Cour de justice de l’Union européenne, le 26 septembre 2013, n°C-269/11

Par un arrêt du 8 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le champ d’application du régime particulier de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux agences de voyages. Le litige portait sur la conformité de la législation d’un État membre avec les dispositions de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Cette législation nationale permettait l’application du régime particulier de la marge non seulement aux prestations de services de voyage fournies aux voyageurs finaux, mais également à celles vendues à d’autres assujettis, tels que d’autres agences de voyages.

La Commission européenne a engagé une procédure en manquement à l’encontre de cet État membre, estimant que la législation nationale étendait de manière incorrecte le champ d’application du régime spécial. Selon l’institution, ce régime dérogatoire, prévu aux articles 306 à 310 de la directive, ne devait bénéficier qu’aux opérations réalisées au profit du voyageur, compris comme le consommateur final. L’État membre mis en cause, soutenu en intervention par plusieurs autres États, a contesté cette interprétation restrictive. Il soutenait que le régime devait s’appliquer à tout client, qu’il soit ou non le bénéficiaire final du voyage, afin de garantir l’efficacité du dispositif et de respecter ses objectifs de simplification.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le régime particulier de TVA applicable aux agences de voyages doit être interprété comme ne visant que les prestations fournies au « voyageur », c’est-à-dire le consommateur final, ou s’il peut s’appliquer à toute prestation de voyage vendue à un « client », y compris un autre opérateur économique.

La Cour de justice a rejeté le recours de la Commission. Elle a jugé que les dispositions de la directive devaient être interprétées en ce sens que le régime particulier s’applique aux services de voyage fournis non seulement aux voyageurs, mais aussi à d’autres clients. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a écarté une interprétation purement littérale des textes, rendue malaisée par les divergences entre les versions linguistiques de la directive, pour privilégier une approche fondée sur les objectifs de la réglementation.

Cette solution conduit la Cour à valider une conception extensive du régime de la marge, privilégiant l’efficacité du système sur la base d’une analyse téléologique (I). En conséquence, elle consacre une application large de ce régime spécial à l’ensemble de la chaîne de commercialisation des voyages (II).

I. La primauté de l’interprétation téléologique face aux divergences textuelles

La Cour de justice a dû trancher un litige né d’une ambiguïté textuelle, ce qui l’a conduite à écarter une lecture littérale stricte au profit d’une analyse fondée sur les finalités du régime spécial. Elle a d’abord constaté l’impossibilité de dégager un sens univoque des textes en raison de leurs divergences linguistiques (A), avant de faire prévaloir les objectifs de simplification et de juste répartition des recettes fiscales (B).

A. Le constat d’une ambiguïté née des divergences multilingues

Le cœur du désaccord entre les parties reposait sur l’interprétation des termes « voyageur » et « client » dans les dispositions de la directive TVA. La Commission soutenait que le terme correct était « voyageur », arguant que l’usage du mot « client » dans certaines versions linguistiques, notamment anglaise, résultait d’une erreur de traduction initiale. Elle préconisait donc une interprétation stricte, limitée au consommateur final.

Cependant, la Cour a relevé que les divergences terminologiques étaient bien plus étendues et persistantes qu’une simple erreur isolée. Elle a noté que le terme « client » apparaissait dans de nombreuses versions linguistiques de la directive de 2006, mais aussi dans le texte antérieur de la sixième directive de 1977, sans jamais avoir été corrigé. Face à cette situation, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle, « en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». Une interprétation purement littérale, s’appuyant sur une version linguistique au détriment des autres, s’avérait donc inopérante et potentiellement contraire au principe d’application uniforme du droit de l’Union.

B. La consécration d’une interprétation guidée par les objectifs du régime

Écartant la méthode littérale, la Cour s’est tournée vers l’interprétation téléologique, c’est-à-dire l’analyse des objectifs poursuivis par le législateur. Elle a rappelé que le régime particulier des agences de voyages a été institué pour simplifier l’application de la TVA à des opérations complexes, souvent composées de multiples prestations réalisées dans différents États membres. L’application des règles de droit commun « se heurterait, en raison de la multiplicité et de la localisation des prestations fournies, à des difficultés pratiques pour ces entreprises, qui seraient de nature à entraver l’exercice de leur activité ».

La Cour a estimé que l’approche fondée sur le « client » est celle qui permet le mieux d’atteindre cet objectif de simplification. En effet, limiter le régime aux seules ventes au consommateur final compliquerait la gestion de la TVA pour les opérateurs en amont, tels que les organisateurs de circuits touristiques qui vendent leurs forfaits à des agences de détail. Une telle limitation irait à l’encontre de la finalité même du régime. En adoptant une vision large, la Cour assure que les règles simplifiées bénéficient à tous les opérateurs de la chaîne qui assemblent des prestations de services, favorisant ainsi une répartition équilibrée des recettes fiscales entre États membres.

II. La validation d’une application étendue du régime particulier

En faisant prévaloir l’approche fondée sur le client, la Cour de justice ne se contente pas de résoudre une querelle sémantique ; elle consolide un champ d’application large pour le régime de la marge. Elle rejette ainsi une application restrictive du régime dérogatoire (A) et sécurise son application à l’ensemble de la chaîne économique du secteur des voyages (B).

A. Le rejet d’une application restrictive à la seule vente au consommateur final

La Commission avançait que, s’agissant d’une dérogation au système normal de la TVA, le régime particulier des agences de voyages devait être interprété de manière stricte. Cet argument est généralement retenu par la Cour. Toutefois, en l’espèce, la Cour a considéré que le respect de ce principe ne devait pas conduire à une interprétation qui priverait la disposition de son effet utile. Elle juge qu’une interprétation stricte « n’implique cependant pas qu’il faille adopter l’approche fondée sur le voyageur si celle-ci porte atteinte à l’effet utile de ce régime particulier ».

En effet, cantonner le régime à la vente au consommateur final aurait pour conséquence de réintroduire pour les opérateurs en gros la complexité que le régime visait précisément à éliminer. De plus, cela créerait une difficulté pratique pour les agences, qui devraient vérifier la qualité de chaque acheteur pour déterminer le régime de TVA applicable. La solution retenue par la Cour a le mérite d’éviter ces écueils et de garantir une application cohérente et fonctionnelle du dispositif, conforme à la neutralité de la TVA.

B. La sécurisation du régime pour l’ensemble de la chaîne économique

La portée de cet arrêt est significative pour le secteur du tourisme. En validant l’approche fondée sur le client, la Cour confirme que le régime de la marge s’applique non seulement aux agences de voyages de détail, mais également aux organisateurs de circuits touristiques et autres grossistes qui vendent des forfaits à d’autres entreprises. La Cour le souligne explicitement : « lorsqu’un opérateur organise un voyage à forfait et vend celui-ci à une agence de voyages qui le revend ensuite à un consommateur final, c’est ce premier opérateur qui assume la tâche consistant à combiner plusieurs prestations ».

Il est donc logique que cet opérateur puisse bénéficier des règles simplifiées. Cette décision assure une sécurité juridique à l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, qui peuvent appliquer le régime de la marge pour le calcul de la TVA, indépendamment de la nature de leur client. La Cour aligne ainsi le droit sur la réalité économique d’un secteur où les intermédiaires sont nombreux. Elle garantit que la simplification administrative voulue par le législateur européen profite à tous les maillons qui contribuent à la création du produit touristique final.

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Hassan KOHEN
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