Par un arrêt en date du 19 avril 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles une entreprise sanctionnée pour infraction au droit de la concurrence peut obtenir un réexamen de sa capacité à payer une amende. En l’espèce, plusieurs entreprises du secteur de l’acier, sanctionnées par une décision de la Commission européenne pour leur participation à une entente, avaient vu leur demande initiale de réduction d’amende pour absence de capacité contributive rejetée. Elles présentèrent par la suite une seconde demande, fondée sur de nouveaux éléments relatifs à leur situation financière, que les services de la Commission rejetèrent par une simple lettre. Saisies d’un recours contre cette lettre, les juridictions de l’Union furent amenées à s’interroger sur la nature juridique d’un tel refus et sur les conditions de sa contestation. Après que le Tribunal de l’Union européenne a déclaré le recours irrecevable au motif que la lettre litigieuse ne constituait pas un acte attaquable, les entreprises requérantes formèrent un pourvoi. Elles soutenaient notamment que la dégradation de leur situation financière justifiait un nouvel examen complet de leur capacité à payer l’amende. Se posait alors à la Cour de justice la question de savoir si le refus par la Commission de procéder à un nouvel examen de la capacité contributive d’une entreprise, en réponse à une seconde demande, constitue une décision susceptible de recours. La Cour de justice a répondu par la négative, estimant qu’en l’absence de faits nouveaux et substantiels modifiant en profondeur la situation de l’entreprise, un tel refus n’est qu’un acte confirmatif d’une décision antérieure devenue définitive et, partant, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.
Cet arrêt réaffirme avec fermeté la conception restrictive que la Cour adopte quant à la recevabilité des recours dirigés contre les actes confirmatifs, y compris en matière de sanctions (I), ce qui a pour conséquence directe de limiter la portée du contrôle exercé par le juge de l’Union sur l’action de la Commission (II).
***
I. La réaffirmation d’une conception restrictive du contrôle des actes confirmatifs
La Cour de justice confirme la jurisprudence traditionnelle selon laquelle la réouverture d’un dossier clos suppose la démonstration de circonstances exceptionnelles. Elle fonde pour cela son analyse sur l’exigence de faits nouveaux et substantiels comme condition préalable à tout réexamen (A), ce qui l’amène logiquement à écarter l’idée d’une obligation pour la Commission de procéder à une analyse entièrement nouvelle de la situation de l’entreprise (B).
A. L’exigence de faits nouveaux et substantiels, condition du réexamen de la capacité contributive
La Cour rappelle avec force le principe de sécurité juridique qui impose qu’une décision administrative non contestée dans les délais acquiert un caractère définitif. Pour déroger à ce principe, la partie qui sollicite un réexamen doit apporter la preuve de circonstances particulières. La Cour énonce ainsi qu’« il résulte d’une jurisprudence constante que seule l’existence de faits nouveaux substantiels peut justifier la présentation d’une telle demande ». Cette exigence de faits « substantiels » implique que les éléments invoqués doivent être d’une nature telle qu’ils modifient de façon significative la situation qui prévalait lors de l’adoption de la décision initiale.
Dans le cas présent, les entreprises requérantes mettaient en avant des difficultés financières apparues postérieurement à la première décision. Toutefois, l’appréciation de la Cour, confirmant celle du Tribunal, retient que ces éléments n’étaient pas de nature à modifier substantiellement l’appréciation portée initialement sur leur capacité contributive. En effet, l’analyse des données financières révélait paradoxalement une amélioration de certains ratios par rapport à la période de référence. La Cour valide donc l’approche selon laquelle un fait n’est substantiel que s’il aggrave la situation de l’entreprise au point de remettre en cause la logique de la décision initiale, et non s’il en modifie simplement certains paramètres.
