L’arrêt soumis au commentaire, rendu par le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne le 22 septembre 2016, tranche une question relative aux modalités de sélection des agents contractuels au sein des institutions européennes.
Un citoyen, après avoir postulé sans succès à une procédure de sélection de chauffeurs organisée par le Parlement européen, a introduit un recours visant à l’annulation de l’avis de sélection ainsi que de la base de données de lauréats qui en était issue. Le requérant soutenait que les épreuves de sélection, qui se déroulaient exclusivement dans un nombre limité de langues, notamment l’anglais, l’allemand et le français, introduisaient une discrimination fondée sur la langue, interdite par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne. Il faisait valoir que cette limitation linguistique n’était pas justifiée par l’intérêt du service, les postes de chauffeurs ne requérant pas la maîtrise spécifique de ces langues de travail.
La procédure de sélection litigieuse, référencée EP/CAST/S/16/2016, avait été initiée par l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) pour le compte du Parlement. Le Parlement, en défense, opposait que l’organisation des tests dans un nombre restreint de langues répondait à des contraintes pratiques et budgétaires, et que les compétences linguistiques exigées correspondaient aux besoins réels du service. Le litige a donc conduit le juge de l’Union à examiner si une institution peut légalement restreindre le choix des langues dans lesquelles les candidats passent les épreuves d’un concours, au regard du principe de non-discrimination.
La question de droit qui se posait était de savoir si la limitation des langues admises pour les épreuves de sélection d’agents contractuels constitue une discrimination illégale lorsque cette restriction n’est pas objectivement et raisonnablement justifiée par l’intérêt du service.
Le Tribunal, faisant droit à l’argumentation du requérant, a répondu par l’affirmative. Il a jugé que l’institution n’avait pas suffisamment démontré en quoi la nature des fonctions de chauffeur exigeait spécifiquement la connaissance de l’une des trois langues procédurales imposées pour les tests de raisonnement. En conséquence, le Tribunal a prononcé l’annulation de l’appel à manifestation d’intérêt et de la base de données qui en résultait, considérant que la procédure de sélection était entachée d’une discrimination fondée sur la langue.
La solution retenue par le Tribunal s’inscrit dans une jurisprudence établie qui encadre strictement les régimes linguistiques des procédures de sélection. Cet arrêt offre l’occasion d’examiner la portée du principe de non-discrimination linguistique dans l’accès à la fonction publique européenne (I), avant d’analyser la justification des restrictions linguistiques au prisme de l’intérêt du service (II).
I. La portée du principe de non-discrimination linguistique
Le Tribunal réaffirme avec force l’application du principe général de non-discrimination au choix de la langue des épreuves de sélection (A), tout en confirmant que ce principe n’est pas absolu et peut faire l’objet de dérogations (B).
A. La confirmation d’une protection étendue contre les discriminations
La décision commentée s’inscrit dans le cadre de l’article 1er quinquies, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires, qui prohibe toute discrimination, notamment celle fondée sur la langue. Le Tribunal rappelle implicitement que l’accès aux emplois de l’Union doit être ouvert aussi largement que possible, sans que des critères linguistiques non pertinents ne viennent entraver la sélection des candidats les plus méritants au regard des fonctions à exercer.
En annulant la procédure de sélection, le juge administratif de l’Union sanctionne une pratique qui avantageait de fait les candidats maîtrisant l’une des trois langues les plus couramment utilisées au sein des institutions, au détriment des autres. La solution souligne que l’égalité de traitement entre les candidats impose à l’administration de ne pas créer d’obstacles arbitraires. La langue, élément constitutif de l’identité et de la culture, ne saurait devenir un critère de sélection implicite, sauf à vider de sa substance le principe du recrutement fondé sur le mérite. Le Tribunal veille ainsi à ce que la diversité linguistique de l’Union, consacrée par les traités, se reflète dans l’accès à sa fonction publique.
