Cour de justice de l’Union européenne, le 26 novembre 2015, n°C-487/14

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation du règlement (CE) n° 1013/2006 concernant les transferts de déchets. En l’espèce, une entreprise avait procédé à un transfert de déchets à travers un État membre de transit en utilisant un point de passage frontalier différent de celui spécifiquement mentionné dans le document de notification. Ce document avait pourtant reçu le consentement préalable des autorités compétentes de l’État d’expédition, de l’État de destination et de l’État de transit. L’autorité nationale de ce dernier a infligé une sanction pécuniaire à l’opérateur, considérant l’opération comme illicite. Saisie d’un recours contre cette sanction, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait, d’une part, de déterminer si le simple changement du point de passage frontalier, sans autre modification des conditions du transfert, suffisait à rendre celui-ci illicite au sens du règlement. D’autre part, la juridiction de renvoi s’interrogeait sur la proportionnalité d’une sanction administrative dont le montant serait équivalent à celui prévu pour une absence totale de notification, infraction jugée la plus grave. La Cour de justice répond que le non-respect de l’itinéraire notifié constitue bien un transfert illicite, mais que la proportionnalité de la sanction doit être appréciée concrètement par le juge national au regard de la gravité réelle de l’infraction.

Cette décision vient ainsi clarifier la portée des obligations formelles encadrant les mouvements de déchets (I), tout en guidant l’appréciation par les juridictions nationales de la juste sanction à appliquer en cas de manquement (II).

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I. La consécration d’une conception stricte de l’itinéraire notifié

La Cour de justice adopte une lecture rigoureuse des exigences du règlement, en jugeant que l’itinéraire constitue un élément essentiel de l’autorisation de transfert (A), dont la modification unilatérale entraîne la requalification de l’opération en transfert illicite (B).

A. L’itinéraire comme élément substantiel du consentement

Le règlement n° 1013/2006 établit une procédure de notification et de consentement écrits préalables pour les transferts de certains déchets, notamment ceux considérés comme dangereux. Cette procédure vise à garantir aux autorités compétentes des États membres concernés une traçabilité complète et un contrôle efficace des mouvements, afin de protéger la santé humaine et l’environnement. Dans son arrêt, la Cour affirme que le consentement donné par une autorité ne constitue pas une autorisation générale de transfert, mais bien une validation des modalités précises décrites dans la notification.

En jugeant que le changement de point de passage frontalier doit être vu comme une « modification essentielle apportée aux modalités et/ou aux conditions du transfert ayant fait l’objet d’un consentement », la Cour souligne que l’itinéraire n’est pas un simple détail logistique. Il conditionne l’évaluation des risques et l’organisation des contrôles par les autorités. Un point de passage peut être choisi pour sa capacité à inspecter certains types de déchets ou pour éviter des zones écologiquement sensibles. Le consentement est donc indissociable des informations sur lesquelles il se fonde, et l’itinéraire en fait partie intégrante.

B. La requalification du transfert en transfert illicite

La conséquence logique de cette analyse est que le non-respect de l’itinéraire notifié fait basculer l’opération dans l’illicéité. La Cour s’appuie sur l’article 2, point 35, sous d), du règlement, qui définit comme illicite un transfert « effectué d’une manière qui n’est pas matériellement indiquée dans la notification ». En ne suivant pas le trajet validé, l’opérateur réalise une opération matériellement différente de celle qui fut autorisée.

Cette interprétation renforce considérablement la portée du contrôle administratif. Elle signifie que toute déviation substantielle par rapport au dossier de notification, même en présence d’un consentement initial, constitue une infraction. La solution a une valeur pédagogique forte pour les opérateurs économiques, les incitant à une vigilance accrue et à communiquer avec les autorités en cas d’imprévu logistique, plutôt que de prendre des initiatives unilatérales. La sécurité juridique et environnementale prime sur la flexibilité opérationnelle.

La qualification de transfert illicite étant établie, la Cour se penche ensuite sur le régime des sanctions applicables.

II. L’application contrôlée du principe de proportionnalité des sanctions

Si la Cour valide la qualification d’infraction, elle encadre cependant strictement le pouvoir répressif des États membres en rappelant l’exigence de proportionnalité (A), dont l’appréciation concrète est confiée au juge national sur la base de critères précis (B).

A. Le rappel de l’exigence de proportionnalité en matière répressive

L’article 50, paragraphe 1, du règlement impose aux États membres de prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. La Cour interprète cette disposition comme un rempart contre tout automatisme dans la fixation des amendes. Elle juge qu’une sanction pour un manquement procédural, tel que le changement d’itinéraire, ne saurait être automatiquement alignée sur celle prévue pour l’infraction la plus grave, à savoir l’absence totale de notification et de consentement.

Une telle équivalence ne serait admissible, selon la Cour, que « si les circonstances caractérisant l’infraction commise permettent de constater qu’il s’agit d’infractions de gravité équivalente ». Ce faisant, elle établit une hiérarchie implicite des manquements. L’absence de toute procédure de contrôle est par nature plus grave qu’un manquement survenant dans le cadre d’une procédure par ailleurs respectée. La Cour impose donc une analyse au cas par cas, refusant qu’une infraction formelle soit punie aussi sévèrement qu’une violation substantielle des objectifs du règlement.

B. Les critères d’appréciation de la gravité de l’infraction laissés au juge national

La Cour de justice renvoie la responsabilité de cette analyse au juge national. C’est à lui qu’il appartient de vérifier si le montant de la sanction « ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs consistant à assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine ». Pour ce faire, le juge doit examiner l’ensemble des circonstances de l’espèce.

La Cour fournit des pistes d’analyse : il convient notamment d’évaluer « les risques susceptibles d’être causés par l’infraction ». Le juge devra ainsi se demander si le nouvel itinéraire emprunté présentait des dangers accrus, s’il visait à contourner des contrôles spécifiques ou s’il résultait d’une simple erreur logistique sans conséquence environnementale notable. La nature des déchets, l’intention de l’opérateur et le préjudice potentiel pour l’environnement deviennent les véritables curseurs de la proportionnalité de la sanction, bien plus que la seule qualification juridique de l’infraction.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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