Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa cinquième chambre, est venu préciser l’articulation entre les principes de libre circulation et les prérogatives des États membres en matière de réglementation des produits dangereux. En l’espèce, des opérateurs économiques actifs dans le commerce de détail d’articles pyrotechniques faisaient l’objet de poursuites pénales en Belgique pour avoir méconnu la législation nationale. Il leur était reproché d’avoir entreposé des quantités d’articles pyrotechniques supérieures aux limites autorisées, dans des lieux non prévus à cet effet, et d’en avoir vendu à des particuliers qui ne disposaient pas de l’autorisation administrative requise pour acquérir une charge de composition pyrotechnique excédant un certain poids. Saisie d’un litige sur la conformité de cette réglementation nationale avec le droit de l’Union, la juridiction belge a adressé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci visaient à déterminer si le droit de l’Union, notamment les directives relatives à la mise sur le marché des articles pyrotechniques et aux services dans le marché intérieur, s’opposait à une réglementation nationale qui, d’une part, soumet la vente et la détention de certains artifices de divertissement à un régime d’autorisation et, d’autre part, subordonne leur stockage à un double régime d’autorisation, fédérale et régionale. La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur la faculté pour l’État membre d’assortir la violation de ces règles de sanctions de nature pénale. Le problème juridique central portait ainsi sur la marge d’appréciation dont disposent les États membres pour édicter des mesures restrictives à la commercialisation de produits harmonisés, au nom de la protection de l’ordre et de la sécurité publics. La Cour de justice a jugé que les directives pertinentes ne s’opposent pas à de telles réglementations nationales, à la condition que celles-ci soient justifiées par un objectif d’intérêt général et respectent le principe de proportionnalité, laissant à la juridiction nationale le soin de procéder à cette vérification finale. La Cour a ainsi validé la possibilité pour un État membre de restreindre la vente de certains articles pyrotechniques et de soumettre leur stockage à des conditions strictes, tout en confirmant la compétence étatique pour sanctionner pénalement les manquements. La décision de la Cour clarifie ainsi l’équilibre entre l’harmonisation communautaire et la sauvegarde des prérogatives nationales de police. Il convient d’examiner la manière dont la Cour consacre la légitimité des restrictions nationales à la commercialisation des articles pyrotechniques au nom de la sécurité publique (I), avant d’analyser l’encadrement qu’elle opère sur les exigences procédurales, telles que les régimes d’autorisation et de sanction, qui pèsent sur les opérateurs économiques (II).
I. La consécration de la prérogative étatique de réglementation du marché des articles pyrotechniques au nom de la sécurité publique
La Cour de justice reconnaît qu’un État membre peut restreindre la libre circulation des articles pyrotechniques, dès lors que cette restriction est fondée sur une raison impérieuse d’intérêt général comme la sécurité publique (A) et qu’elle est soumise à un contrôle de proportionnalité strict (B).
A. La justification de l’entrave à la libre circulation par l’objectif de sécurité publique
La Cour de justice rappelle d’emblée que si la directive 2007/23 vise à harmoniser les règles de mise sur le marché des articles pyrotechniques pour garantir leur libre circulation, elle ménage expressément une faculté pour les États membres d’adopter des mesures restrictives. L’article 6, paragraphe 2, de cette directive autorise en effet les États à interdire ou à restreindre la possession, l’utilisation ou la vente à des particuliers de certaines catégories d’artifices pour des motifs « d’ordre, de sécurité ou de sûreté publics, ou de protection de l’environnement ». La réglementation belge, qui subordonne la vente aux particuliers d’artifices contenant plus d’un kilogramme de composition pyrotechnique à une autorisation, constitue une telle restriction. La Cour considère que cette mesure poursuit un objectif légitime de sécurité publique, entrant ainsi dans le champ de la dérogation prévue par la directive elle-même. Elle juge inutile, dans ce cadre harmonisé, de se référer aux articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour motiver sa décision, la Cour souligne le caractère intrinsèquement dangereux de ces produits, reprenant les conclusions de son avocat général en affirmant que « les articles pyrotechniques constituent des produits par nature dangereux pouvant, notamment pour les articles dont la teneur en composition pyrotechnique est supérieure à 1 kg, porter atteinte à la sécurité des personnes ». En liant la quantité de matière active à un risque accru, la Cour légitime la démarche de l’État membre qui cherche à contrôler la circulation des produits les plus puissants auprès du grand public, reconnaissant par là que la protection de la sécurité publique constitue bien une raison impérieuse d’intérêt général apte à justifier une entrave.