B. Le rejet d’un examen de novo de la situation financière
Conséquence directe de cette approche, la Cour juge que la Commission n’est pas tenue de réaliser une nouvelle évaluation complète, un examen *de novo*, de la capacité contributive de l’entreprise à chaque nouvelle sollicitation. Une telle obligation reviendrait à priver de tout effet utile le caractère définitif de sa décision initiale et à imposer à l’institution une charge de suivi permanente et déraisonnable. Le contrôle de la Commission, et par suite celui du juge, se limite à vérifier si les éléments présentés par le demandeur constituent bien des faits nouveaux et substantiels.
La Cour approuve ainsi la méthode suivie, qui consistait à comparer la situation financière des entreprises au moment de la seconde demande avec celle qui avait été analysée lors de la décision initiale. Elle juge que le Tribunal « n’a commis aucune erreur de droit en constatant […] que la Commission n’était nullement obligée d’effectuer un nouvel examen de la capacité contributive des requérantes ». Dès lors que cette comparaison ne révélait pas une dégradation substantielle, mais plutôt une relative amélioration, la Commission était fondée à rejeter la demande par un acte de nature purement confirmative, sans procéder à une analyse plus approfondie.
***
Cette approche stricte quant aux conditions de recevabilité d’un recours contre un acte confirmatif emporte des conséquences importantes sur l’étendue du contrôle que le juge de l’Union peut exercer, que ce soit sur les aspects procéduraux ou sur le fond de l’affaire.
II. La portée limitée du contrôle juridictionnel découlant de la nature confirmative de l’acte
En qualifiant la lettre de la Commission d’acte non décisionnel, la Cour de justice ferme la voie à un contrôle de légalité approfondi. Cette solution conduit à écarter les moyens tirés de la violation des garanties procédurales (A) et consolide par là même le caractère définitif des décisions prises par la Commission en matière de droit de la concurrence (B).
A. L’irrecevabilité des moyens de procédure, conséquence de l’irrecevabilité de l’action principale
Les entreprises requérantes soutenaient que le Tribunal aurait dû, a minima, examiner le moyen tiré de la violation de leurs droits de la défense, indépendamment de la recevabilité des autres moyens. Elles estimaient que les garanties procédurales devaient pouvoir faire l’objet d’un recours autonome. La Cour rejette cette argumentation de manière catégorique en affirmant que « la question du caractère attaquable d’un acte est une question préalable à l’examen des moyens de fond relatifs à cet acte ». Autrement dit, un moyen, même relatif à des droits fondamentaux comme les droits de la défense, ne peut être examiné dans le vide.
Si l’acte auquel se rattache la procédure n’est pas lui-même susceptible de recours, le juge ne peut contrôler la régularité de son élaboration. Cette solution, d’une grande rigueur logique, empêche que des vices de procédure puissent être invoqués pour contourner l’irrecevabilité d’un recours principal. Le droit à une protection juridictionnelle effective ne saurait ainsi créer une voie de droit là où le législateur et la jurisprudence n’en prévoient pas. Par conséquent, la protection des droits procéduraux est subordonnée à l’existence d’un acte faisant grief.
B. La consolidation du caractère définitif des décisions de la Commission en matière de concurrence
Au-delà de son aspect technique, cet arrêt a une portée significative pour l’application du droit de la concurrence. Il renforce l’autorité et la finalité des décisions de la Commission infligeant des amendes. En posant un seuil d’admissibilité élevé pour les demandes de réexamen, la Cour envoie un signal clair aux entreprises : l’argument de l’incapacité de paiement doit être présenté de manière complète et convaincante dès la procédure initiale. Les tentatives ultérieures de rouvrir le débat sur la base de fluctuations économiques ne seront que très exceptionnellement couronnées de succès.
Cette jurisprudence assure ainsi une exécution plus efficace des sanctions, contribuant à l’effet dissuasif des amendes. Elle garantit également la sécurité juridique, en évitant une remise en cause perpétuelle de décisions devenues définitives. Bien que rigoureuse, cette position apparaît comme une nécessité pour préserver la cohérence et l’effectivité du système de contrôle des ententes au sein de l’Union européenne, en particulier dans un contexte économique où les entreprises pourraient être tentées de multiplier les recours pour différer le paiement de leurs dettes.