Cour de justice de l’Union européenne, le 26 mars 2009, n°C-21/08

Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les modalités d’appréciation du risque de confusion entre deux marques en application du règlement n° 40/94. En l’espèce, une société avait sollicité l’enregistrement d’une marque semi-figurative auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI). La titulaire d’une marque antérieure, enregistrée pour des produits identiques ou similaires, a formé opposition à cet enregistrement. L’OHMI, par sa quatrième chambre de recours, a fait droit à cette opposition, estimant qu’il existait un risque de confusion pour le public concerné. La société demanderesse a alors formé un recours devant le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Le Tribunal a cependant rejeté le recours, confirmant l’analyse de l’OHMI. C’est dans ce contexte que la société a formé un pourvoi devant la Cour de justice, articulant son argumentation autour de plusieurs moyens, notamment la dénaturation des faits par le Tribunal, une erreur de droit dans l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement, et une contradiction de motivation. La question de droit posée à la Cour était de savoir si l’appréciation globale du risque de confusion, qui repose sur une interdépendance des facteurs de similitude, autorise à conclure à un tel risque malgré des différences visuelles notables entre les signes, dès lors que d’autres similitudes, notamment conceptuelles et phonétiques, ainsi que l’identité des produits, sont établies. La Cour de justice a rejeté le pourvoi dans son intégralité, jugeant que le Tribunal n’avait commis aucune erreur de droit en confirmant l’existence d’un risque de confusion et en appliquant la méthode de l’appréciation globale.

La décision de la Cour de justice s’articule autour de deux axes principaux. D’une part, elle rappelle fermement les limites de sa propre compétence lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi, réaffirmant la distinction fondamentale entre l’appréciation des faits et le contrôle du droit (I). D’autre part, elle valide la méthodologie suivie par le Tribunal dans l’appréciation substantielle du risque de confusion, confirmant la pertinence du principe de l’appréciation globale et de l’interdépendance des facteurs (II).

I. Le contrôle limité du juge du pourvoi sur l’appréciation des faits

La Cour de justice profite de cette affaire pour réitérer une règle fondamentale de procédure qui structure la répartition des compétences entre elle et le Tribunal. Elle rappelle ainsi la distinction intangible entre l’appréciation des faits, qui relève de la compétence exclusive du Tribunal, et le contrôle du droit, qui constitue le cœur de l’office du juge de cassation (A). En conséquence, elle rejette logiquement les griefs de la requérante fondés sur une prétendue dénaturation des faits, faute pour cette dernière d’en apporter la preuve manifeste (B).

A. Le rappel de la distinction entre l’appréciation des faits et le contrôle du droit

L’arrêt énonce avec clarté le principe directeur du pourvoi. La Cour souligne en effet que « conformément aux articles 225, paragraphe 1, ce et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit ». Cette formule, classique dans la jurisprudence de la Cour, a pour effet de délimiter strictement le champ de son intervention. Le juge du pourvoi ne constitue pas un troisième degré de juridiction ayant vocation à réexaminer l’ensemble des éléments d’une affaire. Sa mission se concentre sur la vérification de la correcte application des règles de droit par les juges du fond.

C’est pourquoi l’arrêt précise que « Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve ». L’appréciation de la ressemblance visuelle, phonétique ou conceptuelle entre deux signes constitue une analyse factuelle qui, sauf dénaturation, échappe au contrôle de la Cour. Cette solution garantit une bonne administration de la justice en évitant que la Cour ne soit submergée par des contestations portant sur des éléments de fait déjà souverainement appréciés par le Tribunal.

B. Le rejet de l’allégation de dénaturation des faits

La requérante tentait de contourner cette limitation en invoquant la dénaturation des faits, seule exception permettant au juge du pourvoi d’exercer un contrôle sur l’appréciation factuelle. Une telle dénaturation suppose une erreur manifeste et évidente dans la lecture des pièces du dossier, qui aurait conduit le Tribunal à une conclusion que les éléments de preuve contredisaient ostensiblement. Le fardeau de la preuve d’une telle dénaturation pèse lourdement sur la partie qui l’invoque.

Or, la Cour constate que la société demanderesse a échoué à satisfaire cette exigence. Elle relève que « la requérante n’apporte, au soutien de son allégation, aucun élément concret permettant de considérer que le Tribunal aurait dénaturé les faits ». En l’absence de démonstration probante, le moyen ne pouvait qu’être rejeté. L’arrêt confirme ainsi que l’allégation de dénaturation ne saurait servir de prétexte à une simple critique de l’appréciation des faits opérée par le Tribunal.

II. La confirmation de la méthode d’appréciation globale du risque de confusion

Après avoir écarté les moyens relatifs à la procédure et à l’appréciation des faits, la Cour examine le moyen de fond tiré d’une erreur de droit dans l’application de la notion de risque de confusion. Elle saisit cette occasion pour approuver l’application faite par le Tribunal du principe d’interdépendance des facteurs d’appréciation (A), ce qui la conduit à valider la conclusion selon laquelle l’impression d’ensemble peut justifier un risque de confusion malgré des divergences sur certains aspects (B).

A. L’application du principe de l’interdépendance des facteurs d’appréciation

La notion de risque de confusion doit être appréhendée de manière synthétique. La Cour rappelle que « l’existence d’un risque de confusion doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et cette appréciation implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte ». Ce principe d’interdépendance signifie qu’un faible degré de similitude entre les signes peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services, et inversement.

Dans la présente affaire, la Cour valide le raisonnement du Tribunal qui a tenu compte de cette interdépendance. Elle souligne que l’analyse du juge du fond « s’inscrit pleinement dans le processus destiné à déterminer l’impression d’ensemble produite par les marques en conflit ». En considérant la forte similitude, voire l’identité des produits, ainsi que les similitudes phonétiques et conceptuelles, le Tribunal a pu légitimement conclure à l’existence d’un risque de confusion, nonobstant les différences visuelles qu’il avait par ailleurs relevées.

B. La primauté de l’impression d’ensemble sur les divergences partielles

La conséquence de cette méthode est que l’analyse ne doit pas être parcellaire. La requérante reprochait au Tribunal une contradiction entre le constat d’une différence visuelle et la conclusion d’un risque de confusion. La Cour rejette cette argumentation en précisant que « si l’appréciation du risque de confusion doit être globale, chaque élément visuel, phonétique ou conceptuel s’analyse individuellement ». Il n’y a donc aucune contradiction à constater une différence sur un plan et une similitude sur d’autres, l’essentiel étant l’impression d’ensemble qui se dégage de la confrontation des signes.

L’arrêt conclut donc que c’est « à bon droit que la quatrième chambre de recours de l’OHMI a conclu qu’il existait, en l’espèce, un risque concret que le public concerné, nonobstant le fait qu’il soit particulièrement attentif, puisse croire que les produits désignés par lesdites marques ont une même origine commerciale ». Cette solution réaffirme que la protection de la marque et du consommateur repose sur une perception globale, où les ressemblances phonétiques ou conceptuelles peuvent l’emporter sur les différences visuelles, surtout lorsque les produits sont identiques et le public, même averti, peut être conduit à établir un lien entre les entreprises.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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