B. La nature non absolue du principe d’égalité de traitement
Si le principe de non-discrimination est fermement rappelé, l’arrêt suggère en creux que des différences de traitement sont concevables. Une restriction linguistique n’est pas discriminatoire en soi si elle est justifiée de manière objective et raisonnable. Le Tribunal ne pose pas une interdiction de principe à l’organisation de tests dans un nombre limité de langues, mais soumet une telle organisation à des conditions strictes.
La jurisprudence antérieure a déjà admis que des exigences linguistiques spécifiques peuvent être imposées, à condition qu’elles correspondent à une nécessité réelle et sérieuse du service. L’administration dispose donc d’une marge d’appréciation pour définir les profils linguistiques de ses agents, mais cette marge est contrôlée par le juge. Le présent arrêt confirme que ce contrôle est rigoureux et ne se satisfait pas de justifications d’ordre général. C’est donc moins le principe d’une sélection linguistique qui est en cause que les modalités de sa justification, que le Tribunal examine avec une particulière exigence.
L’arrêt invite ainsi à une analyse concrète des justifications avancées par l’administration, lesquelles doivent être appréciées au regard de la nature précise des fonctions proposées.
II. L’appréciation de la justification par l’intérêt du service
Le Tribunal exerce un contrôle approfondi sur la justification avancée par le Parlement (A), ce qui conduit à interroger la portée de cette décision pour les futures procédures de sélection (B).
A. Un contrôle rigoureux de l’adéquation entre la langue et la fonction
Le cœur du raisonnement du Tribunal réside dans l’analyse de la justification tirée de « l’intérêt du service ». Le Parlement soutenait que les langues de la procédure de sélection correspondaient à ses besoins. Le juge a estimé cette affirmation insuffisamment étayée. Il a relevé que l’institution n’a pas apporté la preuve que les fonctions de chauffeur nécessitaient une connaissance approfondie de l’anglais, de l’allemand ou du français, au point de justifier l’exclusion de candidats ne maîtrisant pas l’une de ces langues au niveau requis pour les tests de raisonnement.
Le Tribunal opère une distinction subtile mais essentielle entre les compétences linguistiques requises pour l’exercice effectif des fonctions et celles exigées pour la seule passation des épreuves. Il ne nie pas qu’un chauffeur au Parlement européen doive posséder des capacités de communication de base dans une ou plusieurs langues véhiculaires. Cependant, il conteste que cette exigence puisse justifier d’imposer ces mêmes langues pour des épreuves de logique abstraite, qui visent à évaluer des aptitudes cognitives et non des compétences linguistiques spécifiques. Le contrôle de la proportionnalité est ici exercé avec précision : la mesure restrictive, à savoir la limitation des langues des tests, n’était pas nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, qui est de recruter des chauffeurs compétents.
B. La portée de la solution pour l’organisation des concours
Cette décision a une portée significative pour l’EPSO et les institutions européennes. Elle les contraint à une motivation renforcée de leurs choix linguistiques lors de l’organisation des procédures de sélection. L’administration ne peut plus se contenter d’invoquer des contraintes administratives ou budgétaires, ni même l’usage courant de certaines langues en interne, pour justifier une restriction. Elle doit démontrer, pour chaque profil de poste, en quoi la maîtrise d’une langue spécifique est indispensable à l’accomplissement des tâches.
Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui tend à renforcer les droits des candidats et à promouvoir le multilinguisme. Il pourrait conduire les institutions à diversifier davantage les langues proposées dans les concours, ou à dissocier plus nettement l’évaluation des compétences professionnelles de celle des compétences linguistiques. Bien qu’il s’agisse d’un arrêt d’espèce concernant un groupe de fonctions spécifique, la rigueur de son raisonnement établit un précédent. Elle incite l’administration à une plus grande prudence et à une meilleure justification de ses pratiques, sous peine de voir ses procédures de recrutement systématiquement annulées pour discrimination. La solution garantit ainsi un juste équilibre entre les besoins légitimes du service et le droit fondamental à l’égalité de traitement.