La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 octobre 2025, une décision déterminante concernant le régime juridique des services de médias audiovisuels sur Internet. Le litige opposait deux sociétés exploitant des journaux numériques à une autorité de régulation nationale ayant prononcé des sanctions financières significatives pour des manquements déontologiques.
Les faits trouvent leur origine dans la diffusion de programmes audiovisuels contenant des propos outrageants à l’égard de minorités ainsi que des accusations graves contre des personnalités. L’organisme de régulation a considéré que ces contenus contrevenaient aux principes de sauvegarde de la dignité humaine et de qualité de l’information prévus par la législation.
La procédure s’est poursuivie devant la juridiction administrative suprême nationale, saisie de recours en annulation contre les amendes infligées par l’autorité de contrôle. Cette juridiction a relevé une ambiguïté textuelle, les dispositions nationales semblant exclure les fournisseurs de services de télévision diffusant exclusivement leurs contenus par la voie d’Internet.
Les parties ont débattu de la conformité de cette exclusion au regard du droit de l’Union et de la possibilité d’appliquer les sanctions par voie d’analogie. Face à ces interrogations, le Conseil d’État a sollicité une interprétation préjudicielle sur le champ d’application de la directive et sur le principe de légalité.
Le problème de droit porte sur l’inclusion de la protection de la dignité humaine dans le droit de l’Union et sur la validité d’une sanction fondée sur l’interprétation. La Cour affirme que la directive s’oppose à l’exclusion des services en ligne tout en interdisant toute extension de la responsabilité pénale ou administrative non prévue.
I. L’encadrement communautaire de la dignité humaine dans les services audiovisuels en ligne
A. La reconnaissance de la dignité comme norme impérative de l’ordre juridique de l’Union
La Cour de justice précise d’emblée que les services de télévision en ligne relèvent de la notion de fournisseur de services de médias définie par la directive. Elle souligne que « l’obligation de respecter la valeur de la dignité humaine et l’interdiction de diffuser des contenus portant atteinte à cette valeur relèvent de l’article 6, paragraphe 1 ».
Cette disposition impose aux États membres d’adopter les mesures nécessaires afin de garantir que les contenus audiovisuels ne portent pas atteinte à cette valeur fondamentale. Le juge de l’Union européenne intègre ainsi la protection de la dignité humaine dans le socle des prescriptions minimales harmonisées applicables à tous les opérateurs.
B. L’interdiction d’une exclusion législative des services diffusés exclusivement par Internet
L’arrêt censure toute réglementation nationale qui limiterait l’exigence de respect de la dignité humaine aux seuls fournisseurs de services de télévision dits traditionnels. La Cour juge qu’une telle législation « méconnaîtrait le champ d’application personnel de la directive et compromettrait la réalisation de l’objectif visant à la création d’un marché intérieur ».
L’application des règles protectrices doit être indifférenciée afin d’assurer un niveau élevé de protection des objectifs d’intérêt général sur l’ensemble du territoire de l’Union. Le droit national ne peut donc valablement soustraire les plateformes numériques aux obligations déontologiques minimales sans enfreindre les prescriptions de la directive de 2010.
II. La sauvegarde des garanties fondamentales contre l’extension prétorienne de la responsabilité
A. Le rempart du principe de légalité face à une interprétation extensive défavorable
Bien que la loi nationale soit contraire au droit communautaire, la Cour rappelle que le principe de légalité des délits et des peines demeure intangible. Elle affirme que ce principe « s’oppose à ce que des poursuites soient engagées du fait d’un comportement dont le caractère répréhensible ne résulte pas clairement de la loi ».
L’interprétation conforme du droit interne ne saurait justifier une extension de la responsabilité administrative au détriment du justiciable lorsque le texte législatif est manifestement lacunaire. Une autorité de régulation ne peut donc pas combler par l’analogie un vide juridique pour infliger des sanctions pécuniaires à des fournisseurs en ligne.
B. La prévalence nécessaire de la sécurité juridique sur l’exigence d’une interprétation conforme
La sécurité juridique impose que la loi définisse précisément les infractions et les peines afin de garantir la prévisibilité pour les acteurs économiques concernés. La Cour énonce qu’une directive ne peut avoir pour effet de déterminer ou d’aggraver la responsabilité des personnes agissant en infraction à ses propres dispositions.
L’obligation faite au juge national d’interpréter le droit interne à la lumière des objectifs européens trouve sa limite infranchissable dans les droits fondamentaux de la Charte. En conséquence, les sanctions prononcées sans base légale claire doivent être écartées malgré l’incompatibilité constatée entre la norme nationale et le droit de l’Union.