Par un arrêt du 5 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a annulé une décision du Tribunal de l’Union européenne, se prononçant ainsi sur la méthode d’appréciation du risque de confusion en droit des marques. En l’espèce, une société avait déposé une demande d’enregistrement pour le signe verbal « centrotherm » afin de désigner divers produits, notamment dans le domaine des installations photovoltaïques et solaires. Une autre entité juridique, titulaire d’une marque verbale internationale antérieure « CENTROTHERM » désignant des produits liés aux systèmes de cheminées et de gaz d’échappement, a formé une opposition à cet enregistrement. La division d’opposition de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) rejeta l’opposition dans sa totalité. Saisie d’un recours, la quatrième chambre de recours de l’Office annula cette décision et admit partiellement l’opposition. Elle constata en effet l’existence d’un risque de confusion pour certains produits jugés identiques ou similaires, tout en le rejetant pour d’autres.
La société demanderesse à l’enregistrement a alors introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, visant à l’annulation de la décision de la chambre de recours en ce qu’elle avait retenu un risque de confusion. Par un arrêt du 15 septembre 2011, le Tribunal rejeta le recours, confirmant l’analyse de la chambre de recours sur la similarité des produits et le risque de confusion qui en découlait pour le public pertinent. Un pourvoi fut ensuite formé par la société demanderesse devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit. Le demandeur au pourvoi reprochait au Tribunal de ne pas avoir examiné son argumentation selon laquelle les produits respectifs, bien que relevant de catégories générales similaires, s’adressaient en réalité à des publics professionnels distincts, ce qui aurait dû exclure tout risque de confusion. La question de droit soulevée portait donc sur l’étendue du contrôle exercé par le Tribunal et sur l’obligation pour celui-ci de prendre en considération tous les facteurs pertinents soumis à son appréciation pour évaluer le risque de confusion.
La Cour de justice a fait droit au pourvoi. Elle a jugé que « le Tribunal a commis une erreur de droit en n’ayant pas examiné le bien-fondé de l’argumentation de la requérante selon laquelle les produits couverts respectivement par la marque demandée et par la marque antérieure ne s’adressaient pas au même public ». La Cour a par conséquent annulé l’arrêt du Tribunal. Statuant elle-même définitivement sur le litige, elle a annulé la décision de la chambre de recours en ce qu’elle retenait un risque de confusion, estimant que la différence entre les publics professionnels concernés suffisait à écarter un tel risque malgré l’identité des signes.
***
**I. La censure d’une appréciation incomplète du risque de confusion**
La Cour de justice fonde sa décision d’annulation sur une erreur de droit commise par le Tribunal, qui a manqué à son obligation de motivation en n’exerçant qu’un contrôle partiel de la décision de la chambre de recours.
A. Le manquement du Tribunal à son obligation de motivation
Le pourvoi reprochait au Tribunal de ne pas avoir répondu au moyen tiré de la différence des publics pertinents pour les produits en cause. La société demanderesse soutenait que ses produits, relevant du secteur photovoltaïque, visaient des professionnels distincts de ceux concernés par les produits de la marque antérieure, spécialisés dans les techniques de fumisterie. Le Tribunal avait écarté cet argument en considérant qu’il n’était pas tenu d’examiner en détail la clientèle visée dès lors que les produits étaient de nature similaire.
La Cour de justice censure ce raisonnement, le qualifiant d’erreur de droit. Elle rappelle que le juge de l’Union est tenu de statuer sur l’ensemble des moyens et arguments qui lui sont présentés, sauf si ces derniers sont dépourvus de toute pertinence. En l’occurrence, l’argument relatif à la nature du public pertinent était essentiel à l’appréciation globale du risque de confusion. En refusant de l’examiner, le Tribunal n’a pas fourni une motivation suffisante à sa décision, viciant ainsi son arrêt d’une illégalité qui justifie son annulation.
B. Le rappel de l’étendue du contrôle juridictionnel
Au-delà du cas d’espèce, la Cour de justice réaffirme avec force l’étendue du contrôle que le Tribunal doit exercer sur les décisions des chambres de recours de l’OHMI. Ce contrôle ne saurait se limiter à une simple validation des appréciations de l’organe administratif. Le Tribunal doit procéder à un examen complet, en fait comme en droit, de la légalité de la décision attaquée au regard des arguments soulevés par les parties.
Cette exigence garantit un droit au recours effectif pour les justiciables. En omettant de se prononcer sur une argumentation pertinente, le Tribunal a non seulement manqué à son obligation de motivation, mais a également failli à sa mission de contrôle juridictionnel plein et entier. La cassation prononcée par la Cour de justice a donc une portée pédagogique, rappelant au Tribunal les limites de sa déférence envers les appréciations techniques des instances de l’Office et l’impératif d’une analyse approfondie de chaque litige.
**II. La primauté du public pertinent dans l’analyse substantielle du risque de confusion**
Après avoir annulé l’arrêt du Tribunal, la Cour de justice, statuant au fond, procède à sa propre analyse du risque de confusion et en exclut l’existence, consacrant une approche pragmatique de la notion de public pertinent.
A. L’appréciation concrète des produits et des clientèles visées
La Cour de justice effectue l’analyse que le Tribunal aurait dû mener. Elle ne s’arrête pas aux intitulés des classes de produits, mais examine la nature et la destination réelles des biens concernés. Elle constate que les produits de la marque demandée sont des « composants spécifiques pour l’industrie photovoltaïque » et que ceux de la marque antérieure sont des « systèmes de conduites de gaz brûlés pour les techniques de chauffe ».
Partant de ce constat, la Cour juge que ces deux catégories de produits s’adressent à des publics professionnels différents. D’une part, des spécialistes des installations de chauffage et de cheminées et, d’autre part, des professionnels du secteur de l’énergie solaire. Ces deux groupes de consommateurs, bien que professionnels, ne disposent pas des mêmes connaissances techniques et n’opèrent pas sur les mêmes marchés. Cette approche concrète tranche avec une vision formaliste qui se contenterait d’une similarité apparente des domaines technologiques.
B. L’exclusion du risque de confusion en présence de publics professionnels distincts
La conséquence de cette analyse est décisive. Bien que les signes « centrotherm » soient identiques, la différence fondamentale entre les publics visés suffit à écarter tout risque de confusion, y compris un risque d’association. La Cour considère que le consommateur professionnel d’un secteur technique pointu ne sera pas amené à croire que des produits d’un autre secteur technique, même vendus sous la même marque, proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées.
Cette solution souligne l’importance capitale du critère du public pertinent dans l’appréciation globale du risque de confusion, particulièrement pour les marques visant des professionnels. La portée de cet arrêt est significative pour les entreprises évoluant dans des secteurs industriels spécialisés. Il confirme qu’une analyse fine de la clientèle effective peut permettre de surmonter l’obstacle d’une marque antérieure identique ou similaire, pour autant que les marchés et les consommateurs soient suffisamment cloisonnés.