Cour de justice de l’Union européenne, le 26 septembre 2013, n°C-610/11

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 3 octobre 2013, statue sur les conditions d’admission des preuves produites hors délai. Un litige oppose le titulaire d’une marque communautaire à un demandeur en déchéance pour défaut d’usage sérieux de ce signe distinctif. Le titulaire avait présenté des éléments de preuve après l’expiration du délai initialement imparti par l’administration dans le cadre de la procédure. L’instance d’annulation puis la chambre de recours de l’Office ont refusé de prendre en compte ces documents produits tardivement par la partie. Saisi d’un recours, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé cette position par un arrêt rendu en date du 15 septembre 2011. Les juges de première instance estimaient que le délai présentait un caractère impératif excluant toute marge d’appréciation pour l’autorité administrative compétente. Un pourvoi est alors formé devant la Cour de justice pour contester cette interprétation restrictive des textes régissant la marque communautaire. La question posée est de savoir si l’Office dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter des preuves de l’usage déposées après l’échéance. La Cour annule l’arrêt du Tribunal en affirmant l’existence d’une telle prérogative sous réserve du respect de certaines conditions de pertinence. L’étude de cette solution suppose d’analyser la reconnaissance du pouvoir d’appréciation de l’Office (I) avant d’examiner l’encadrement de l’admission des preuves (II).

I. La reconnaissance d’un pouvoir d’appréciation de l’Office quant aux preuves tardives

A. L’interprétation rigoureuse des délais par le Tribunal

Le Tribunal de l’Union européenne avait considéré que la production des preuves de l’usage dans le délai imparti conditionnait strictement leur recevabilité. Selon son analyse, le règlement sur la marque communautaire imposait une forclusion automatique dès lors que le délai de réponse était expiré. « Il découle de ces dispositions que la production des preuves de l’usage de la marque en cause est, en principe, soumise à un délai ». Cette approche privilégiait une application mécanique des règles procédurales pour garantir la célérité nécessaire au traitement des dossiers administratifs. Les juges du fond écartaient ainsi toute possibilité pour l’Office de tenir compte d’éléments probants soumis postérieurement à l’échéance fixée. Cette rigueur visait à sanctionner la négligence des parties tout en figeant les prétentions dès le début de l’instance de déchéance.

B. Le rétablissement de la marge de manoeuvre par la Cour de justice

La Cour de justice censure ce raisonnement en s’appuyant sur les dispositions générales relatives à l’examen d’office des faits par l’administration. Elle affirme que l’Office « peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites à temps ». Cette formulation implique que l’autorité conserve la faculté d’accepter des éléments tardifs si les circonstances particulières de l’espèce le justifient. Le pouvoir discrétionnaire permet de corriger les effets parfois inéquitables d’une application trop formelle des calendriers fixés par les services. La Cour souligne que la recherche de la vérité matérielle doit primer sur le strict respect des échéances temporelles dans ces procédures. La reconnaissance de ce pouvoir d’appréciation par les juges européens appelle désormais une étude précise des conditions encadrant sa mise en œuvre.

II. L’encadrement de l’admission des preuves de l’usage de la marque

A. Les critères de pertinence et de justification du retard

L’admission des preuves n’est pas automatique mais dépend de plusieurs critères cumulatifs dégagés par la jurisprudence constante de la Cour de justice. L’Office doit vérifier que les éléments produits sont « réellement pertinents pour la décision à adopter » sur le fond du litige. La qualité intrinsèque des preuves déposées tardivement constitue donc le premier filtre indispensable de cet examen mené par les chambres de recours. Il convient également d’apprécier si le stade actuel de la procédure permet encore une telle prise en compte sans heurter l’économie du procès. Le titulaire de la marque ne doit pas avoir agi par pur calcul tactique ou dans une intention de mauvaise foi manifeste.

B. L’impact sur la sécurité juridique et l’effectivité du droit

Cette décision renforce l’effectivité du droit des marques en évitant des déchéances fondées sur de simples omissions purement procédurales des parties. La Cour rappelle que le système des marques repose sur l’usage réel et non sur une gestion administrative déconnectée de la réalité économique. « La prise en compte par l’Office de tels faits ou de telles preuves est particulièrement susceptible de se justifier ». Cette approche favorise la stabilité des droits acquis lorsque le défaut d’usage n’est pas matériellement établi de façon certaine. Elle oblige toutefois l’administration à motiver précisément sa décision finale d’écarter ou d’accueillir les pièces produites en dehors des délais.

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Hassan KOHEN
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