La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 26 février 2015, un arrêt relatif à l’interprétation des directives concernant la lutte contre le retard de paiement. Cette décision interroge la possibilité pour un État de modifier les intérêts d’une créance publique ancienne durant le délai de transposition d’une nouvelle norme européenne.
Les faits trouvent leur origine dans un régime de gestion centralisée de l’approvisionnement agroalimentaire instauré en Italie après la Seconde Guerre mondiale. Une fédération de coopératives, agissant pour le compte de l’État, a sollicité le remboursement de dépenses effectuées jusqu’en 1967 ainsi que le versement d’intérêts moratoires. L’administration a contesté le montant de cette dette, notamment à la suite de réformes législatives nationales intervenues en 1999 et 2012 modifiant le mode de calcul des intérêts.
Saisie du litige, la cour d’appel de Rome a fixé la créance en écartant certaines dispositions nationales, décision censurée une première fois par la Cour de cassation italienne. En 2011, les juges d’appel ont de nouveau fait droit aux demandes du créancier en appliquant un taux d’intérêt majoré avec une capitalisation semestrielle. L’administration a alors formé un second pourvoi devant la Cour de cassation en invoquant l’application d’un décret de 2012 limitant les intérêts légaux.
Le créancier a soutenu que cette intervention législative était incompatible avec les directives européennes de 2000 et 2011 relatives aux retards de paiement dans les transactions commerciales. La juridiction de renvoi a donc demandé si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État modifie, en défaveur du créancier, les intérêts d’une créance antérieure.
La Cour de justice décide que les directives ne s’opposent pas à une telle modification dès lors que l’État a exclu les contrats anciens de leur champ d’application. L’analyse portera d’abord sur l’exclusion des contrats antérieurs aux directives, puis sur la liberté législative conservée par les États durant la phase de transposition.
I. L’exclusion des contrats antérieurs du champ d’application des directives
A. La validité de la dérogation temporelle offerte aux États
Le législateur européen a prévu des facultés de dérogation permettant aux États membres de ne pas appliquer les nouvelles règles aux contrats conclus avant certaines dates. La Cour relève ainsi que « la faculté pour un État membre d’exclure, lors de la transposition de la directive 2000/35, les contrats conclus avant le 8 août 2002 […] est expressément prévue ». Cette option permet de respecter la prévisibilité juridique des engagements contractuels pris sous l’empire de législations antérieures.
En l’espèce, la République italienne avait fait usage de cette possibilité lors de l’intégration de la première directive dans son ordre juridique interne. La créance litigieuse, issue de prestations réalisées avant 1967, se rattachait nécessairement à des relations contractuelles antérieures à la date charnière de l’année 2002. Par conséquent, les dispositions protectrices du créancier prévues par le droit de l’Union ne pouvaient pas trouver d’application immédiate à cette situation historique.
B. L’inefficacité des normes européennes sur les créances historiques
L’exercice de la faculté d’exclusion par un État membre entraîne l’inapplicabilité totale des dispositions de la directive aux contrats concernés. La Cour précise que cet usage a pour conséquence de « rendre inapplicables ratione temporis à ces contrats l’ensemble des dispositions » de la norme européenne. Le créancier ne peut donc pas se prévaloir des taux d’intérêt européens pour contester une loi nationale modifiant ses droits acquis.
La protection contre les clauses abusives ou les retards de paiement ne s’étend pas aux conventions que l’État a décidé de maintenir hors du cadre harmonisé. Cette solution confirme que le droit de l’Union n’a pas vocation à régir les effets futurs de contrats nés bien avant l’adoption des politiques de lutte contre les retards de paiement. La souveraineté nationale demeure ainsi entière pour régler le sort des dettes publiques dont l’origine est antérieure au processus d’harmonisation.
II. La liberté législative nationale durant la phase de transposition
A. L’absence de compromission des objectifs de la nouvelle directive
Le litige concernait également une loi adoptée pendant le délai accordé aux États pour transposer la directive de 2011. La Cour examine si cette modification législative « ne saurait en tout état de cause être considérée comme pouvant être de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit ». Elle conclut par la négative en soulignant que la nouvelle directive permettait elle aussi d’exclure les contrats conclus avant le 16 mars 2013.
Dès lors que la directive de 2011 autorise les États à écarter les anciennes transactions, l’adoption d’une loi nationale défavorable à ces créances ne heurte pas ses objectifs. L’obligation de ne pas prendre de mesures contraires à une directive en attente de transposition ne s’applique que si la mesure menace l’effet utile futur. Puisque l’État pouvait légalement décider de ne pas soumettre ces vieux contrats au nouveau régime, sa liberté d’action restait préservée.
B. La confirmation de l’autonomie des États pour les situations passées
La Cour rejette l’idée qu’un État ne pourrait pas changer in pejus les conditions d’indemnisation pour des relations déjà en cours. Elle affirme qu’il ne saurait « être déduit de l’article 12, paragraphe 3, de ladite directive […] qu’un État membre […] ne peut modifier en défaveur d’un créancier de l’État » les intérêts dus. Cette interprétation limite l’ingérence du droit de l’Union dans la gestion budgétaire et législative des dettes anciennes des administrations publiques.
Le juge européen renvoie finalement la protection du créancier aux éventuels « recours pouvant éventuellement exister en droit interne contre une telle modification ». La décision souligne que l’encadrement européen des transactions commerciales ne constitue pas une garantie universelle contre toute révision législative nationale. Cette solution laisse aux juridictions nationales la charge de vérifier la conformité des lois aux principes constitutionnels de sécurité juridique ou de respect des biens.