Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de classement tarifaire d’un produit composite dont l’un des éléments est indispensable au fonctionnement d’une machine, tandis que l’autre constitue sa fonction principale. En l’espèce, une société importait des cartouches d’encre sans tête d’impression intégrée, conçues spécifiquement pour un certain type d’imprimantes. La question de leur classement dans la nomenclature combinée, soit en tant que consommable sous la position des encres, soit en tant que partie de machine, se posait.
La procédure présentait une particularité notable, puisqu’elle faisait suite à un premier arrêt de la Cour sur une question similaire. Dans cette première décision, la Cour avait jugé que de telles cartouches devaient être classées comme de l’encre. Contestant un des motifs de cet arrêt, selon lequel l’imprimante pouvait fonctionner mécaniquement sans la cartouche, la société requérante au principal a obtenu de la juridiction de renvoi, le Hessisches Finanzgericht de Kassel, une vérification factuelle. Celle-ci a démontré que l’imprimante restait inerte en l’absence de la cartouche, même vide. Forte de cette nouvelle constatation, la juridiction allemande a interrogé de nouveau la Cour sur la pertinence de classer la cartouche en tant que partie d’imprimante au sens de la position 8473 de la nomenclature, dès lors que son indispensabilité mécanique et électronique était avérée. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le caractère indispensable d’un composant au fonctionnement mécanique d’une machine devait primer sur la fonction consommable de l’autre composant pour le classement tarifaire d’un produit composite.
À cette question, la Cour répond par la négative. Elle estime que, même si la cartouche est une partie indispensable au fonctionnement de l’imprimante, le produit doit être classé selon la matière qui lui confère son caractère essentiel. En l’occurrence, la Cour juge que c’est l’encre qui remplit ce rôle, car la finalité de l’insertion de la cartouche est d’alimenter l’imprimante en encre. Elle maintient donc le classement dans la sous-position 3215 90 80 de la nomenclature combinée. L’analyse de la Cour révèle une application rigoureuse des règles de classement pour les produits composites (I), qui consacre une approche finaliste de la notion de « caractère essentiel » (II).
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**I. Une application rigoureuse des règles de classement pour les produits composites**
La Cour, face à un produit composé de deux éléments relevant de positions distinctes, applique méthodiquement les règles générales d’interprétation de la nomenclature combinée. Elle reconnaît d’abord que la cartouche vide peut être qualifiée de « partie » de l’imprimante (A), avant de résoudre le conflit de classement en ayant recours au critère du caractère essentiel (B).
**A. La reconnaissance du rôle indispensable de la cartouche**
Dans un premier temps de son raisonnement, la Cour prend acte des nouvelles informations transmises par la juridiction de renvoi. Elle accepte la prémisse selon laquelle la cartouche, en tant que contenant, est une condition nécessaire au fonctionnement même de l’imprimante. En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, elle rappelle que « le terme ‘partie’, au sens de la position 8473 de la nc, implique la présence d’un ensemble pour le fonctionnement duquel celle-ci est indispensable ».
Cette reconnaissance est déterminante, car elle valide l’argument principal de la requérante et de la juridiction de renvoi. La Cour admet que la cartouche, considérée isolément, répond aux critères pour être classée comme une partie de machine. Elle constate ainsi que « les données circonstanciées communiquées par la juridiction de renvoi font apparaître que la cartouche elle-même est indispensable pour le fonctionnement de l’imprimante. Elle est donc susceptible d’être qualifiée de ‘partie’ et, de ce fait, d’être classée dans la sous-position 8473 30 90 de la nc ». Toutefois, cette qualification ne suffit pas à clore le débat, car la marchandise importée n’est pas une cartouche vide, mais une cartouche contenant de l’encre.
**B. Le recours au critère du caractère essentiel pour un produit composite**
La Cour bascule logiquement son analyse vers les règles applicables aux produits mélangés ou composites. La cartouche d’encre est un article composite, formé d’une part d’un contenant en plastique indispensable au fonctionnement et d’autre part de l’encre, un consommable. Ces deux éléments, pris isolément, relèvent de positions différentes. Face à cette situation, et constatant qu’aucune des positions n’est plus spécifique que l’autre, la Cour écarte l’application de la règle générale 3 a).
Elle se fonde alors sur la règle générale 3 b), qui dispose que de tels produits « sont classés d’après la matière ou l’article qui leur confère leur caractère essentiel lorsqu’il est possible d’opérer cette détermination ». C’est ce critère du « caractère essentiel » qui devient la clé de voûte de la solution. La Cour se détache de la simple constatation de la nécessité mécanique de la cartouche pour s’interroger sur la nature profonde du produit et la fonction prépondérante de ses composants. La qualification de produit composite impose ainsi de dépasser l’analyse de chaque élément pour apprécier l’ensemble au regard de sa finalité.
**II. La consécration d’une approche finaliste du classement douanier**
En appliquant le critère du caractère essentiel, la Cour établit une hiérarchie claire entre la fonction mécanique et la finalité d’usage du produit (A), clarifiant par là même la portée de sa décision pour des produits technologiquement liés mais de composition différente (B).
**A. La primauté de la fonction sur la nécessité mécanique**
Pour déterminer quel élément confère à la cartouche son caractère essentiel, la Cour opère une analyse téléologique. Elle ne s’attache pas au fait que sans la cartouche, l’imprimante ne s’allume pas, mais à la raison pour laquelle l’utilisateur insère cet objet dans la machine. Or, cette raison n’est pas de permettre le fonctionnement mécanique de l’imprimante, mais bien de la pourvoir en encre afin qu’elle puisse imprimer.
Ce faisant, la Cour donne une interprétation décisive de la notion de caractère essentiel, fondée sur l’utilisation et la destination du produit. Elle affirme que « même si une cartouche d’encre, telle que celle en cause au principal, est construite d’une façon telle que l’imprimante ne fonctionne pas en l’absence de ladite cartouche, il n’en reste pas moins que l’encre contenue dans la cartouche est d’une importance prépondérante en vue de l’utilisation de la marchandise en cause ». La Cour établit que « la cartouche d’encre est insérée dans l’imprimante, non pas afin de faire fonctionner l’imprimante en tant que telle, mais précisément en vue de l’alimenter en encre ». Cette approche pragmatique assure une sécurité juridique en liant le classement tarifaire à la fonction économique et pratique principale de la marchandise.
**B. La portée de la décision pour les produits composites spécifiques**
Enfin, la Cour prend soin de distinguer la situation d’espèce d’autres cas qui pourraient paraître similaires, renforçant ainsi la cohérence de sa jurisprudence. Elle écarte l’argument selon lequel des cartouches avec tête d’impression intégrée sont, elles, classées comme parties de machine sous la position 8473. Pour la Cour, cette différence de classement est justifiée car il ne s’agit pas des mêmes marchandises.
Elle précise que « de telles cartouches d’encre étant composées d’autres matières que les cartouches d’encre en cause au principal, la classification tarifaire de ces premières ne détermine pas nécessairement la classification tarifaire de ces dernières ». Cette distinction souligne que l’analyse du caractère essentiel doit se faire au cas par cas, en fonction de la composition exacte du produit. La décision a donc une portée importante : elle confirme que pour les produits composites, c’est bien une analyse de la fonction prépondérante qui doit guider l’interprète, et non une simple juxtaposition des caractéristiques de chaque composant, même lorsque l’un d’eux est mécaniquement indispensable.