Par une décision rendue sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de la décision-cadre 2008/947/JAI relative à la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions de probation. En l’espèce, une personne avait été condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis par une juridiction d’un État membre. Les autorités de cet État ont par la suite demandé à un autre État membre, où résidait le condamné, de reconnaître ce jugement et d’en surveiller l’exécution. Les juridictions de l’État d’exécution ont accueilli la demande, mais le condamné a formé un pourvoi devant la Cour suprême de cet État.
La juridiction de renvoi a constaté que la suspension de la peine n’était soumise qu’à une seule condition : l’obligation pour le condamné de ne pas commettre de nouvelle infraction intentionnelle durant le délai d’épreuve. Cette obligation ne figurant pas explicitement dans la liste des mesures de probation énumérées à l’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre, la Cour suprême a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle reconnaissance avec le droit de l’Union. La question posée était donc de savoir si un jugement suspendant l’exécution d’une peine sous la seule condition légale de ne pas commettre de nouvelle infraction relève du mécanisme de reconnaissance mutuelle.
La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant que cette obligation constitue une « injonction concernant le comportement » au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous d), de la décision-cadre. Elle assortit toutefois sa solution d’une condition, tenant à ce que cette obligation soit formellement exprimée dans la décision de condamnation ou une décision de probation ultérieure. La Cour opère ainsi une interprétation extensive de la notion de mesure de probation (I), tout en encadrant la mise en œuvre de la reconnaissance mutuelle par une exigence formelle (II).
I. L’interprétation extensive de la notion de mesure de probation
La Cour de justice adopte une lecture finaliste de la décision-cadre afin d’inclure l’obligation de ne pas récidiver dans son champ d’application. Pour ce faire, elle qualifie cette obligation d’« injonction concernant le comportement » (A), une interprétation justifiée par les objectifs mêmes du texte (B).
A. L’assimilation de l’obligation de non-récidive à une injonction comportementale
La juridiction de renvoi soulignait que l’obligation de ne pas commettre de nouvelle infraction n’était pas mentionnée dans la liste de l’article 4, paragraphe 1, de la décision-cadre. Pour surmonter cet obstacle textuel, la Cour se fonde sur une catégorie plus large prévue par cette disposition, à savoir les « injonctions concernant le comportement ». Elle estime que l’obligation imposée à une personne de s’abstenir de commettre une infraction « constitue une instruction visant à déterminer la conduite de cette personne », ce qui correspond au sens habituel de l’expression.
Cette approche extensive permet d’éviter de priver la décision-cadre d’une partie de son effet utile. En effet, de nombreuses peines assorties d’un sursis dans les États membres reposent principalement, voire exclusivement, sur cette condition fondamentale. L’exclure du mécanisme de reconnaissance mutuelle aurait limité considérablement sa portée. La Cour note également que d’autres mesures listées, telles que l’interdiction de fréquenter certains lieux ou d’entrer en contact avec certaines personnes, n’impliquent pas non plus nécessairement une surveillance active de la part de l’État d’exécution, relativisant ainsi l’argument d’une nécessaire mesure de contrôle concrète.
B. La confirmation de la solution au regard des finalités de la décision-cadre
L’interprétation retenue est renforcée par une analyse téléologique. La Cour rappelle que la décision-cadre poursuit trois objectifs : faciliter la réhabilitation sociale du condamné, assurer la protection de la société et des victimes, et permettre l’application de mesures de probation appropriées lorsque le condamné réside hors de l’État de condamnation. Or, permettre la surveillance de l’obligation de non-récidive par les autorités de l’État de résidence sert directement ces finalités.
Ces autorités sont en effet « mieux placées pour apprécier la nature de cette violation, la situation de son auteur ainsi que ses perspectives de réhabilitation ». En outre, confier à l’État de résidence le soin de tirer les conséquences d’une éventuelle nouvelle infraction renforce l’effet dissuasif de la condamnation initiale et contribue à l’objectif de prévention de la récidive. Une interprétation contraire aurait mené à un résultat paradoxal : l’État de résidence aurait été compétent pour révoquer un sursis en cas de non-respect d’une obligation mineure, comme un changement d’adresse non signalé, mais pas en cas de commission d’une nouvelle infraction, si cette seule obligation conditionnait le sursis.
II. La portée de la reconnaissance mutuelle conditionnée par une exigence formelle
Si la Cour admet l’inclusion de l’obligation de non-récidive, elle en précise les contours en imposant une condition formelle (A), ce qui renforce la compétence des autorités de l’État d’exécution et clarifie le mécanisme de coopération (B).
A. L’exigence d’une mention explicite de l’obligation dans la décision
La Cour tempère la portée de sa solution en introduisant une condition procédurale claire. Pour qu’un jugement relève de la décision-cadre, il ne suffit pas que l’obligation de ne pas récidiver découle implicitement de l’ordre juridique général de l’État d’émission. Elle doit être formellement imposée par l’autorité compétente. La Cour précise que les mesures de probation « peuvent être inscrites dans le jugement lui-même ou arrêtées dans une décision de probation distincte ».
Cette exigence garantit la sécurité juridique et la prévisibilité du mécanisme de reconnaissance mutuelle. Les autorités de l’État d’exécution doivent pouvoir identifier sans ambiguïté les conditions du sursis sur la base des documents qui leur sont transmis. La Cour renvoie ainsi à la juridiction nationale la charge de vérifier si, en l’espèce, « cette obligation légale ressort de ce jugement ou d’une décision de probation rendue sur la base dudit jugement ». Cette précision établit une frontière nette entre les obligations générales s’imposant à tout citoyen et celles qui, en étant formalisées dans un acte juridictionnel, deviennent l’objet d’une surveillance transfrontalière.
B. La consolidation des compétences des autorités de l’État d’exécution
En intégrant ces situations dans le champ de la décision-cadre, la Cour consolide le rôle des autorités de l’État de résidence. L’article 14 du texte leur confère la compétence pour prendre « toute décision ultérieure » en cas de non-respect des mesures de probation, notamment en cas de commission d’une nouvelle infraction. Elles peuvent ainsi modifier les obligations, révoquer le sursis ou prononcer une peine qui avait été initialement suspendue.
Cette solution est cohérente avec le principe de bonne administration de la justice. La surveillance d’un condamné est plus efficace lorsqu’elle est assurée par les autorités du lieu où il a établi sa vie sociale et professionnelle. La décision de la Cour assure que la commission d’une nouvelle infraction dans l’État de résidence puisse entraîner une réaction judiciaire rapide et adaptée dans ce même État, sans qu’il soit nécessaire de se retourner vers les autorités de l’État de condamnation. La portée de la reconnaissance mutuelle est ainsi étendue de manière pragmatique, favorisant une coopération judiciaire efficace au service de la réinsertion et de la protection de la société.