Cour de justice de l’Union européenne, le 26 juin 2012, n°C-336/09

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les modalités d’exercice du recours en annulation par un État sur le point d’adhérer à l’Union européenne. En l’espèce, une institution de l’Union avait adopté, le 14 janvier 2004, un règlement instaurant des mesures transitoires dans le secteur du sucre, destinées à s’appliquer à dix nouveaux États membres à compter de leur adhésion prévue le 1er mai 2004. L’un de ces États, considérant certaines dispositions de ce règlement contraires au droit de l’Union, a formé un recours en annulation contre celui-ci le 28 juin 2004 devant le Tribunal de première instance. L’institution défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que le recours avait été introduit hors du délai de deux mois prévu par le traité, lequel aurait commencé à courir dès la publication du règlement au Journal officiel le 15 janvier 2004. Par une ordonnance du 10 juin 2009, le Tribunal a accueilli cette exception et a rejeté le recours comme tardif, retenant que le délai avait expiré le 8 avril 2004, soit avant même l’adhésion de l’État requérant. Ce dernier a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant notamment que cette interprétation des règles de procédure portait atteinte à son droit à une protection juridictionnelle effective en tant que futur État membre.

La question de droit soumise à la Cour de justice était donc de savoir si le délai de recours en annulation à l’encontre d’un acte de l’Union adopté avant l’adhésion d’un nouvel État membre, mais destiné à produire ses effets à compter de cette adhésion, doit être calculé à partir de la date de publication de l’acte ou à partir de la date d’adhésion de cet État.

À cette question, la Cour de justice répond en annulant l’ordonnance du Tribunal. Elle juge que, pour les actes adoptés avant l’adhésion mais qui affectent les nouveaux États membres en cette qualité dès leur entrée dans l’Union, le délai de recours ne commence à courir qu’à partir de la date effective de cette adhésion. La Cour estime en effet qu’une solution contraire priverait ces États de la possibilité de contester des actes qui les concernent directement en leur qualité de requérants privilégiés.

La solution retenue par la Cour de justice censure une application trop formaliste des délais de procédure (I) pour consacrer une interprétation garantissant le droit à un recours effectif aux États adhérents (II).

I. La sanction d’une lecture formaliste du délai de recours

La Cour de justice a infirmé l’ordonnance du Tribunal qui, en appliquant de manière stricte les règles de procédure, avait abouti à une solution privant de fait un futur État membre de son droit d’agir (A). La haute juridiction a fondé sa censure sur la nature particulière des actes adoptés dans la période précédant une adhésion, dont les effets sont subordonnés à celle-ci (B).

A. L’application rigoureuse du point de départ du délai par le Tribunal

Le Tribunal avait fait une application littérale des dispositions du traité relatives au délai de recours en annulation. Il a considéré que ce délai « est d’application générale » et qu’il ne nécessitait pas, pour l’État requérant, « la qualité d’État membre », ce dernier pouvant agir en tant que personne morale. En fixant le point de départ du délai à la date de publication du règlement litigieux, soit le 15 janvier 2004, le Tribunal a logiquement conclu que le recours, déposé le 28 juin 2004, était tardif, le délai ayant expiré bien avant l’adhésion de l’État requérant le 1er mai 2004.

Cette approche, bien que conforme à une jurisprudence constante sur la stricte application des délais de procédure pour garantir la sécurité juridique, ignorait la situation singulière de l’État requérant. Avant son adhésion, celui-ci ne jouissait pas du statut de requérant privilégié que le traité accorde aux États membres, lequel leur permet de contester les actes de l’Union sans avoir à démontrer un intérêt à agir. En le renvoyant à la qualité de simple personne morale, le Tribunal soumettait son droit au recours à des conditions plus restrictives et, surtout, validait une situation où le délai pour contester un acte pouvait expirer avant même que cet acte ne produise ses effets juridiques à l’égard de son principal destinataire.

