Cour de justice de l’Union européenne, le 26 juillet 2017, n°C-80/16

Par un arrêt du 26 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la validité d’une décision de la Commission européenne définissant les règles d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre à titre gratuit. Cette décision a été rendue sur renvoi préjudiciel du tribunal administratif de Montreuil, saisi par une société du secteur de la sidérurgie. L’entreprise contestait la légalité de l’arrêté ministériel français fixant le montant de ses quotas gratuits pour la période 2013-2020, au motif que la décision européenne sur laquelle il se fondait était elle-même invalide.

Les faits à l’origine du litige concernent une société exploitant des installations sidérurgiques, soumises au système d’échange de quotas d’émission. Cette société estimait que le nombre de quotas qui lui avaient été alloués à titre gratuit était insuffisant. Elle soutenait que la méthode de calcul, définie par la décision 2011/278/UE, reposait sur des référentiels de produit erronés, notamment pour la fonte liquide et le minerai aggloméré. La contestation portait sur plusieurs points techniques précis : l’exclusion des émissions liées à l’électricité produite à partir de gaz résiduaires, l’utilisation de données jugées obsolètes et la prise en compte d’une installation aux caractéristiques atypiques dans le calcul d’un référentiel.

Saisi du litige, le tribunal administratif de Montreuil a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la validité de la décision 2011/278/UE. Les questions posées visaient à déterminer si la Commission, en établissant les référentiels, avait méconnu les dispositions de la directive 2003/87/CE, le principe de bonne administration et l’obligation de motivation prévue par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le problème de droit central consistait donc à savoir si la Commission avait exercé son pouvoir d’exécution dans le respect du droit primaire et dérivé, compte tenu de la complexité technique et économique de la matière.

À ces questions, la Cour de justice a répondu que l’examen n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision contestée. Elle a ainsi validé l’approche de la Commission sur l’ensemble des points soulevés, confirmant la légalité des référentiels de produit pour la fonte liquide et le minerai aggloméré. Cet arrêt conduit à examiner la manière dont la Cour a validé les choix méthodologiques de la Commission (I), avant de consacrer l’étendue de son pouvoir d’appréciation dans ce domaine technique (II).

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I. La validation des choix méthodologiques pour l’établissement des référentiels

La Cour de justice a d’abord examiné la conformité des méthodes de calcul retenues par la Commission avec les objectifs de la directive. Elle a ainsi approuvé l’approche concernant la valorisation des gaz résiduaires (A) puis a légitimé le recours de la Commission à des données techniques de référence spécifiques (B).

A. L’approche justifiée concernant la valorisation des gaz résiduaires

La première question portait sur l’exclusion partielle des émissions issues de la combustion de gaz résiduaires pour la production d’électricité lors du calcul du référentiel de la fonte liquide. La directive 2003/87/CE prévoit qu’aucun quota n’est alloué pour la production d’électricité, mais instaure une exception pour celle produite à partir de gaz résiduaires, afin d’encourager cette forme de valorisation énergétique. La société requérante soutenait que cette exception impliquait une prise en compte totale des émissions correspondantes. La Commission, pour sa part, avait limité l’allocation en se basant sur une comparaison avec un combustible de référence, le gaz naturel, pour ne compenser que le surplus d’émissions.

La Cour a validé le raisonnement de la Commission. Elle a jugé qu’une allocation intégrale serait excessive et contraire à l’esprit du système. En effet, elle a relevé que « si l’allocation gratuite de quotas d’émission de gaz à effet de serre portait automatiquement sur l’ensemble de l’électricité produite à partir des gaz résiduaires, cela reviendrait à allouer des quotas gratuits non seulement pour les émissions supplémentaires qu’il convient de compenser ainsi pour ne pas décourager la récupération de ces gaz, mais aussi pour les émissions qui auraient été générées de toute façon pour produire de l’électricité, quel que soit le combustible utilisé ». En adoptant cette position, la Cour a privilégié une interprétation téléologique de la directive, visant à préserver l’équilibre du système et à éviter une surcompensation qui n’inciterait pas à une efficacité énergétique accrue. La solution assure que l’incitation à la valorisation des gaz résiduaires ne crée pas une distorsion injustifiée.

