Cour de justice de l’Union européenne, le 26 septembre 2013, n°C-668/11

Par un arrêt rendu le 19 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’imputation des pratiques anticoncurrentielles d’une filiale à sa société mère. L’affaire trouve son origine dans une entente secrète sur le marché de l’achat et de la transformation de tabac brut, sanctionnée par une décision de la Commission européenne. L’institution avait alors infligé des amendes en tenant les sociétés mères solidairement responsables du comportement de leurs filiales respectives, au titre de l’unité économique qu’elles constituent.

La filiale concernée a introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation partielle de la décision et une réduction de la sanction financière. Par un arrêt du 12 octobre 2011, la juridiction de première instance a partiellement accueilli la demande en accordant une réduction supplémentaire de l’amende au titre de la coopération. La société mère a toutefois formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant notamment des erreurs de droit relatives à l’imputation de la responsabilité et au calcul de l’amende.

Le litige soulève la question de la validité de la présomption d’influence déterminante exercée par une société mère sur sa filiale détenue intégralement. Il interroge également les critères temporels et économiques présidant à l’application d’un coefficient multiplicateur à des fins de dissuasion lors de la fixation d’une amende. La Cour de justice rejette l’intégralité du pourvoi en confirmant la régularité du raisonnement suivi par le Tribunal et l’institution.

**I. La consolidation du régime d’imputation de la responsabilité au sein de l’unité économique**

**A. La mise en œuvre de la présomption d’influence déterminante de la société mère**

La Cour rappelle qu’une infraction aux règles de la concurrence commise par une filiale peut être imputée à la société mère dès lors qu’elles forment une unité économique. Dans cette situation, la Commission peut infliger des amendes « sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction ». Cette responsabilité repose sur les liens économiques, organisationnels et juridiques unissant les deux entités au moment des faits incriminés.

La jurisprudence établit que, lorsqu’une société mère détient la totalité du capital de sa filiale, il existe « une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence ». Il incombe alors à l’entreprise de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve démontrant l’autonomie réelle de la filiale sur le marché. À défaut de telles preuves, la détention capitalistique suffit à justifier la solidarité de la sanction pécuniaire imposée par l’institution.

**B. La validation juridictionnelle de la méthode de la double base**

Le Tribunal a souligné que l’institution avait choisi de ne pas se fonder exclusivement sur la détention du capital pour imputer la responsabilité de l’infraction. Elle a employé une méthode consistant à corroborer ladite présomption par « des éléments de fait visant à établir que ces sociétés mères exerçaient effectivement une influence déterminante ». Cette approche hybride, qualifiée de méthode de la double base, renforce la sécurité juridique en s’appuyant sur une analyse matérielle des comportements.

La Cour considère que cette appréciation du dossier n’est entachée d’aucune erreur de droit ni d’un défaut de motivation manifeste de la part des juges. Le grief tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement est écarté puisque cette méthode a été appliquée uniformément à toutes les sociétés mères impliquées. L’exigence de motivation est ainsi satisfaite dès lors que le raisonnement permet de comprendre les critères ayant conduit à retenir la responsabilité solidaire.

**II. L’encadrement rigoureux des modalités de détermination de la sanction pécuniaire**

**A. L’actualisation du critère de dissuasion à la taille de l’entreprise**

S’agissant du calcul de l’amende, la requérante contestait l’application d’un coefficient multiplicateur de dissuasion fondé sur la taille du groupe à la date de la sanction. La Cour juge que l’impact recherché sur l’entité économique justifie la prise en considération de ses ressources globales au moment de l’adoption de la décision. Le fait que la filiale ait appartenu à un groupe plus restreint durant une partie de l’infraction est jugé dépourvu de pertinence juridique.

L’objectif de la sanction est de réprimer les actes illégaux et de dissuader les opérateurs de violer les règles de la concurrence à l’avenir. Le lien entre « la taille et les ressources globales des entreprises et, d’autre part, la nécessité d’assurer un effet dissuasif à l’amende ne saurait être contesté ». La capacité financière actuelle de l’unité économique constitue donc le seul critère valable pour garantir que l’amende ne soit pas négligeable.

**B. L’étanchéité du pouvoir d’appréciation des faits relatif à la coopération**

En matière de clémence, la réduction du montant de la sanction dépend de la qualité et de l’utilité des informations fournies volontairement par l’entreprise. La Cour confirme que les documents produits en réponse à une demande de renseignements obligatoire « ne sauraient être pris en compte au titre de la communication sur la coopération ». Cette distinction protège l’esprit du programme de clémence qui privilégie les contributions spontanées ayant une forte valeur ajoutée pour l’enquête.

Enfin, la Cour refuse de censurer l’appréciation factuelle du Tribunal concernant la date de cessation de l’infraction par la filiale. La cessation des pratiques ne peut constituer une circonstance atténuante que si elle est « incitée par les interventions » de l’institution répressive. En l’espèce, l’entente avait cessé avant les premières vérifications, privant ainsi l’entreprise du bénéfice de cette réduction pour la fixation du montant final de l’amende.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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