Par un arrêt rendu le 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conséquences de l’inexécution partielle d’une directive au sein du territoire d’un État membre.
En l’espèce, la Commission européenne a constaté qu’un État membre n’avait pas procédé à la transposition de la directive 2002/95/CE, relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, dans une partie de son territoire bénéficiant d’un statut d’autonomie. Face à cette omission, l’institution a engagé une procédure en manquement à l’encontre de cet État. La phase précontentieuse n’ayant pas permis de régulariser la situation, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate officiellement l’infraction aux obligations découlant du droit de l’Union.
La question de droit soumise à l’appréciation des juges de l’Union était de savoir si l’omission par un État membre de transposer une directive sur une portion de son territoire, même dotée d’une large autonomie législative et administrative, constitue un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu des traités.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative de manière particulièrement nette. Elle juge en effet qu’« en ne prenant pas, en ce qui concerne les îles Åland, les mesures législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». La solution, bien que sans surprise, rappelle la conception unitaire de l’État dans l’ordre juridique de l’Union et la rigueur avec laquelle la Cour s’assure de l’application uniforme du droit.
Cette décision est l’occasion de réaffirmer le principe de la responsabilité unique de l’État membre dans la mise en œuvre du droit de l’Union (I), une responsabilité qui garantit l’intégrité et l’efficacité de cet ordre juridique (II).
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I. La responsabilité unitaire de l’État membre dans l’application du droit de l’Union
La Cour de justice, par cette décision, rappelle que la responsabilité de la transposition des directives incombe à l’État membre en tant qu’entité unique (A), rendant ainsi inopérantes les spécificités de son organisation interne (B).
A. Le manquement caractérisé par une omission territorialement limitée
L’arrêt sanctionne une carence de l’État défendeur qui n’a pas adopté les actes de transposition nécessaires sur une partie spécifique de son territoire. Le manquement est ainsi constitué par une simple omission, dont la particularité est d’être géographiquement circonscrite. En vertu de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. L’obligation de transposition est donc une obligation de résultat qui doit être complète et couvrir l’intégralité du territoire sur lequel les traités sont applicables.
Le fait que l’omission ne concerne qu’une province autonome ne diminue en rien la gravité du manquement. La Cour constate sobrement que les mesures n’ont pas été prises et en déduit, sans autre analyse, la violation de l’obligation. Cette approche confirme le caractère objectif du recours en manquement : la seule constatation matérielle de l’inexécution d’une obligation suffit à caractériser la faute de l’État, indépendamment des raisons ou des difficultés qu’il a pu rencontrer. L’arrêt souligne que l’obligation de transposition ne souffre d’aucune exception territoriale non prévue par les traités eux-mêmes.
B. L’indifférence du statut d’autonomie interne
La défense de l’État membre, implicitement fondée sur le statut d’autonomie des îles concernées, est balayée par la Cour. C’est une jurisprudence constante que de juger qu’un État ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne, y compris de nature constitutionnelle, pour justifier le non-respect des obligations nées du droit de l’Union. Ce principe est une conséquence directe de la primauté du droit de l’Union, qui s’impose à toutes les autorités des États membres, qu’elles soient centrales, régionales ou locales.
Ainsi, la répartition interne des compétences entre l’État central et une entité fédérée, décentralisée ou autonome ne regarde que l’État membre lui-même. Du point de vue du droit de l’Union, l’État membre est le seul et unique interlocuteur des institutions européennes. Il lui appartient de prendre toutes les dispositions générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire. Si la transposition d’une directive relève de la compétence d’une entité infra-étatique, l’État central doit s’assurer que cette dernière agit en temps utile et de manière correcte, sous peine d’engager sa propre responsabilité.
Cette solution rigoureuse, bien qu’établie, réaffirme une exigence fondamentale pour l’ordre juridique de l’Union, dont la portée pratique est considérable.
II. La portée de la décision : un rappel au service de l’effectivité du droit de l’Union
La condamnation prononcée par la Cour, loin d’être innovante, possède une valeur pédagogique certaine (A) en ce qu’elle garantit l’application uniforme et effective du droit de l’Union (B).
A. La valeur déclaratoire d’une solution orthodoxe
La valeur de cet arrêt ne réside pas dans sa nouveauté juridique, mais dans sa fonction de rappel. En réitérant une solution de principe bien établie, la Cour adresse un message clair à l’ensemble des États membres, et plus particulièrement à ceux dont la structure institutionnelle est complexe. La décision a une portée générale qui dépasse le cas d’espèce, en ce qu’elle réaffirme que la diversité des systèmes constitutionnels nationaux ne doit pas devenir un obstacle à l’intégration juridique européenne. Elle prévient toute tentation pour un État de se retrancher derrière ses particularismes administratifs ou politiques pour se soustraire à ses obligations.
Le prononcé de la condamnation, assorti de la prise en charge des dépens, formalise le manquement et en tire les conséquences procédurales. Il s’agit de la première étape d’une procédure qui peut, en cas de persistance de l’inexécution, conduire à une seconde condamnation, cette fois pécuniaire, en application de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’arrêt a donc une fonction préventive, incitant l’État défaillant à se conformer sans délai à ses obligations pour éviter des sanctions financières potentiellement lourdes.
B. La garantie de l’application uniforme du droit de l’Union
En définitive, la portée de la décision est de garantir l’effet utile du droit de l’Union. Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des politiques de l’Union reposent sur l’hypothèse que les normes adoptées au niveau européen sont appliquées de manière cohérente et simultanée sur tout le territoire de l’Union. Permettre à un État membre de ne pas appliquer une directive, même sur une portion limitée de son territoire, créerait une rupture d’égalité entre les opérateurs économiques et les citoyens, et compromettrait les objectifs mêmes poursuivis par la législation.
Dans le cas de la directive 2002/95/CE, l’objectif est double : la protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi que l’harmonisation des législations nationales pour éviter les entraves aux échanges d’équipements électriques et électroniques. L’absence de transposition dans une partie du territoire de l’Union, aussi petite soit-elle, est de nature à porter atteinte à ces deux objectifs. La décision de la Cour, en imposant une application intégrale et sans faille de la directive, se révèle donc essentielle pour préserver l’intégrité et la cohérence de l’ordre juridique de l’Union. Elle confirme que l’uniformité d’application est la clé de voûte de l’édifice européen.