Commission a fait valoir que ces situations ne constituaient pas des incidents isolés, mais révélaient une pratique administrative de tolérance, caractérisant un manquement général et persistant aux obligations de la directive.

Au cours de la procédure précontentieuse, l’État membre mis en cause a contesté l’existence d’un manquement systémique, arguant notamment des progrès législatifs réalisés et du caractère ponctuel des situations dénoncées. Après l’envoi de plusieurs lettres de mise en demeure et d’un avis motivé consolidé, la Commission a saisi la Cour d’un recours visant à faire constater les violations de plusieurs dispositions de la directive. Le débat s’est cristallisé autour de la question de savoir si une accumulation de manquements individuels pouvait caractériser une défaillance générale de l’État et si, par conséquent, le non-respect de l’obligation d’autorisation préalable des installations de traitement des déchets entraînait nécessairement la violation d’autres obligations substantielles prévues par la directive.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si un manquement général et persistant à l’obligation de soumettre les opérations de gestion des déchets à un régime d’autorisation préalable constitue, en soi, une violation des obligations de résultat imposées par la directive, et dans quelle mesure elle pouvait se fonder sur une pratique administrative tolérante pour constater un tel manquement d’État. La Cour a jugé que le manquement de l’État membre était établi sur l’ensemble des griefs. Elle a considéré que la tolérance généralisée d’activités non autorisées constituait une violation des obligations de résultat de la directive, et que cette défaillance initiale entraînait par voie de conséquence le non-respect des autres dispositions relatives à la protection de l’environnement, à l’établissement d’un réseau adéquat d’installations, au contrôle et à la responsabilité des détenteurs de déchets.

L’analyse de la décision révèle la reconnaissance par la Cour d’un manquement d’État systémique qui se fonde sur une pratique administrative généralisée (I), entraînant un effet en cascade sur l’ensemble des obligations prévues par la directive (II).

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I. La consécration d’un manquement d’État systémique fondé sur une pratique administrative généralisée

La Cour établit d’abord sa méthode pour apprécier un manquement d’ordre général en admettant la preuve d’une pratique administrative persistante (A), avant de réaffirmer le caractère central et absolu de l’obligation d’autorisation préalable qui constitue le pivot du dispositif de la directive (B).

A. L’admission de la preuve d’une pratique administrative généralisée et persistante

La Cour précise l’objet du litige et la charge de la preuve dans le cadre d’un recours dénonçant une défaillance systémique. Elle admet que la Commission puisse alléguer un « manquement d’ordre général aux dispositions de la directive, tiré notamment de l’attitude systématique et constante de tolérance adoptée par les autorités » nationales. Cette approche permet de dépasser l’examen de cas individuels pour apprécier l’effectivité globale de la mise en œuvre du droit de l’Union. La Cour autorise ainsi la Commission à produire des éléments complémentaires, y compris postérieurs à l’avis motivé, afin « d’étayer la généralité et la constance du manquement ainsi allégué ». Cette souplesse probatoire est toutefois encadrée par l’obligation pour la Commission de ne pas modifier l’objet du litige.

En matière de charge de la preuve, la Cour rappelle qu’il incombe en principe à la Commission d’établir le manquement. Cependant, elle module cette exigence en raison du devoir de coopération loyale des États membres. Lorsque la Commission fournit « suffisamment d’éléments faisant apparaître que les autorités d’un État membre ont développé une pratique répétée et persistante contraire aux dispositions d’une directive », il incombe à l’État défendeur de « contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent ». Faute d’une telle réfutation, les faits allégués peuvent être tenus pour établis. Cette jurisprudence consacre un renversement pragmatique de la charge de la preuve face à des indices sérieux de défaillance structurelle.

B. L’affirmation du caractère absolu de l’obligation d’autorisation préalable

La Cour examine ensuite le cœur du manquement, à savoir la violation des articles 9 et 10 de la directive. Elle qualifie l’obligation de soumettre toute opération d’élimination ou de valorisation de déchets à une autorisation d’obligation de résultat, « formulée d’une manière claire et non équivoque ». La simple transposition de la directive en droit interne est jugée insuffisante. L’État membre doit s’assurer concrètement que les opérateurs disposent effectivement d’une autorisation avant d’entreprendre leurs activités. La Cour rejette ainsi fermement l’argument selon lequel l’introduction d’une demande d’autorisation pourrait suffire à régulariser la situation, même temporairement.