B. L’encadrement de la mesure nationale par le contrôle de proportionnalité
Si la Cour admet le bien-fondé de l’objectif poursuivi, elle rappelle que la mesure nationale doit néanmoins satisfaire au principe de proportionnalité. Elle précise qu’il appartient au juge national d’effectuer l’appréciation finale, mais elle lui fournit une analyse détaillée qui oriente fortement sa décision. La Cour examine d’abord l’aptitude de la mesure à atteindre son objectif, concluant qu’un régime d’autorisation préalable permet de « contrôler et, le cas échéant, de limiter la quantité de composition pyrotechnique se trouvant en possession d’une personne ». Elle estime donc la mesure apte à prévenir les atteintes à la sécurité publique. Ensuite, la Cour évalue si la réglementation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire. Elle note que la législation belge n’instaure pas une interdiction absolue, mais une simple restriction conditionnée à une autorisation, ce qui constitue une mesure moins attentatoire à la libre circulation. Surtout, la Cour examine l’existence de mesures alternatives moins contraignantes. À ce titre, elle rejette l’idée qu’un simple enregistrement a posteriori des acheteurs serait suffisant, considérant que « des mesures moins restrictives, comme l’enregistrement à la suite de l’achat de produits contenant un certain poids de composition pyrotechnique, ne semblent pas être aussi efficaces pour protéger les intérêts fondamentaux ». Un tel système ne permettrait pas d’agir préventivement sur les quantités acquises. En procédant à cette analyse fouillée, la Cour ne se contente pas de poser un principe ; elle balise le raisonnement du juge national et conforte la validité de la restriction, tout en maintenant le cadre formel du contrôle de proportionnalité.
II. L’encadrement des exigences procédurales nationales pesant sur les opérateurs économiques
Au-delà de la restriction à la vente, la Cour se prononce sur la compatibilité avec le droit de l’Union de deux autres types d’exigences nationales : le régime d’autorisation pour le stockage des produits (A) et la nature pénale des sanctions applicables en cas d’infraction (B).
A. L’admissibilité d’un régime de double autorisation pour le stockage
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité d’une obligation d’obtenir à la fois une autorisation fédérale relative aux explosifs et un permis d’environnement régional pour stocker des articles pyrotechniques. La Cour opère d’abord une requalification juridique. Elle juge que cette réglementation sur le stockage ne relève pas de la directive « pyrotechnie » 2007/23, qui ne concerne le stockage que sous l’angle de son incidence sur la conformité du produit. Elle estime en revanche que la réglementation relève de la directive « services » 2006/123, car le stockage est « un préalable indispensable » à l’activité de commerce de détail, qui est un service. Une fois ce cadre juridique posé, la Cour juge que le principe d’une double autorisation n’est pas en soi contraire au droit de l’Union. Elle s’appuie sur l’article 10, paragraphe 7, de la directive « services », qui préserve la répartition interne des compétences entre les autorités nationales, régionales ou locales. Cependant, elle subordonne la validité d’un tel système au respect, pour chaque régime, des conditions posées à l’article 10, paragraphe 2. Ces conditions doivent être non-discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnées, claires et non-ambiguës. La Cour souligne que les deux régimes d’autorisation ne poursuivent pas le même objectif, l’un visant la sécurité publique et l’autre la protection de l’environnement, ce qui écarterait l’argument d’un double emploi disproportionné. Il reviendra au juge national de vérifier que le plafond de stockage fixé par l’une des autorisations est lui-même proportionné.
B. La confirmation du pouvoir d’imposer des sanctions pénales
Enfin, la Cour était questionnée sur la possibilité pour l’État membre de recourir à des sanctions pénales pour réprimer les infractions à la réglementation sur les articles pyrotechniques. La Cour écarte d’emblée l’application de la directive 2013/29, non entrée en vigueur au moment des faits, et se fonde sur les textes applicables ratione temporis. Concernant l’infraction à l’obligation d’autorisation de vente, régie par la directive 2007/23, la Cour note que son article 20 oblige les États à prévoir des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives », sans en préciser la nature. Elle en déduit que les États membres conservent la faculté de choisir le type de sanction et peuvent donc légitimement opter pour la voie pénale. Concernant les infractions aux règles de stockage, qui relèvent de la directive « services » 2006/123, la Cour se réfère à son article 1er, paragraphe 5. Ce texte dispose que la directive « n’affecte pas les règles de droit pénal des États membres », à condition que celles-ci ne soient pas utilisées pour contourner les règles sur la libre prestation des services. La Cour conclut donc que, dans les deux cas, le recours à la sanction pénale est conforme au droit de l’Union, sous réserve du respect du principe de proportionnalité de la peine, dont l’appréciation incombe au juge national en fonction de la gravité de l’infraction. L’arrêt confirme ainsi la large autonomie des États dans le choix de leur arsenal répressif pour assurer le respect des réglementations, y compris lorsqu’elles mettent en œuvre le droit de l’Union.