B. L’acceptation du recours à des données techniques de référence

La deuxième question soulevait le point de la qualité des données utilisées par la Commission pour déterminer le référentiel de la fonte liquide. La société requérante arguait que la Commission aurait dû se baser sur les données les plus récentes et les plus exactes, au lieu de s’appuyer sur les documents de référence sur les meilleures techniques disponibles (« BREF ») et sur les lignes directrices de 2007. L’enjeu était de savoir si l’utilisation de ces sources constituait une violation du principe de bonne administration.

La Cour a écarté cet argument en rappelant le large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission dans des domaines impliquant des évaluations techniques et économiques complexes. Elle a réaffirmé sa jurisprudence constante selon laquelle « seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine peut affecter la légalité d’une telle mesure ». La Cour a ensuite constaté que le considérant 11 de la décision contestée prévoyait explicitement le recours aux BREF en cas d’indisponibilité de données complètes, notamment sur le traitement des gaz résiduaires. Le choix de la Commission n’était donc pas manifestement erroné, mais constituait au contraire une application prudente et justifiée des règles qu’elle avait elle-même établies. Cette approche confirme la déférence du juge de l’Union envers les choix techniques de l’exécutif, pourvu que ceux-ci reposent sur une base rationnelle et ne soient pas entachés d’une erreur évidente.

La validation par la Cour des choix méthodologiques de la Commission prépare le terrain à une reconnaissance plus large de son pouvoir discrétionnaire dans l’application de la réglementation environnementale.

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II. La consécration d’un large pouvoir d’appréciation de la Commission

Au-delà des aspects purement méthodologiques, l’arrêt se distingue par la confirmation du vaste pouvoir d’appréciation de la Commission. Cette confirmation se manifeste à travers une conception extensive de la notion de substituabilité des produits (A) et se prolonge par une application souple de l’obligation de motivation (B).

A. Une conception extensive de la substituabilité des produits

La troisième question concernait la validité du référentiel du minerai aggloméré. La société requérante reprochait à la Commission d’avoir inclus dans son échantillon de référence une usine produisant un mélange de minerai aggloméré et de pellets, ce qui aurait faussé le calcul, ces deux produits n’étant généralement pas substituables. La Commission a soutenu que, dans le cas particulier de cette installation, le produit final était un substitut direct du minerai aggloméré et devait donc être pris en compte.

La Cour a suivi l’argumentation de la Commission, considérant que l’appréciation de la substituabilité relevait d’une évaluation technique complexe entrant dans son champ de compétence. Elle a estimé qu’« il n’est pas clairement démontré que la Commission ait commis une erreur manifeste d’appréciation en prenant en compte l’installation en cause ». En s’appuyant sur les explications fournies par la Commission, selon lesquelles le processus de fabrication et le produit final de l’usine en question justifiaient son inclusion, la Cour a admis une approche pragmatique et fonctionnelle de la notion de substituabilité. Cette solution montre que le contrôle juridictionnel s’arrête là où commence l’expertise technique de l’institution, dès lors que celle-ci fournit une justification cohérente pour ses choix, même s’ils dérogent à une classification générale. Le seuil de l’erreur manifeste d’appréciation apparaît ainsi particulièrement élevé.

B. Une application minimale de l’obligation de motivation

Enfin, la dernière question portait sur un éventuel manquement à l’obligation de motivation, la Commission n’ayant pas spécifiquement justifié dans sa décision pourquoi elle avait inclus l’usine atypique dans son calcul. La société requérante estimait que cette absence de précision viciait l’acte. La Cour a cependant jugé la motivation suffisante au regard des exigences de l’article 296 TFUE.

Rappelant sa jurisprudence bien établie, la Cour a souligné que la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte. Pour un acte de portée générale contenant de nombreux choix techniques, elle a estimé que « si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait inutile d’exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu’elle a opérés ». Les considérants de la décision 2011/278/UE, qui exposent les principes généraux et les objectifs de la méthode, ont été jugés suffisants pour permettre aux intéressés de comprendre la logique de l’acte et au juge d’exercer son contrôle. Cette approche pragmatique de l’obligation de motivation, si elle est classique, confirme que dans les matières hautement techniques, la Commission n’est pas tenue de détailler chaque micro-décision, tant que le cadre général de son raisonnement reste clair et intelligible. Cela renforce son autonomie dans la mise en œuvre de politiques complexes, tout en limitant la possibilité pour les justiciables de contester des choix techniques spécifiques sur ce fondement.

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Hassan KOHEN
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