Le caractère préalable de l’autorisation est donc un élément essentiel, destiné à garantir l’application préventive de l’article 4 de la directive. La Cour écarte l’argument d’une période de transition nécessaire pour les installations existantes, rappelant que les obligations en matière d’autorisation existent depuis la première directive de 1975. La tolérance systématique des autorités nationales envers des installations fonctionnant sans autorisation, parfois pendant des décennies, est donc jugée comme une pratique illégale. Ce manquement, qualifié de « général et persistant », résulte à la fois de la transposition tardive de la directive, de l’abstention d’exiger la cessation des activités illégales et de l’absence de mesures pour accélérer la régularisation des sites.

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II. L’effet en cascade du manquement à l’obligation d’autorisation sur l’ensemble du dispositif de la directive

La Cour démontre que la défaillance sur le régime d’autorisation paralyse l’ensemble des garanties prévues par la directive, entraînant une violation induite des obligations fondamentales de protection (A) et la neutralisation des mécanismes de contrôle et de responsabilité (B).

A. La violation induite des obligations fondamentales de protection de l’environnement

La Cour établit un lien de causalité direct entre la violation des articles 9 et 10 et celle des articles 4 et 5 de la directive. Concernant l’article 4, qui impose d’assurer l’élimination des déchets sans danger pour la santé humaine et l’environnement, la Cour juge que le manquement général et persistant au régime d’autorisation « suffit à établir » la violation de cette disposition. Le système d’autorisation est en effet conçu comme le principal instrument pour atteindre les objectifs de l’article 4, en fixant des prescriptions techniques et des précautions adaptées à chaque site. L’absence d’autorisation signifie l’absence de ce contrôle préventif.

De plus, la Cour relève que la persistance d’une « dégradation significative de l’environnement pendant une période prolongée sans intervention des autorités compétentes » démontre que l’État a outrepassé sa marge d’appréciation. De même, la Cour conclut à la violation de l’article 5, relatif à l’établissement d’un « réseau intégré et adéquat d’installations d’élimination ». Un réseau ne peut être considéré comme « adéquat » s’il est composé d’un grand nombre d’installations fonctionnant illégalement, hors de toute planification et de tout contrôle. Le manquement à l’obligation d’autorisation suffit donc également à démontrer que l’État n’a pas pris les mesures appropriées pour constituer un tel réseau.

B. La paralysie des mécanismes de contrôle et de responsabilité

Enfin, la Cour met en évidence l’interdépendance des obligations de la directive en se prononçant sur les articles 8, 13 et 14. L’article 8, qui oblige les États à veiller à ce que tout détenteur de déchets les remette à un opérateur autorisé, est nécessairement violé dès lors que l’État tolère l’existence d’opérateurs non autorisés. La Cour rappelle que l’exploitant d’une décharge illégale est lui-même un « détenteur de déchets » au sens de la directive, et que l’État doit prendre des mesures à son encontre, une simple action répressive étant insuffisante.

Les mécanismes de suivi sont également rendus inopérants. L’article 13 prévoit des contrôles périodiques des installations autorisées. La Cour en déduit logiquement qu' »à défaut d’octroi de telles autorisations […] les contrôles qui seraient effectués auprès de ceux-ci ne peuvent, par hypothèse, répondre aux exigences de l’article 13″. L’un des objets essentiels du contrôle est en effet de vérifier le respect des conditions fixées dans l’autorisation. De même, l’obligation de tenir un registre prévue à l’article 14, qui vise à assurer la traçabilité des déchets, perd son sens si elle n’est pas rattachée aux conditions spécifiques d’une autorisation. La violation généralisée des articles 9 et 10 entraîne donc inéluctablement celle des articles 13 et 14.

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Hassan KOHEN
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