La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 26 novembre 2015, une décision interprétant la directive relative au maintien des droits des travailleurs. Ce litige concerne une entreprise publique ayant confié la gestion d’un service de manutention à un prestataire privé au moyen d’un contrat de gestion. Le donneur d’ordre mettait à disposition les infrastructures nécessaires tandis que le prestataire exécutait la mission avec son propre personnel dans les installations publiques. À l’issue du contrat, l’entité publique a repris l’activité en gestion directe sans intégrer les salariés du contractant sortant qui ont alors été licenciés.
Un salarié a formé un recours le 30 juillet 2013 devant le Tribunal du travail numéro dix de Bilbao qui a condamné l’entreprise publique au versement d’indemnités. La Cour supérieure de justice de la Communauté autonome du Pays basque a rendu, le 9 septembre 2014, une ordonnance de renvoi en décision préjudicielle. La juridiction de renvoi demande si la reprise directe d’un service public par une entreprise publique constitue un transfert d’entreprise au sens du droit européen. Cette interrogation porte sur l’hypothèse où le repreneur refuse le personnel alors que les moyens d’exploitation lui ont toujours appartenu en propre.
La Cour répond que la directive s’applique dès lors qu’une entité économique maintient son identité, indépendamment du statut public ou privé des employeurs concernés. La solution souligne que le défaut de reprise des effectifs n’exclut pas le transfert dans les secteurs où l’activité repose essentiellement sur des équipements matériels. Il convient d’analyser d’abord les critères de caractérisation de l’entité économique transférée avant d’examiner l’étendue de la protection accordée aux travailleurs lors de telles opérations.
I. La caractérisation du transfert d’entreprise par l’identité de l’entité économique
A. L’indifférence de la propriété des moyens de production
La Cour rappelle que le transfert porte sur une entité entendue comme « un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique ». L’application de la directive suppose un changement de l’exploitant responsable de l’entreprise sans qu’il soit nécessaire que la propriété des éléments corporels soit cédée. Le juge européen précise qu’une situation où l’entreprise assure elle-même les travaux après avoir résilié le contrat de son prestataire entre dans ce cadre juridique. La circonstance que les équipements indispensables aient toujours appartenu au repreneur ne saurait donc faire obstacle à la qualification de transfert d’entreprise.
B. La prépondérance des équipements dans les activités à forte intensité de capital
L’importance des critères de transfert varie selon l’activité exercée et les méthodes d’exploitation utilisées par les parties intervenantes lors de la reprise de gestion. Dans les secteurs reposant sur les équipements, l’identité de l’entité peut être maintenue même si l’essentiel des effectifs n’est pas repris par le nouveau chef. La Cour souligne que l’activité de manutention intermodal exige des installations importantes comme les grues et les locaux mis à disposition par l’entité publique. Cette prééminence du capital sur la main-d’œuvre justifie une approche matérielle de l’entité économique pour garantir l’efficacité des droits protégés par la législation européenne.
II. L’étendue de la protection des travailleurs face aux réorganisations publiques
A. L’application impérative aux personnes morales de droit public
Le statut d’entreprise publique ne constitue pas un motif d’exclusion du champ d’application de la directive car celle-ci vise toute entité exerçant une activité économique. La Cour juge que la circonstance que le cessionnaire soit une personne publique « n’est pas de nature à exclure l’existence d’un transfert ». Cette solution assure une égalité de traitement entre les salariés selon que leur employeur appartient au secteur marchand ou qu’il assure une mission publique. Seules les réorganisations administratives d’autorités publiques ou les transferts de fonctions purement administratives échappent aux obligations de maintien des contrats de travail en cours.
B. La préservation de l’effet utile contre le refus de reprise du personnel
Le refus délibéré du repreneur d’intégrer les anciens salariés ne peut suffire à écarter l’existence d’un transfert d’entreprise dans un domaine technique ou industriel. Une interprétation contraire permettrait au cessionnaire de se soustraire à ses obligations légales par le simple choix discrétionnaire de ne pas réemployer les travailleurs concernés. Le texte énonce que la directive vise à maintenir les contrats « même contre la volonté du cessionnaire » afin de préserver la stabilité des personnels. La juridiction nationale doit ainsi vérifier si l’opération globale permet la poursuite de l’activité économique initiale malgré le changement formel de l’employeur.