La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 26 février 2019, un arrêt fondamental concernant l’apposition du logo biologique européen sur certaines viandes. Cette décision précise l’articulation entre les impératifs du bien-être animal et les méthodes d’abattage prescrites par des rites religieux.
Le litige trouve son origine dans une demande visant à interdire la mention « agriculture biologique » sur des steaks hachés certifiés « halal ». Ces produits étaient issus d’animaux abattus sans étourdissement préalable, conformément à une pratique dérogatoire autorisée par le droit national.
Saisie d’un recours pour excès de pouvoir, la juridiction administrative française a connu plusieurs étapes procédurales. Le Conseil d’État a d’abord rejeté partiellement la requête le 20 octobre 2014, renvoyant le surplus au Tribunal administratif de Montreuil. Ce dernier a rejeté la demande le 21 janvier 2016. La Cour administrative d’appel de Versailles a ensuite décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice.
La question posée consistait à savoir si le règlement n° 834/2007 autorise l’usage du logo biologique pour des viandes provenant d’un abattage rituel sans étourdissement. Le problème de droit porte ainsi sur la compatibilité entre une méthode d’abattage dérogatoire et les exigences élevées de protection animale du label biologique.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que le droit de l’Union n’autorise pas l’apposition du logo biologique sur de tels produits. Elle considère que l’absence d’étourdissement préalable ne permet pas de réduire la souffrance animale de manière optimale.
I. L’exigence de protection animale renforcée propre au mode de production biologique
A. La consécration du bien-être animal comme pilier de l’agriculture biologique
Le règlement n° 834/2007 dispose que la production biologique se caractérise par l’« application de normes élevées en matière de bien-être animal ». Ce mode de production agricole répond à une attente sociale spécifique et ne se limite pas à des critères environnementaux ou techniques. Le droit européen exige que « toute souffrance, y compris la mutilation, est réduite au minimum pendant toute la durée de vie de l’animal, y compris lors de l’abattage ». Cette règle impose aux opérateurs de rechercher systématiquement les méthodes les plus protectrices de la sensibilité de l’animal.
B. L’infériorité technique de l’abattage rituel au regard de la réduction des souffrances
L’étourdissement constitue la technique qui porte le moins atteinte au bien-être animal car il provoque une perte de conscience sans douleur. Le règlement n° 1099/2009 érige d’ailleurs ce procédé en principe obligatoire pour la mise à mort des animaux d’élevage dans l’Union. Bien que l’abattage sans étourdissement soit admis à titre dérogatoire pour respecter la liberté de religion, il ne présente pas les mêmes garanties. Une incision précise de la gorge ne permet pas de réduire la souffrance de l’animal « au minimum » comme le requiert le cahier des charges biologique.
II. La sauvegarde de la confiance des consommateurs par une interprétation stricte du label
A. La préservation de l’attente légitime des acheteurs de produits biologiques
Le cadre juridique européen vise à « préserver et justifier la confiance des consommateurs dans les produits étiquetés en tant que produits biologiques ». L’apposition du logo européen crée une présomption de respect des normes les plus exigeantes en matière de traitement des animaux. Les consommateurs doivent avoir l’assurance que les produits achetés ont été obtenus en observant des méthodes supérieures aux standards de l’agriculture conventionnelle. Autoriser le logo pour des viandes issues d’un abattage sans étourdissement porterait atteinte à la crédibilité et à la transparence du système de certification.
B. La primauté de la finalité du label sur les exceptions liées à la liberté religieuse
La Cour de justice souligne que la dérogation prévue pour les rites religieux n’a pas vocation à s’étendre aux règles spécifiques de l’étiquetage biologique. Le droit de manifester sa religion par l’accomplissement de rites n’impose pas l’accès automatique à une certification valorisante et facultative. Le label biologique constitue un outil de politique agricole et commerciale dont les conditions d’accès sont définies de manière autonome par le législateur. Cette décision confirme ainsi que les exigences de bien-être animal priment sur les pratiques dérogatoires au sein du marché spécifique des produits biologiques.