Cour de justice de l’Union européenne, le 26 avril 2017, n°C-142/16

Par un arrêt dont la portée est significative, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue des obligations qui incombent aux États membres au titre de la protection des habitats naturels. En l’espèce, une autorisation a été délivrée pour la construction d’une centrale à charbon à proximité de Hambourg, en Allemagne. Ce projet industriel, par sa nature et sa localisation, était susceptible d’avoir des incidences notables sur des zones de conservation spéciales protégées par le droit de l’Union. La Commission européenne a engagé un recours en manquement à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne. Elle soutenait que les autorités nationales n’avaient pas correctement évalué les conséquences du projet sur les sites protégés environnants, violant ainsi les dispositions de la directive concernant la conservation des habitats naturels. Le litige a donc été porté devant la Cour de justice afin qu’elle détermine si la procédure d’autorisation suivie par l’État membre était conforme à ses engagements européens. La question de droit soumise à la Cour était de savoir si l’autorisation d’un projet industriel sans une évaluation préalable complète et correcte de ses incidences sur un site naturel protégé constitue un manquement aux obligations découlant de la directive 92/43/CEE. La Cour répond par l’affirmative en déclarant « qu’en ne procédant pas, lors de l’autorisation de la construction de la centrale à charbon […], à une évaluation correcte et complète des incidences, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE ». Elle rejette cependant le recours pour le surplus, indiquant que tous les griefs soulevés n’étaient pas fondés. La décision vient ainsi préciser le degré d’exigence du contrôle de l’évaluation environnementale (I), tout en posant les limites de la censure juridictionnelle (II).

***

I. La consécration d’une exigence de rigueur dans l’évaluation environnementale

La Cour de justice rappelle avec fermeté l’obligation pour les États membres de procéder à une évaluation scrupuleuse des projets affectant des sites protégés. Ce faisant, elle confirme le caractère substantiel de cette obligation, qui ne saurait se limiter à une simple formalité administrative.

A. Le manquement constaté à l’obligation d’évaluation complète

L’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE impose une évaluation appropriée de tout projet non directement lié ou nécessaire à la gestion d’un site Natura 2000 mais susceptible d’affecter ce site de manière significative. Dans la présente affaire, la Cour estime que l’évaluation menée par les autorités nationales n’a été ni « correcte » ni « complète ». Ces deux adjectifs soulignent que le contrôle exercé par la Cour ne porte pas seulement sur l’existence d’une évaluation, mais également sur sa qualité et son exhaustivité. Une analyse qui omettrait certains impacts potentiels ou qui reposerait sur des données insuffisantes ou erronées ne saurait satisfaire aux exigences du droit de l’Union. En retenant un tel manquement, la juridiction européenne garantit que le mécanisme préventif de la directive conserve toute son efficacité. La protection des habitats naturels ne peut être assurée si les décisions d’autorisation se fondent sur des informations parcellaires ou inexactes.

B. L’interprétation stricte des conditions de la directive Habitats

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt confirme une jurisprudence constante appliquant une interprétation stricte des dispositions de la directive Habitats. Le but de cette dernière est de maintenir ou de rétablir un état de conservation favorable pour les habitats naturels et les espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire. L’évaluation des incidences constitue la pierre angulaire de ce dispositif, car elle conditionne la possibilité même d’autoriser un projet. En sanctionnant une évaluation jugée défaillante, la Cour réaffirme que les considérations écologiques doivent être intégrées de manière effective et en amont dans le processus décisionnel. Toute autre approche viderait de sa substance l’obligation de protection et compromettrait la réalisation des objectifs du réseau Natura 2000. La rigueur de l’analyse exigée vise à objectiver le débat et à s’assurer que seules des conclusions fondées sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles peuvent justifier une éventuelle atteinte à un site protégé.

II. Une portée encadrée de la censure juridictionnelle

Si la Cour condamne l’Allemagne pour l’insuffisance de son évaluation, elle prend soin de limiter la portée de sa décision en rejetant les autres prétentions de la Commission. Cette nuance révèle une approche mesurée du contrôle juridictionnel, dont les implications pour les États membres méritent d’être soulignées.

A. Le rejet partiel du recours : une censure ciblée

La décision précise que « le recours est rejeté pour le surplus ». Cette mention est d’une importance capitale pour apprécier la valeur de l’arrêt. Elle signifie que la Cour a examiné l’ensemble des arguments avancés par la Commission et n’a validé que celui relatif au caractère incorrect et incomplet de l’évaluation des incidences. Les autres griefs, dont la teneur n’est pas détaillée dans l’extrait, ont été écartés. Cette démarche démontre que la Cour n’agit pas comme un censeur général des politiques environnementales nationales, mais exerce un contrôle juridique ciblé sur le respect de points de droit précis. En conséquence, la condamnation de l’État membre est strictement limitée au manquement prouvé, ce qui préserve une marge d’appréciation pour les autorités nationales dans les domaines non explicitement réglementés ou lorsque la preuve d’une violation fait défaut.

B. Les implications pour les projets futurs des États membres

La portée de cet arrêt est avant tout préventive. Il adresse un message clair à l’ensemble des États membres sur la nécessité de conduire des évaluations d’incidences avec la plus grande rigueur scientifique et juridique. Les autorités nationales sont ainsi averties que la simple production d’un document intitulé « évaluation d’incidences » ne suffit pas à satisfaire leurs obligations. Le contenu de cette évaluation doit être à la hauteur des enjeux écologiques et résister à un examen approfondi. Pour les porteurs de projets, cette jurisprudence renforce la sécurité juridique en clarifiant le niveau d’exigence attendu. Ils savent qu’un dossier solide et complet est une condition indispensable à la viabilité de leur projet. À terme, une telle exigence est de nature à favoriser une meilleure intégration des impératifs de conservation de la biodiversité dans le développement des activités économiques sur le territoire de l’Union.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture