Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’un impôt national frappant les grands établissements commerciaux avec le droit de l’Union, spécifiquement au regard de la liberté d’établissement et des règles encadrant les aides d’État. En l’espèce, une législation nationale avait institué une taxe visant les établissements de vente au détail dont la surface excédait un certain seuil. Ce régime fiscal prévoyait toutefois plusieurs exonérations et abattements pour des établissements actifs dans des secteurs spécifiques, comme le jardinage ou le bricolage, ainsi qu’une exonération totale pour les grands établissements commerciaux collectifs. Une entreprise assujettie à cet impôt a contesté sa validité devant une juridiction nationale, arguant d’une violation des principes du droit de l’Union. Saisie d’une question préjudicielle, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur la conformité de ce dispositif fiscal avec les articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatifs à la liberté d’établissement, ainsi qu’avec l’article 107 du même traité prohibant les aides d’État. Il était demandé à la Cour de déterminer si un tel impôt, par sa nature et ses multiples dérogations, créait une restriction injustifiée à la liberté d’établissement ou constituait un régime d’aides d’État sélectif. La Cour de justice de l’Union européenne répond que les articles 49 et 54 TFUE ne s’opposent pas à un tel impôt. Elle juge ensuite que si les exonérations fondées sur un seuil de surface ou sur la nature de l’activité peuvent échapper à la qualification d’aide d’État sous certaines conditions, l’exonération des grands établissements commerciaux collectifs constitue bien une aide d’État. Enfin, elle précise que ces aides ne sauraient être considérées comme des aides existantes. Il convient ainsi d’analyser la validation de principe de l’impôt au regard des libertés de circulation (I), avant d’examiner l’appréciation différenciée de ses aménagements sous l’angle des aides d’État (II).
I. La conformité de l’impôt à la liberté d’établissement : une validation de principe
La Cour examine d’abord la compatibilité de la mesure fiscale avec la liberté d’établissement, pour rejeter l’existence d’une discrimination contraire aux traités (A), confirmant ainsi une marge d’appréciation significative reconnue aux États membres en la matière (B).
A. Le rejet d’une discrimination contraire aux libertés de circulation
La Cour de justice écarte l’argument selon lequel l’impôt en cause enfreindrait la liberté d’établissement. Elle juge que « Les articles 49 et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à un impôt frappant les grands établissements commerciaux, tel que celui en cause au principal ». Ce faisant, elle applique une jurisprudence constante qui exige, pour qu’une mesure nationale soit jugée contraire à la liberté d’établissement, qu’elle engendre une discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité ou du lieu du siège social de l’opérateur économique. Or, en l’espèce, le critère d’assujettissement à l’impôt est la surface de vente de l’établissement commercial. Ce critère est objectif et s’applique indistinctement à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le territoire national concerné, qu’ils soient nationaux ou originaires d’autres États membres. En l’absence de toute distinction fondée sur la nationalité, la mesure n’est pas discriminatoire et ne constitue donc pas une restriction à la liberté d’établissement au sens des articles 49 et 54 du Traité. Le raisonnement de la Cour est ici classique et réaffirme que les libertés de circulation ne visent pas à abolir toute réglementation nationale susceptible d’affecter le commerce, mais seulement celles qui traitent moins favorablement les opérateurs des autres États membres.
B. La reconnaissance de la marge d’appréciation fiscale et environnementale des États membres
En validant le principe de cet impôt, la Cour reconnaît implicitement la légitimité de l’objectif poursuivi par l’État membre. Bien que la décision ne le détaille pas, l’argumentaire sous-jacent à ce type de taxe est généralement lié à des considérations d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement. En taxant les grandes surfaces, le législateur national cherche à limiter leur prolifération et à en maîtriser les externalités négatives, telles que l’augmentation du trafic routier ou l’artificialisation des sols. En ne s’opposant pas à une telle fiscalité, la Cour confirme que les États membres disposent d’une autonomie substantielle pour mettre en œuvre des politiques fiscales visant des objectifs d’intérêt général. Cette solution s’inscrit dans le respect du principe de subsidiarité et de la répartition des compétences entre l’Union et ses membres. La fiscalité directe et les politiques d’aménagement du territoire demeurent en grande partie des prérogatives nationales. Tant que la mesure fiscale ne dissimule pas une intention protectionniste et qu’elle est appliquée de manière cohérente et non discriminatoire, elle reste du ressort de l’État membre.
Après avoir confirmé la validité de l’impôt sur le terrain de la liberté d’établissement, la Cour procède à une analyse plus détaillée de ses différentes modulations au regard du droit des aides d’État, où elle opère une distinction minutieuse.
II. L’analyse du régime au prisme des aides d’État : une appréciation sélective
La Cour se livre à une analyse fine des exonérations, distinguant les mesures générales ou justifiées (A) des avantages sélectifs injustifiés, qu’elle qualifie rigoureusement d’aides d’État nouvelles (B).
A. La distinction entre mesure générale et avantage sélectif justifié
La Cour examine si les différentes exonérations prévues par la loi fiscale constituent des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE. Elle considère d’abord que l’exonération des établissements dont la surface est inférieure à 2500 m² n’est pas une aide d’État. Ce seuil constitue une caractéristique définissant le champ d’application de l’impôt ; il s’agit donc d’une mesure de portée générale qui ne bénéficie pas à des entreprises ou des productions déterminées. Ensuite, la Cour admet que les exonérations ou abattements pour des secteurs spécifiques pourraient être justifiés par la logique interne du système fiscal. Elle estime qu’un tel traitement différencié n’est pas une aide d’État « dès lors que ces établissements ne causent pas des atteintes à l’environnement et à l’aménagement du territoire aussi importantes que les autres, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier ». La Cour établit ainsi un lien direct entre la modulation de l’impôt et son objectif affiché. Si la différenciation fiscale reflète objectivement une différence d’impact environnemental, elle est justifiée et ne constitue pas un avantage sélectif. La charge de cette vérification factuelle est cependant renvoyée au juge national, qui devra apprécier si cette justification est matériellement fondée.
B. La sanction des avantages sélectifs injustifiés et leur qualification d’aides nouvelles
En revanche, la Cour se montre beaucoup plus stricte concernant l’exonération accordée aux grands établissements commerciaux collectifs. Elle juge qu’une telle mesure « est en revanche constitutif d’une aide d’État ». La logique est imparable : un regroupement de commerces au sein d’une structure collective génère un impact environnemental et urbanistique au moins équivalent, sinon supérieur, à celui d’un établissement individuel de même taille. L’exonération ne peut donc être justifiée par la nature ou l’économie du système fiscal, dont l’objectif est précisément de taxer les activités en fonction de cet impact. Cet avantage est donc sélectif et fausse la concurrence en favorisant une forme d’organisation commerciale sans raison objective. Enfin, la Cour précise que ces aides « ne peuvent pas constituer des aides existantes ». Cette qualification est déterminante : s’agissant d’aides nouvelles, elles auraient dû être notifiées à la Commission européenne avant leur mise en œuvre. N’ayant pas été notifiées, elles sont illégales. Cette conclusion emporte des conséquences pratiques importantes, car elle oblige l’État membre à supprimer la mesure et à récupérer les montants indûment non perçus auprès des bénéficiaires, afin de rétablir la situation concurrentielle antérieure.