Cour de justice de l’Union européenne, le 26 mai 2016, n°C-300/15

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 26 mai 2016, s’est prononcée sur l’interprétation des articles 21 et 45 du traité. Le litige au principal opposait un résident luxembourgeois à son administration fiscale concernant l’octroi d’un crédit d’impôt réservé aux retraités. Le requérant percevait deux pensions de source étrangère pour lesquelles le Luxembourg possédait le droit d’imposition selon les conventions bilatérales. Cependant, l’administration a rejeté sa demande car il ne pouvait produire une fiche de retenue d’impôt délivrée par un organisme national. Le tribunal administratif de Luxembourg a donc interrogé la Cour sur la conformité de cette exigence avec la libre circulation des travailleurs. La juridiction européenne affirme qu’une telle législation nationale constitue une restriction prohibée par le droit de l’Union. La reconnaissance de la qualité de travailleur migrant précède l’analyse d’une restriction que le gouvernement tente vainement de justifier par des motifs d’intérêt général.

I. L’affirmation de la protection des travailleurs retraités par le droit de l’Union

A. L’applicabilité rationae personae des libertés fondamentales de circulation

La Cour rappelle d’abord que tout ressortissant de l’Union ayant exercé une activité professionnelle dans un autre État membre relève de l’article 45. Le bénéfice de cette disposition ne s’éteint pas avec la fin du rapport de travail car le droit à pension y est intrinsèquement lié. La décision souligne ainsi qu’une personne « ayant exercé un emploi salarié dans un autre État membre, a fait usage du droit à la libre circulation ». Cette protection s’étend aux droits dérivés de l’activité passée même si l’intéressé réside désormais dans son État membre d’origine.

La juridiction précise que l’article 21 du traité s’applique également de manière subsidiaire aux citoyens ayant séjourné librement sur le territoire des États membres. Cette double base juridique permet de couvrir toutes les situations de mobilité géographique, indépendamment du motif précis du séjour à l’étranger. Les juges soulignent que « la circonstance que la juridiction de renvoi a uniquement visé l’article 45 ne s’oppose pas à l’interprétation de l’article 21 ». Cette extension garantit une protection complète contre les discriminations fiscales frappant les parcours de vie transfrontaliers.

B. La caractérisation d’une différence de traitement fondée sur l’origine des revenus

La législation luxembourgeoise réserve le crédit d’impôt aux seuls retraités capables de présenter une fiche de retenue d’impôt sur leurs traitements ou salaires. Or, ce document n’est jamais délivré lorsque la pension ne fait pas l’objet d’un prélèvement à la source par un organisme débiteur national. La Cour observe que cette mesure instaure une distinction entre les contribuables résidents selon l’État membre dans lequel leurs revenus de pension trouvent leur origine. Une telle différence de traitement est « susceptible de dissuader des travailleurs de rechercher ou d’accepter un emploi » dans un autre État.

Cette entrave est jugée contraire au droit de l’Union car elle pénalise les citoyens ayant exercé leur liberté de circulation et de séjour. L’exclusion de l’avantage fiscal crée un désavantage financier direct pour les retraités percevant des prestations d’un débiteur établi sur un territoire étranger. La Cour conclut que cette réglementation « emporte, dès lors, une restriction à la libre circulation des travailleurs » en principe interdite par les traités. L’examen des justifications soumises par l’État membre permet alors de vérifier si cette atteinte répond à une exigence légitime.

II. La stricte appréciation des justifications impérieuses d’intérêt général

A. Le rejet des considérations d’ordre administratif et pratique

Le gouvernement luxembourgeois invoquait la nécessité de garantir un système de crédit d’impôt praticable sans entraîner de contraintes administratives démesurées pour ses services. Les autorités prétendaient que seuls les organismes nationaux de paiement disposaient des informations nécessaires pour bonifier cet avantage de manière juste et adéquate. La Cour rejette cet argument en rappelant que « des difficultés pratiques ne peuvent pas justifier à elles seules l’atteinte portée à une liberté fondamentale ». Le refus absolu d’accorder l’avantage fiscal aux résidents sans fiche de retenue apparaît manifestement disproportionné.

La juridiction européenne estime que les autorités fiscales peuvent exiger du contribuable toutes les preuves documentaires utiles pour vérifier la nature des revenus. Rien ne permet d’exclure a priori que l’intéressé fournisse des justificatifs pertinents permettant de contrôler l’éligibilité au crédit d’impôt pour pensionnés. L’administration ne peut donc se retrancher derrière la complexité d’une situation transfrontalière pour priver un citoyen d’un droit financier reconnu aux autres. L’efficacité des contrôles fiscaux ne saurait servir de prétexte à une exclusion systématique des travailleurs ayant exercé leur mobilité.

B. L’absence de lien direct nécessaire à la sauvegarde de la cohérence fiscale

L’État membre tentait également de justifier la mesure par la nécessité de préserver la cohérence globale de son régime fiscal national. Ce principe exige l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement déterminé. Cependant, la Cour constate que l’avantage litigieux n’est pas compensé par un impôt spécifique prélevé sur les pensions de source nationale. Les pensions étrangères demeurent imposables au Luxembourg sans que la technique de la retenue à la source ne constitue un prélèvement de compensation.

La Cour souligne que le lien invoqué repose uniquement sur une modalité technique de perception et non sur une nécessité de réciprocité fiscale. Le gouvernement ne démontre pas l’existence d’un lien direct entre le crédit d’impôt et « la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ». En l’absence de corrélation précise entre l’exonération et une charge fiscale équivalente, la restriction aux libertés de circulation ne peut être admise. La solution finale réaffirme donc l’impossibilité de subordonner un avantage fiscal à la détention d’un document administratif inaccessible aux revenus étrangers.

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Hassan KOHEN
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