La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 26 octobre 2016, précise les conditions d’application de la notion d’entité économique unique. Cette affaire concerne l’imposition de droits antidumping définitifs sur les importations de certains alcools gras originaires notamment d’Indonésie. Un producteur étranger commercialisait ses produits au sein de l’Union par l’intermédiaire de plusieurs sociétés liées établies à Singapour et en Allemagne. Les institutions de l’Union ont opéré un ajustement à la baisse du prix à l’exportation au titre des commissions versées.
Le producteur a introduit un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne contre le règlement d’exécution instituant ces droits. Il soutenait former une entité économique unique avec son distributeur lié, ce qui interdirait tout ajustement au titre des commissions de vente. Par un arrêt du 25 juin 2015, le Tribunal a rejeté ce recours en validant le raisonnement suivi par l’administration. L’intéressé a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant plusieurs erreurs de droit et dénaturations de preuves.
Le litige porte sur la détermination des facteurs pertinents pour caractériser l’existence ou l’absence d’une unité économique entre deux sociétés distinctes. La Cour devait déterminer si la vente de produits tiers par le distributeur ou l’existence d’un contrat écrit permettaient d’écarter cette qualification. Elle confirme que les institutions peuvent prendre en compte l’ensemble des facteurs reflétant la réalité économique des relations entre les parties liées. Le juge communautaire consacre d’abord une approche matérielle de l’entité économique avant de valider le régime probatoire de l’ajustement.
I. L’objectivation des critères d’identification de l’entité économique unique
A. La prééminence de la réalité économique sur la structure juridique
La reconnaissance d’une entité économique unique permet d’assimiler un distributeur distinct à un département de vente intégré appartenant au producteur étranger. Le juge rappelle que cette qualification dépend de la réalité des relations économiques et non de la seule apparence juridique des structures. Il convient d’éviter que des coûts de vente intégrés ne soient artificiellement déduits du prix à l’exportation lors de la comparaison. En l’espèce, la Cour approuve la recherche d’indices convergents pour établir si le distributeur exerce réellement les fonctions d’un agent indépendant.
L’existence d’un contrôle économique du producteur sur son distributeur ne suffit pas à caractériser systématiquement une unité de fonctionnement interne. La décision souligne ainsi que les institutions doivent « prendre en compte l’ensemble des facteurs pertinents » pour déterminer la nature réelle des prestations effectuées. Cette méthode assure une comparaison équitable entre la valeur normale et le prix à l’exportation conformément aux exigences du règlement de base. L’analyse s’attache donc à vérifier si les tâches déléguées relèvent normalement d’un service commercial interne ou d’une entité autonome.
B. La pertinence des indices tirés des relations avec les tiers
Le juge valide la prise en compte des ventes réalisées par le distributeur pour le compte de producteurs non liés au groupe. Une telle activité tierce constitue un indice fort suggérant l’absence d’intégration complète du service de vente au sein de l’organisation productive. La Cour affirme que ces facteurs « ne sauraient se limiter aux fonctions exercées par le distributeur lié en relation avec les seules ventes du produit concerné ». Cette ouverture permet d’appréhender la dépendance économique globale de l’intermédiaire vis-à-vis de la société mère lors de l’enquête antidumping.
La facturation directe par le producteur d’une partie des ventes à l’exportation affaiblit également la thèse d’une distribution totalement centralisée et intégrée. Plus la proportion de ces transactions directes est importante, moins le distributeur peut être considéré comme l’unique bras commercial de l’entité. Par ailleurs, les stipulations contractuelles prévoyant le versement de commissions fixes renforcent la présomption d’une relation d’agence commerciale plutôt que d’intégration. Cette confirmation du cadre matériel de l’unité économique conduit le juge à préciser le régime de la preuve et du contrôle juridictionnel.
II. La validation du régime probatoire de l’ajustement pour commissions
A. La répartition de la charge de la preuve en matière d’ajustement
Le régime probatoire applicable impose aux institutions de l’Union de rapporter des indices sérieux démontrant que les conditions de l’ajustement sont remplies. Le juge précise qu’il appartient à l’administration de prouver que le distributeur exerce des fonctions assimilables à celles d’un agent travaillant sur commissions. Dès lors que ces indices sont fournis, la charge de la preuve est renversée au détriment du producteur souhaitant contester la mesure. L’opérateur doit alors démontrer positivement l’existence d’une unité économique ou l’absence d’indépendance de sa filiale de commercialisation.
L’ajustement litigieux repose sur la nécessité de neutraliser les différences affectant la comparabilité des prix entre le marché intérieur et l’exportation. La Cour rejette l’idée d’une présomption générale d’absence d’indépendance entre deux sociétés liées au sens du règlement relatif à la défense commerciale. Elle rappelle que l’article 2, paragraphe 10, sous i), ne contient « pas la moindre référence à une telle présomption » au profit des exportateurs. Cette rigueur probatoire garantit l’efficacité des mesures antidumping tout en préservant le caractère contradictoire de la procédure administrative d’enquête.
B. Le contrôle restreint des appréciations factuelles par le juge de cassation
Le juge de cassation se refuse à contrôler l’appréciation souveraine des éléments de preuve effectuée par le Tribunal lors de l’examen au fond. La Cour rappelle que sa compétence se limite au contrôle de la qualification juridique des faits et au respect des règles de procédure. Elle n’est pas compétente pour réexaminer les documents contractuels ou les chiffres de vente sauf en cas de dénaturation manifeste des pièces. En l’espèce, le producteur n’a pas réussi à démontrer une telle dénaturation dans l’analyse des clauses relatives à la responsabilité solidaire.
Le rejet du pourvoi confirme la large marge d’appréciation dont disposent les institutions pour évaluer la réalité économique complexe des groupes internationaux. La motivation du Tribunal est jugée suffisante dès lors qu’elle permet aux parties de comprendre les raisons de l’éviction de leur thèse. Le juge maintient ainsi une séparation stricte entre les questions de droit et les constatations matérielles issues de l’enquête technique initiale. Cette solution assure une stabilité juridique aux mesures de protection commerciale adoptées par l’Union européenne face aux pratiques de dumping étranger.