La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 26 avril 2012, précise le régime fiscal applicable à l’utilisation de véhicules empruntés dans un contexte transfrontalier. Cette décision concerne la conformité au droit de l’Union d’une taxe nationale perçue lors de la première utilisation sur le réseau routier d’un véhicule immatriculé à l’étranger. Des résidents néerlandais ont utilisé aux Pays-Bas, pour une courte durée, des voitures mises à leur disposition gratuite par des proches résidant dans d’autres États membres.
L’administration fiscale a adressé des avis de redressement aux utilisateurs en raison de l’absence de paiement de la taxe sur les voitures de tourisme et les motos. Le Belastingdienst a considéré que la taxe était due intégralement dès la première utilisation du véhicule non immatriculé sur le territoire national. Saisi des recours, le Gerechtshof te ‘s-Hertogenbosch a annulé ces redressements en y voyant une entrave injustifiée au droit de circuler librement. Le Staatssecretaris van Financiën a formé un pourvoi devant le Hoge Raad der Nederlanden, contestant l’application du droit de l’Union à ces situations purement internes.
Le problème de droit porte sur la qualification juridique d’un prêt de véhicule entre résidents d’États membres différents et sur la validité d’une taxe non proportionnelle à la durée d’utilisation. La juridiction de renvoi s’interroge sur l’existence d’une restriction aux libertés fondamentales garanties par les traités européens. La Cour doit déterminer si le prélèvement de l’intégralité d’une taxe d’immatriculation sans égard pour la durée réelle de l’usage est compatible avec le principe de libre circulation.
I. L’identification du prêt à usage comme mouvement de capitaux
A. L’assimilation du prêt transfrontalier aux opérations financières
La Cour de justice fonde son raisonnement sur la libre circulation des capitaux pour régir le prêt à usage d’un véhicule entre citoyens européens. Elle rappelle que la nomenclature indicative de la directive 88/361 inclut les prêts et les dons parmi les mouvements de capitaux à caractère personnel. Les juges soulignent que « le caractère gratuit d’une opération n’empêche pas, en soi, sa qualification en tant que mouvement de capitaux au sens de l’article 56 CE ». Cette approche extensive permet d’intégrer des relations juridiques dépourvues de contrepartie financière directe dans le champ de la protection communautaire.
Le prêt d’un véhicule représente une valeur économique déterminée correspondant au coût d’une location similaire pour la même période. Dès lors, « le prêt à usage transfrontalier, à titre gratuit, d’un véhicule automobile constitue un mouvement de capitaux au sens de l’article 56 CE ». Cette qualification permet d’écarter l’argument d’une situation purement interne, le lien de droit dépassant les frontières d’un seul État membre.
B. La primauté de la liberté de circulation des capitaux sur la citoyenneté
L’analyse de la Cour privilégie l’article 56 CE par rapport au droit général de circuler et de séjourner énoncé à l’article 18 CE. La juridiction européenne dispose de la faculté de fournir tous les éléments d’interprétation utiles, même si le juge national a limité ses questions. En l’espèce, l’imposition litigieuse découle de l’utilisation d’un capital mobilier prêté par un résident d’un autre État membre. La Cour conclut que « dès lors que les affaires au principal relèvent de l’article 56 CE, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’interprétation de l’article 18 CE ».
L’existence d’une relation juridique transfrontalière suffit à déclencher l’application des libertés de circulation prévues par le traité. Les États membres doivent exercer leur compétence fiscale, non harmonisée en matière de véhicules, dans le respect scrupuleux de ces principes fondamentaux. La caractérisation du prêt comme mouvement de capitaux impose ensuite de vérifier l’existence d’une restriction injustifiée au détriment des résidents nationaux.
II. La sanction d’une restriction fiscale non proportionnée
A. La nature dissuasive de la taxe d’immatriculation intégrale
La réglementation nationale impose le paiement de l’intégralité de la taxe vm dès la première utilisation sur le réseau routier pour les véhicules étrangers. Cette mesure crée une différence de traitement manifeste par rapport aux prêts de véhicules déjà immatriculés aux Pays-Bas. Une telle disposition est « de nature à rendre moins attrayants ces mouvements de capitaux transfrontaliers » en dissuadant les résidents d’accepter des prêts. La mesure constitue ainsi une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée par l’article 56 du traité.
Les autorités nationales ne peuvent entraver la faculté des citoyens de contracter des prêts ou de recevoir des libéralités provenant d’autres États membres. Le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne reçoivent pas un traitement fiscal différent sans justification objective. L’imposition immédiate et totale d’un bien utilisé de façon temporaire rompt l’équilibre nécessaire entre souveraineté fiscale et libertés européennes.
B. L’exigence d’un lien permanent avec le territoire national
La validité de la taxe dépend de l’intention d’utiliser le véhicule de manière durable sur le territoire de l’État qui perçoit l’imposition. Un État membre peut taxer un véhicule immatriculé ailleurs s’il est « destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire du premier État membre à titre permanent ». Dans les litiges soumis au Hoge Raad der Nederlanden, le prélèvement n’a pas tenu compte de la durée effective de l’usage. La Cour juge que l’imposition n’est pas justifiée si le rattachement du véhicule au territoire national demeure insuffisant ou occasionnel.
La décision souligne qu’une taxe proportionnelle à la dépréciation du véhicule pourrait être admissible sous réserve de respecter la durée de l’emprunt. Cependant, « l’article 56 CE s’oppose à une réglementation […] qui impose le paiement de l’intégralité d’une taxe […] sans tenir compte de la durée d’utilisation ». Le droit à exonération ou à remboursement doit être garanti lorsque le véhicule n’est pas destiné à un usage permanent. Cette solution protège la fluidité des échanges personnels au sein du marché intérieur contre les exigences fiscales excessives des administrations nationales.