Dans un arrêt du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa troisième chambre, est venue préciser les conditions dans lesquelles un État membre peut subordonner l’octroi d’un financement pour des études supérieures à une exigence de résidence antérieure sur son territoire. En l’espèce, une ressortissante néerlandaise, ayant déménagé en Belgique à l’âge de six ans, s’était inscrite dans une université située dans les Antilles néerlandaises. Elle avait obtenu un financement d’études de la part des autorités néerlandaises, avant que celles-ci ne l’annulent et n’en exigent le remboursement au motif qu’elle ne remplissait pas la condition légale de résidence, à savoir avoir résidé aux Pays-Bas pendant au moins trois ans au cours des six années précédant le début de ses études. Saisie du litige en première instance, le Rechtbank ’s-Gravenhage avait rejeté le recours de l’étudiante. La requérante avait alors interjeté appel de cette décision devant le Centrale Raad van Beroep. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle condition de résidence avec les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatives à la citoyenneté et à la libre circulation des personnes. La question de droit posée était de savoir si les articles 20 et 21 du TFUE s’opposent à ce que la législation d’un État membre subordonne l’octroi d’un financement pour des études suivies à l’étranger à une condition de résidence de trois années sur les six précédant l’inscription. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle réglementation constitue une restriction disproportionnée à la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union.
L’arrêt établit que la condition de résidence constitue une restriction à la liberté de circulation des citoyens (I), avant de conclure à l’invalidité de cette mesure en raison de son caractère disproportionné (II).
I. La qualification de la condition de résidence en restriction à la libre circulation
La Cour rappelle d’abord le large champ d’application de la liberté de circulation attachée à la citoyenneté de l’Union (A), pour ensuite considérer que la condition de résidence litigieuse constitue une entrave à cette liberté fondamentale (B).
A. Le champ d’application extensif du droit de circuler et de séjourner
La Cour de justice réaffirme avec force que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres. En l’espèce, la requérante, de nationalité néerlandaise, a exercé son droit de circuler et de séjourner librement en s’installant avec sa famille en Belgique. Le fait que cet exercice de la liberté de circulation remonte à plusieurs années et qu’elle ait ensuite entrepris des études en dehors du territoire de l’Union ne la prive pas des droits attachés à ce statut. La Cour juge que « le fait que la requérante au principal a utilisé ses droits de circuler librement en déménageant des Pays-Bas vers la Belgique avec sa famille au cours de l’année 1993 et a continué de faire usage de ces droits tout au long de la période pendant laquelle elle a vécu en Belgique » suffit à placer sa situation dans le champ d’application du droit de l’Union.
Cette approche confirme une jurisprudence constante selon laquelle un citoyen peut se prévaloir de son statut y compris à l’égard de son propre État membre d’origine, dès lors qu’il a fait un usage, même ancien, de sa mobilité. En rattachant la situation au droit de l’Union, la Cour se donne les moyens de contrôler la conformité de la législation nationale au regard des libertés fondamentales garanties par le traité.
B. L’identification d’une entrave à la liberté de circulation
Une fois le lien de rattachement au droit de l’Union établi, la Cour examine si la mesure nationale constitue une restriction. La réglementation néerlandaise, bien qu’applicable sans distinction de nationalité, est susceptible de désavantager les citoyens ayant exercé leur liberté de circulation. La Cour considère en effet qu’une telle réglementation risque « de pénaliser un demandeur du seul fait qu’il a exercé la liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre ». Un ressortissant néerlandais n’ayant jamais quitté le pays remplirait plus facilement la condition de résidence qu’un ressortissant qui, comme la requérante, a vécu une longue période dans un autre État membre.
Cette condition est donc susceptible de dissuader les citoyens de faire usage de leur droit de mobilité, de peur de perdre ultérieurement l’accès à certains avantages sociaux, ce qui est particulièrement important dans le domaine de l’éducation. La Cour conclut ainsi sans équivoque que « la condition des trois ans sur six, telle que prévue à l’article 2.14, paragraphe 2, de la wsf 2000, […] constitue une restriction au droit de libre circulation et de séjour dont jouissent tous les citoyens de l’Union en vertu de l’article 21 TFUE ».
Une telle restriction ne pouvant être admise que si elle est justifiée et proportionnée, la Cour procède ensuite à l’analyse de sa justification.
II. La censure de la condition de résidence au nom du principe de proportionnalité
Si la Cour admet que l’objectif d’intégration poursuivi par l’État membre est en principe légitime (A), elle juge néanmoins la mesure disproportionnée en raison de son caractère trop exclusif (B).
A. La reconnaissance d’un objectif légitime d’intégration
Le gouvernement néerlandais soutenait que la condition de résidence visait à s’assurer de l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre le demandeur du financement et la société néerlandaise. La Cour de justice reconnaît la validité d’un tel objectif. Elle admet que la volonté de « vérifier l’existence d’un certain lien de rattachement entre la société de l’État membre prestataire et le bénéficiaire d’une prestation » peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre circulation.
Ce faisant, la Cour ne remet pas en cause la prérogative des États membres d’organiser leurs systèmes d’aides sociales et de les réserver aux personnes présentant un degré d’intégration réel. Toutefois, l’admission du principe ne vaut pas validation des moyens mis en œuvre pour l’atteindre. L’analyse se déplace alors vers le caractère proportionné de la mesure choisie pour attester ce lien de rattachement.
B. Le caractère disproportionné d’un critère de rattachement exclusif
C’est sur le terrain de la proportionnalité que la législation néerlandaise est jugée défaillante. La Cour estime qu’une condition unique de résidence, telle que celle en cause, « risque d’exclure du bénéfice du financement des études supérieures en question des étudiants qui, en dépit du fait qu’ils n’ont pas résidé aux Pays-Bas pendant une période de trois années sur les six années exigées […], possèdent néanmoins des liens réels d’intégration qui les rattachent à cet État membre ». La preuve de l’intégration ne doit pas reposer sur un critère ayant un caractère trop exclusif.
La Cour souligne que d’autres éléments auraient pu être pris en compte pour évaluer le lien de rattachement, tels que « la nationalité de l’étudiant, sa scolarisation, sa famille, son emploi, ses capacités linguistiques ou l’existence d’autres liens sociaux ou économiques ». En se fondant uniquement sur la résidence passée, la loi néerlandaise ignore d’autres facteurs tout aussi pertinents et privilégie indûment un seul élément. Elle est donc jugée à la fois « trop exclusive et trop aléatoire ». La simple possibilité pour le ministre de déroger à la règle en cas d’injustice grave n’est pas jugée suffisante pour garantir une prise en considération systématique de l’ensemble des liens pertinents. Par conséquent, la mesure va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intégration et est déclarée contraire au droit de l’Union.