La Cour de justice (Luxembourg), par un arrêt rendu le 16 juin 2022, s’est prononcée sur l’étendue des pouvoirs de révision du juge du fond. Une société avait été condamnée par une institution pour sa participation à une entente occulte sur le marché des installations sanitaires de plusieurs États membres. Le litige a connu plusieurs étapes procédurales avant que le Tribunal ne soit saisi une nouvelle fois sur le fondement d’un arrêt de renvoi. La juridiction de premier degré a exercé sa compétence de pleine juridiction pour augmenter le montant de l’amende initialement fixée par l’autorité administrative compétente. La société requérante conteste cette aggravation en soutenant que le juge ne peut statuer au-delà des prétentions de l’administration en l’absence de recours incident. L’enjeu juridique réside dans la capacité du juge de l’Union à aggraver une sanction pécuniaire sans porter atteinte au droit à un recours effectif du justiciable. La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme que la compétence de pleine juridiction autorise une telle modification à la hausse du montant initial. Cette étude nécessite d’analyser l’affirmation de la compétence de pleine juridiction du juge (I), avant d’apprécier la préservation des principes de proportionnalité et d’égalité (II).
I. L’affirmation de la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union
A. La nature autonome du pouvoir de réformation de la sanction
La Cour souligne que la compétence de pleine juridiction confère au juge le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité de régulation. Cette prérogative permet au Tribunal de modifier le montant des amendes infligées indépendamment de l’existence d’un vice de légalité entachant la décision de l’institution. Le juge de l’Union dispose ainsi de la faculté de « supprimer, de réduire ou d’augmenter l’amende ou l’astreinte imposée » par l’acte administratif faisant l’objet du recours. La décision commentée rappelle que cet exercice juridictionnel est de nature différente du simple contrôle d’annulation qui se limite à vérifier la validité de l’acte. L’exercice de ce pouvoir permet d’assurer que la sanction finale soit la plus appropriée possible au regard des circonstances particulières de l’espèce considérée. La reconnaissance de ce pouvoir autonome conduit nécessairement à s’interroger sur l’application de principes procéduraux classiques comme l’interdiction de statuer au détriment de l’appelant.
B. L’exclusion du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus
La société soutenait que l’aggravation de la sanction en l’absence de recours incident de l’administration méconnaissait l’interdiction de statuer au détriment de la partie requérante. La Cour rejette cet argument en précisant que les limites applicables au contrôle de légalité ne s’étendent pas à l’exercice de la pleine juridiction. Elle affirme ainsi que le juge « n’est pas lié par les calculs de l’institution, mais exerce sa propre compétence » lorsqu’il fixe le montant définitif de la sanction. Cette solution garantit l’indépendance de la fonction juridictionnelle face aux propositions de l’autorité administrative dont l’appréciation n’est qu’un élément parmi d’autres pour le juge. Cette reconnaissance d’un pouvoir d’aggravation doit néanmoins s’exercer dans le respect rigoureux des principes fondamentaux qui encadrent traditionnellement l’activité de toutes les juridictions européennes.
II. La préservation de la proportionnalité dans l’exercice du contrôle juridictionnel
A. L’encadrement de l’appréciation souveraine du Tribunal par les principes généraux
Le Tribunal doit motiver de manière circonstanciée toute décision conduisant à une augmentation de l’amende afin de respecter les exigences du procès équitable. L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la juridiction de premier degré reste soumis au respect des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime. La Cour de justice vérifie que le juge du fond n’a pas commis d’erreur de droit manifeste en appliquant ses propres critères de calcul. Elle précise que le juge doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de sa durée pour déterminer un montant qui soit véritablement dissuasif. Le contrôle exercé sur le pourvoi permet de s’assurer que la sanction finale demeure proportionnée à l’ensemble des agissements reprochés à l’entreprise concernée par le litige. Le contrôle de la légalité externe et interne de la sanction permet ainsi de valider la décision d’augmentation prise par la juridiction de premier degré.
B. La confirmation de la validité d’une amende aggravée pour assurer la dissuasion
La Cour conclut que l’augmentation de la sanction décidée par le Tribunal ne constitue pas une violation des droits de la défense de la partie requérante. Cette solution renforce l’efficacité du droit de la concurrence en permettant au juge de corriger les éventuelles insuffisances des sanctions prononcées par les autorités administratives. Le rejet du pourvoi confirme la possibilité pour le juge d’imposer une amende supérieure si l’équité et la justice le commandent au vu des faits. La jurisprudence consacre ainsi une vision large de l’office du juge de l’Union dans le contentieux de la répression des pratiques anticoncurrentielles transfrontalières. Cette autorité souveraine de réformation participe pleinement à la mise en œuvre d’un ordre public économique européen à la fois rigoureux et parfaitement impartial.