B. La prise en compte de la nature spécifique de l’acte pré-adhésion

La Cour de justice a écarté cette analyse en se concentrant sur les caractéristiques propres au règlement contesté. Elle souligne qu’il s’agit d’un acte adopté sur le fondement de l’acte d’adhésion, spécifiquement pour faciliter la transition vers le nouveau régime juridique applicable après l’élargissement. Son entrée en vigueur était d’ailleurs explicitement subordonnée à celle du traité d’adhésion. Ainsi, le règlement « se distingue donc des autres dispositions relevant de l’acquis communautaire qui étaient déjà en vigueur lors de la signature desdits traité d’adhésion et acte d’adhésion ».

Dès lors, la Cour en déduit logiquement que « ce n’est qu’au moment de leur adhésion que les nouveaux États membres ont été affectés par les dispositions du règlement n o 60/2004 en leur qualité d’États membres et que c’est en cette qualité que ceux-ci devaient pouvoir attaquer ces dispositions ». En liant le moment où l’acte déploie ses effets à l’égard de l’État à la possibilité pour ce dernier d’agir en justice, la Cour refuse de dissocier le droit matériel du droit procédural, rectifiant ainsi l’approche abstraite du Tribunal.

II. La consécration d’un droit au recours effectif pour les futurs États membres

En adaptant le point de départ du délai de recours, la Cour de justice assure un traitement égalitaire entre anciens et nouveaux États membres (A). Cette décision réaffirme avec force la primauté des principes fondateurs de l’Union, tel que le droit à une protection juridictionnelle effective, sur une application purement formelle des textes (B).

A. L’aménagement du délai comme garantie d’un traitement égalitaire

La portée de cet arrêt est considérable car il établit une solution de principe pour tous les actes adoptés dans le cadre de futures adhésions. La Cour juge que les nouveaux États membres « doivent disposer, à l’encontre de tous les actes qui […] les affectent en leur qualité d’États membres, d’un droit de recours en qualité de requérants au titre de l’article 230, deuxième alinéa, ce ». Pour que ce droit ne soit pas théorique, il était indispensable d’en aménager les modalités d’exercice.

La solution consiste donc à reporter le point de départ du délai de recours à la date de l’adhésion. La Cour énonce clairement que, « à l’égard de ces États, le délai de recours énoncé à l’article 230, cinquième alinéa, ce n’a couru, s’agissant des actes du type de celui qui est en cause en l’espèce, qu’à partir de cette date ». Cet aménagement prétorien garantit que les nouveaux membres de l’Union disposent du même temps et des mêmes prérogatives que les anciens pour défendre leurs droits et intérêts devant le juge de l’Union, consacrant ainsi le principe d’égalité de traitement dès leur entrée dans l’Union.

B. La primauté des principes fondateurs de l’Union sur le formalisme procédural

Au-delà de la question technique du délai de recours, cet arrêt est une illustration éclatante de l’attachement de la Cour au concept d’« union de droit ». Elle rappelle avec force ce principe fondamental en affirmant que « l’Union est une union de droit dans laquelle ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment, avec le traité et les principes généraux du droit ». Le droit à une protection juridictionnelle effective constitue l’un de ces principes cardinaux.

En l’espèce, une application mécanique de la règle de procédure aurait créé une situation paradoxale où un État membre aurait été soumis à des obligations juridiques sans avoir eu la possibilité effective de les contester en sa qualité d’État. En jugeant une telle situation incompatible avec les fondements de l’ordre juridique de l’Union, la Cour de justice démontre que les règles de procédure, bien qu’essentielles à la sécurité juridique, ne sauraient être interprétées d’une manière qui viderait de leur substance les droits fondamentaux qu’elles ont pour but de protéger. La forme ne doit pas l’emporter sur le fond, surtout lorsque le droit d’accès à un juge est en jeu.

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Hassan KOHEN
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